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18 juin 2012

Yasmina KHADRA (1955) – Les hirondelles de Kaboul (2002)

Yasmina KHADRA (1955) – Les hirondelles de Kaboul (2002)

   Se frayant un passage dans la foule des mendiants, plongés dans leurs pensées ténébreuses, cherchant chacun une issue au malaise qui les habite et à la folie qui les guette, Atik Shaukat et Moshen Ramat, errent à la dérive dans Kaboul livrée à l’obscurantisme et à la tyrannie des Talibans. Les deux hommes ne se connaissent pas. Ils ignorent que leurs destins sont liés.

*

   Atik, moudjahid gravement blessé reconverti en geôlier, traîne son « malheur » entre sa demeure, où son épouse Mussarat agonise atteinte d’un mal incurable, et le dépôt provisoire pour femmes en attente de mise à mort. Autour de lui, la ville n’est plus que ruines, gravas, façades lépreuses, maisons lézardées, poussière, étals dégarnis, chaussées défoncées laissés par vingt ans de guerre. En dépit de ses prières, face au désastre, à la perversion morale et à l’impitoyable folie qui se sont emparées des esprits, Atik est miné par le doute : Est-ce que tout cela est la volonté de Dieu ?

*

   Les lynchages, pendaisons, égorgements, toutes ces exécutions publiques qui rendaient malade, hantaient les cauchemars de Moshen, lui faisaient prendre conscience de sa fragilité et du fait d’être mortel, n’étaient plus maintenant qu’une banalité, pour lui, comme pour les autres. Tout en flânant dans les faubourgs dévastés de Kaboul, le jeune intellectuel libre-penseur songe à ce qu’était la ville avant l’invasion soviétique et à son ambition d’une carrière de diplomate évanouie par la prise du pouvoir des Talibans. Ses pas le  conduisent jusqu’aux premiers rangs d’une lapidation de femme adultère. Galvanisé par l’hystérie collective, Moshen participe aux jets de projectiles. Horrifié par son geste et la jubilation qu’il a éprouvée en voyant s’écrouler la suppliciée atteinte en pleine tête, il confiera sa détresse à son épouse Zunaira.

*

   Confinées dans leurs demeures, deux femmes Mussara et Zunaira assistent à la dérive de leurs époux.

*

   Zunaira, la féministe, se révolte contre la diabolisation attribuée aux femmes par les mollahs et leur déchéance sociale infligée par les Talibans. À l’aveu de Moshen et à ses explications embarrassées, elle opposera son indignation profonde et une appréciation lucide implacable du comportement irrationnel de son époux. L’amour, la confiance et la communion de pensées, qui les liaient, se fissuraient.

*

   Autrefois, Mussara a risqué courageusement sa vie en recueillant et soignant Atik blessé au cours d’un combat contre l’armée soviétique. Ce dernier, reconnaissant, l’a épousée. Ils sont liés par vingt ans de vie commune. Dès qu’elle reprend quelques forces entre les spasmes douloureux de son mal, d’une intensité telle qu’ils la plongent dans l’inconscience durant des heures, Mussara accueille le désarroi d’un époux rendu sourd et aveugle par les tiraillements de ses contradictions. Perspicace, cette femme courageuse, surmonte sa douleur physique et son anxiété à l’approche d’une mort inéluctable, perçoit les faiblesses et les tentations de son mari.

*****

   La richesse des descriptions du cadre, des scènes de rues, des exécutions publiques, des prières collectives, servies par la qualité de l’écriture, le réalisme du vocabulaire, sollicitent l’imagination sensorielle des lecteurs, recréent l’atmosphère démoralisante de misère, de laideur, de paranoïa qui enveloppent les héros du roman, où qu’ils soient, ainsi que la solitude morale et sociale dans laquelle ils se sont enfermés.

   Refusant d’abdiquer, surmontant l’opprobre, les femmes ont gardé une capacité d’écoute et une force de caractère surprenantes, alors que leurs époux se replient égoïstement sur leur mal être. Elles sont intelligentes, courageuses, généreuses. En se sacrifiant par amour de son époux et pour sauver celle en qui elle aurait pu voir une rivale, Mussara est digne d’une héroïne de drame antique.

 

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en : View of the old city of Kabul, Afghanistan fr : La ville de Kaboul, Afghanistan Source : first upload on Wk en, by [http://en.wikipedia.org/wiki/User:Casimiri User:Casimiri] which say to have got this pic {{GFDL}} Category:Afghanistan

Source de la photo:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Kabul_Skyline.jpg

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20 janvier 2013

Philip ROTH (1933) – Nemesis (2010) – Némésis (2012)

Philip ROTH (1933) – Nemesis (2010) – Némésis (2012)

1ère partie : Newark équatorial

     Newark(1), dans l’état du New-Jersey aux États-Unis, en 1944, Eugène Cantor, 23 ans, est directeur du terrain de jeu des  garçons du quartier juif de Weequahic. Dès l’enfance, grâce à une grand-mère attentive, douce et aimante, sous la houlette d’un grand-père bienveillant, énergique et de grande rigueur morale, il a réussi à surmonter les handicaps que le sort lui avait réservés à la naissance : une mère morte en le mettant au monde, un père qu’on a écarté après son séjour en prison pour escroquerie. En raison de sa très forte myopie, l’armée l’a réformé. Il regrette de ne pouvoir participer à la guerre que mène l’Amérique sur deux Fronts depuis l’attaque de Pearl Harbour alors que ses deux meilleurs amis  combattent les Nazis en France. Celui que tous appelaient Bucky est devenu excellent gymnaste de sport de compétition, lanceur de javelot et haltérophile exceptionnel.

     Les garçons admirent et respectent Mr Cantor, envient sa carrure d’athlète et ses exploits sportifs. Ils apprécient l’attention qu’il leur porte, la patience avec laquelle il décompose les mouvements propres à chaque discipline sportive. Ils rêvent de lui ressembler tant ils sont impressionnés par les démonstrations magistrales de leur professeur.

Poliovirus image numérique

http://www.imaging.beckman.illinois.edu/areas/computational.html

     Dès le début de l’été, le virus de la poliomyélite(2), contre lequel il n’existe encore aucun vaccin, a contaminé de nombreux enfants, adolescents et jeunes gens de différents quartiers de Newark. D’abord minorée, la maladie se révèle particulièrement pernicieuse cette année. Elle atrophie, déforme, paralyse les membres, enferme les enfants dans cet horrible appareil nommé « poumon d’acier». Elle tue aussi. Jusque-là épargné, le quartier de Weequahic compte ses premières victimes et ses premiers morts parmi les enfants qui fréquentent le terrain de jeu. Sous l’emprise de la peur qui succède à leur inquiétude, les habitants accordent crédit aux rumeurs les plus folles concernant les facteurs de la contamination. Les phobies de toutes natures et les vieux démons ancestraux se réveillent.

     Mr Cantor ne perd pas son sang-froid, il estime de son devoir de protéger les enfants du quartier. Tout en leur dispensant maints conseils de préventions, il continue à les  accueillir malgré la chaleur accablante et sous le soleil implacable. Encore est-ce s’acquitter, à ses yeux, d’un courage bien mince comparé à celui dont doivent faire preuve les soldats expédiés sur le Front ! Inexorable, le fléau progresse. Faisant face à l’adversité, Bucky, rassure les inquiets, s’efforce de calmer les hystériques, visite les parents des enfants hospitalisés, partage la douleur des familles en deuil. Mais, secrètement, Bucky s’insurge : comment le Dieu du peuple élu peut-il imposer un tel destin à ses enfants ? quel est ce Dieu qui se plait à tuer des créatures innocentes ?

     Bucky se languit de Marcia qui l’aime et dont il est follement amoureux. Il refuse dans un premier temps d’abandonner les gamins de Weekahic afin de la rejoindre et respirer l’air pur de son camp de vacances en Pennsylvanie où un poste correspondant à ses capacités vient de se libérer. La jeune fille ayant accepté de se fiancer avec lui, il cède.

2ème partie : Indians Hills

      Mais la joie de retrouver Marcia, son plaisir de citadin découvrant pour la première fois la vie saine au grand air, les beautés de la nature, la magnificence du cadre des Poconos Montains, son admiration devant l'entousiasme naïf des jeunes jouant aux Indiens, ont, dès qu’il est seul à la tombée du jour et toutes les nuits, l’arrière-goût amer du remord d’avoir déserté l’enfer de la ville infestée, alors que son ami d’enfance Jack vient d’être tué dans un combat bien plus ardu en libérant la France. Le mal sournois qu’il avait cru fuir le rattrape. Atterré, Bucky Cantor découvre qu’il a apporté le virus avec lui dans le milieu protégé du camp.

3ème partie : Réunion

     Le narrateur, Arnie Mesnikoff, s’adresse maintenant aux lecteurs. Il raconte comment, après l’avoir retrouvé fortuitement vingt-cinq ans plus tard, il a recueilli les confidences de Mrs Cantor. Deux destins se confrontent.

     À l’époque de la grande épidémie, Arnie venait retrouver ses camarades sur le terrain de jeu dont Mr Cantor était le directeur. Il était des joueurs les plus acharnés des parties de softball et avait été un des premiers enfants contaminés. La polio l’a laissé handicapé moteur. Arnie Mesnikoff a accepté son sort et s’est épanoui en mettant son expérience au service des entreprises qui aménagent les locaux destinés aux personnes handicapées. Il s’est marié, est père de deux enfants et a une vie sociale « normale ».

     Après la longue et douloureuse rééducation qui avait suivi la maladie de Bucky, son corps d’athlète gardait les stigmates de la polio : des membres atrophiés et déformés qui s’affaiblissaient encore et le faisaient de nouveau souffrir. Il avait sabordé son avenir avec la certitude irrationnelle d’avoir contaminé toutes les victimes, avait renoncé à se marier, en dépit des supplications d’une fiancée qui l’aimait véritablement au point d’envisager de partager sa vie avec un infirme. Mr Cantor, que Mr O’Gara, le directeur de la gestion des terrains de sport s’obstinait à appeler Mr Cancer, avait rompu tous les ponts avec son passé. Il vivait seul, rongé par le cancer de la honte, s’imposant une vie de solitude, s’efforçant d’éviter tout ce qui pourrait lui rappeler ce qui aurait pu être.

     « Tu n’as jamais su mettre les choses à bonne distance, jamais ! Tu penses toujours que tu es responsable, alors que tu ne l’es pas. Soit c’est dieu le Terrible qui est responsable, soit c’est Bucky Cantor le Terrible, alors que la responsabilité n’incombe ni à Lui ni à toi. Ton attitude vis-à-vis de Dieu ― elle est puérile, tout simplement idiote.» avait accusé Marcia le jour de leur rupture.

     Les capacités de raisonnement limitées de Bucky l’empêchaient de reconnaître les limites de sa responsabilité, de percevoir l’incohérence de ses griefs contre Dieu alors qu’il se prétendait agnostique et d’admettre la part du hasard dans le cours des évènements qui frappent l’humanité. Il lui fallait un coupable. Le coupable devait être châtié. Persuadé d’avoir apporté la maladie à toutes les victimes, par une interprétation empirique primitive des évènements qui ont traversé sa vie, Eugène Cantor s’était arrogé le rôle de bouc émissaire. Par orgueil, il s’était condamné à une existence solitaire concentrée sur son mal expiatoire et son amour volontairement perdu.

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     Le roman de Philip ROTH comporte de magnifiques descriptions alliant justesse, précision et concision.  Le récit d’Arnie relatant comment l'enfant qu'il était a vécu la survenue de sa maladie et de ses conséquences est particulièrement émouvant. En contrepartie, des effets de répétition de la chronique des mesures adoptées par les autorités, des listes de noms publiées dans la presse locale, des rumeurs colportées par la population, soulignent la virulence et l’extension exponentielle du mal. Incapable d’évoluer dans son raisonnement, Bucky ressasse tout au long du récit, les  arguments le culpabilisant de n’avoir pas su protéger les enfants des actions démoniaques de Dieu.  

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1) Voir la carte : 

2) Existant probablement depuis des temps très anciens, longtemps sporadique (cas isolés) et touchant surtout de jeunes enfants, la poliomyélite avait manifesté, depuis un peu plus d'un siècle, un génie épidémique inquiétant, n'épargnant aucun âge et apparaissant dans les années 1940-1950 comme un fléau des plus redoutables (jusqu'à 4500 cas, par an, en France). C'est dans la décennie 50 qu'est apparue la vaccination contre les trois types de virus reconnus, d'abord par un vaccin inactivé (Salk 1954, injectable), puis par un vaccin vivant atténué (Sabin 1957, prise orale). Source : http://www.med.univ-rennes1.fr/sisrai/art/poliomyelite_p._230-236.html

30 mars 2013

Magda SZABO (1917~2007) - LA BALLADE D’IZA (2005)

Magda SZABO (1917~2007) - LA BALLADE D’IZA (2005)

Traduction de Tibor Tarda 

     Vince ne la reconnaît plus ! Le désarroi de la vieille dame est immense.   Le mari d’Etelka Sköcs meurt d’un cancer à l’hôpital. Après l’enterrement, Etelka doit quitter sa ville natale, sa maison, ses objets familiers, ses occupations quotidiennes, ses relations. Iza a tout organisé pour son repos. Elle vivra désormais à Budapest dans l’appartement moderne et confortable de leur fille bien aimée. Désemparée, ayant perdu ses repères, se sentant inutile, la vieille dame se pétrifie dans sa non-existence jusqu’à son retour au village où elle doit faire ériger la tombe de son époux décédé.

     Certains personnages de ce roman sont fidèles aux traditions ancestrales. Ils sont respectueux de leurs origines, de la religion luthérienne et des valeurs d’un passé révolu. Ces personnes survivent ou résistent à leur manière aux bouleversements politiques qui succèdent à défaite de la Première Guerre mondiale.

     Vince a subi 23 ans de destitution professionnelle et de mise au ban de la société pour avoir refusé de condamner sur ordre, en tant que juge, des ouvriers agricoles qui s’étaient révoltés dans les années 20. Il a résisté pendant la guerre et a sauvé un juif lors d’une rafle en 1944. Il a été réhabilité en 1945.

     Passée de l’autorité bourgeoise et sectaire de la tante Emma à sa vie d’épouse de réprouvé politique et de mère d’Andrus, leur fils mort à 9 ans, puis d’Iza, son épouse Etelka, n’a jamais été maîtresse de son destin. Elle a toujours déployé des trésors d’imagination, d’économie, de débrouillardise pour faire face aux difficultés financières de la famille. L’aisance retrouvée, Etelka a conservé ces qualités qui sont devenues son moyen d’exprimer son amour et son utilité.

     Le docteur Dekker, professeur de médecine était un ami de jeunesse fidèle de Vince. Il fut nationaliste et résistant pendant la guerre. « …ce doyen qui mettait sa toque à l’envers les jours de manifestations publiques et, les jours de grande victoire allemande… »

     Guitza, la voisine du couple survit chichement dans une société athée en brodant toujours des robes de pasteurs.

     Tout en adoptant la modernité, l’ex-mari d’Iza, Antal, revendique ses origines modestes. Il a craint de se perdre en restant dans le mouvement que conduit Iza. C’est lui qui achètera la maison et le mobilier d’Etelka. Il essaiera de rendre leur chaleur compatible avec le confort moderne. Antal, qui s’est attaché au vieux couple Sköcs, sera prêt à accueillir la vieille dame chez lui, pour qu’elle entretienne sa maison.

     La destinataire de la photo du moulin est Lidia, l’infirmière dévouée qui a su écouter et éclairer les derniers jours de Vince agonisant.

     Toutes ces personnes accordent une grande importance à leur origine sociale.

     D’autres personnages sont les représentants de l’esprit de modernité effrénée voulue par le régime communiste totalitaire en place. Le credo est faire table rase du passé, en vue d’un avenir meilleur.

     Iza, la fille très aimée de Vince et d’Etelka, représente la femme nouvelle créée par le communisme totalitaire qui dirige la Hongrie depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. La jeune femme est adulée par ses parents. Elle est belle et intelligente et a réussi ses études de médecine dans d’excellentes conditions. Iza exerce son métier avec compétence, passion et dévouement total. Dès l’enfance, elle a fait preuve d’un caractère affirmé et combatif. Plus tard, elle a participé activement à la résistance antinazie. Cest une femme moderne, athée, libérée des traditions « bourgeoises » que sont les fiançailles, le mariage, les rites. Elle va de l’avant, refuse de s’épancher sur ce qui n’est plus. Dans tous les aspects de sa vie, elle rompt avec le passé, au profit de la modernité. Iza aime ses parents, mais ses manifestations d’amour sont matérielles, soumises à un calendrier. Si elle organise elle-même la vie de sa mère à Budapest, c’est pour lui épargner des soucis matériels, c’est pour son bien, pense-t-elle. Mais la vie ordonnée, structurée, qui ne laisse aucune place  au désordre, à l’imprévu, qu’elle offre à Etelka, lui apporte-t-elle pour autant le bonheur ? Quand elle s’en inquiète, Iza est incapable de l’exprimer.

     Domokos est amoureux et amant d’Iza, malgré la réserve de la jeune femme. Écrivain officiellement reconnu, il craint les entraves à sa liberté et à sa carrière. À la fois acteur et spectateur des événements qui se déroulent sous ses yeux, craignant d’être happé dans le sillage d’Iza, lui aussi fuira.

     Le lapin apprivoisé, Kapitany,  symbolise une forme de résistance de ses propriétaires. Pour ces derniers, posséder un animal de compagnie était une des rares formes de liberté dont ils pouvaient profiter dans un régime communiste totalitaire où tout était réglementé et contrôlé.

 

lapin

 

     Ce livre est traduit du hongrois. Son écriture est agréable, le vocabulaire est riche et imagé. La psychologie des personnages est fouillée. L’histoire est conduite avec habileté. Tous les personnages sont attachants. L’attention des lecteurs est soutenue constamment.

     Ce roman nous concerne tous. Il décrit des situations et des sentiments que nous avons tous éprouvés en tant qu’enfant de nos parents, que nous vivons en tant que parents ou auxquelles nous seront confrontés un jour. Il nous remémore des situations vécues. À travers le point de vue et le ressenti des personnages du récit, il nous amène à remettre en cause certaines options ou attitudes que nous avons pu avoir dans des circonstances comparables.

     Magda SZABO met en scène des personnages qui se laissent conduire par de fortes personnalités, Emmerence dans La Porte (2003), Vince puis Iza dans La Ballade d’Iza. Dans les deux romans, un animal de compagnie, le chien Viola pour le premier, Kapitany dans le second occupent une place symbolique dans le déroulement du récit.

     Le livre est publié par les Editions Viviane Hamy. Une précédente traduction du roman est parue en 1967.

roman du même auteur :

Le Faon (2008)

22 septembre 2013

JOHN STEINBECK (1902~1968) - In Dubious Battle (1936) ; En un combat douteux (1939)

JOHN STEINBECK (1902~1968)

In Dubious Battle (1936) ; En un combat douteux (1939)

Traduit de l’anglais par Edmond Michel-Tyl¹

    Dans les années 1930, Mac, un militant communiste chevronné assisté de Jim, un nouvel adepte, est envoyé par le parti dans les vergers d’une vallée de Californie. La mission des deux hommes consiste à profiter du mécontentement d’ouvriers agricoles saisonniers itinérants à qui les propriétaires ont annoncé une diminution de salaire à leur arrivée sur les domaines, afin de tenter de provoquer une grève. Exploitant l’indignation des ramasseurs de pommes après la chute d’un malheureux vieillard gravement blessé en descendant d’une échelle défectueuse, Mac et Jim enclenchent le mouvement revendicatif. Face à cette bande de va-nu-pieds sans domicile, se dresse un comité de propriétaires virulent, armé et puissant dont les membres les plus riches et les plus influents sont impliqués dans la gestion de la ville et du comté. Il y a des bagarres, des enlèvements, des guets-apens, des sabotages, des emprisonnements, des expulsions du comté, des blessés et des morts. L’insurrection est écrasée, mais certains de ces êtres misérables, si faibles isolément, ont pris conscience de leur force en agissant ensemble. Peut-être en sera–t-il autrement, demain…, ou plus tard… !

*****

 

montage pour illustrer un combat douteux

     John STEINBECK narre les événements, de l’engagement de Jim Nolan dans l’équipe de Mac à l’issue tragique de leur combat. Dans un premier temps, il s’agit de gagner la confiance de ces migrants individualistes et soupçonneux envers les inconnus. Fondus dans la masse des travailleurs, les deux hommes observent, écoutent, étudient les comportements et les caractères des uns et des autres, repèrent les personnalités dominantes capables de mobiliser les travailleurs, tout en préparant l’installation d’un campement pour les abriter après leur prévisible expulsion des exploitations. Le moment venu, il leur suffit de tirer les ficelles en coulisses pour faire éclater le mécontentement, de suggérer discrètement l’arrêt de la cueillette à quelques grandes gueules puis d’accompagner de leurs conseils les chefs de la rébellion. Jim et Mac n’agissent pas seuls : ils sont soutenus par le renfort efficace du Dr Burton, leur caution sanitaire. À l’extérieur, grâce à une chaîne de solidarité et de soutien financier occulte parmi les sympathisants du mouvement, Dick, leur camarade de cellule, leur transmet les informations qu’il a pu collecter en ville et assure la logistique.

      Placé au cœur de l’action revendicative, l’auteur raconte les péripéties du conflit du point de vue de l’équipe des meneurs de la grève : l’organisation des rondes de protection du camp, de la mise au point des défilés, des piquets de grève, du débauchage des jaunes, de l’accueil à réserverà leur arrivée en gare du train qui doit amener des chômeurs embauchés pour briser la grève. Il décrit les hésitations des uns ; l’emballement et l’impatience des autres; l’attente ; l’incertitude ; les débats internes face aux revers et leurs inquiétudes concernant la continuité  de la mobilisation des hommes en dépit des échecs dans les différentes phases de leur lutte.

     Par eux, nous savons qu’aucune transaction n’est possible avec le comité de propriétaires fermement déterminés à anéantir une insurrection qui menace la perte du produit de la récolte des fruits et met à mal leur toute puissance. Ayant la maîtrise du terrain, des armes, de la police locale, de l’appareil judiciaire, encouragés par le désir de sécurité et l’ostracisme de la majorité des habitants de la ville, leur combat est impitoyable.

*****

      Plus que leurs actions, c'est la diversité des caractères des protagonistes du récit qui intéressent John STEINBECK. La narration des faits dans lesquels ils interviennent souligne la complexité de leur nature  construite sur une histoire personnelle chaotique et des expériences douloureuses qui expliquent l’ambiguïté de leurs réactions dans l’engagement ou l’adversité. La misère matérielle, physique et morale des travailleurs saisonniers et de leurs familles, leurs conditions de travail et d’hébergement, le mépris et l’exploitation dont ils sont victimes sont mis en évidence.

     Mac et le Dr Burton souhaitent tous deux améliorer le sort des plus déshérités, mais, au cours de leurs échanges, deux points de vue se confrontent. Animé d’un idéal politique, l’engagement du premier est un combat, quel qu’en soit les conséquences pour sa propre sécurité et son coût en vies humaines. Quoique non dénué de sensibilité, du moment qu’une mort peut servir «la cause », Mac n’hésite pas à utiliser le cadavre de la victime pour galvaniser les hommes et les motiver à lutter contre la cupidité de possédants insatiables. Le mobile du soutien aux grévistes de Burton est d’ordre humanitaire, sa priorité étant d’aider des démunis à résister aux épreuves qu’ils subissent. La crise économique du moment les a jetés sur les routes pour la plupart. Le doc reste s’efforce de préserver leur santé durant le conflit et de soulager leurs souffrances. Tout en dénonçant dans son œuvre des faits qui le révoltent, la position de John STEINBECK se rapprocherait plutôt de celle du docteur. « In Dubious Battle »pour titre à son roman n’est pas un choix anodin.

     L’auteur n’oublie pas la précarité des petits propriétaires à travers le sort d’Anderson qui, en dépit de ses réticences, s’est laissé convaincre d’accepter l’installation du campement sur ses terres. La survie de leur exploitation dépend des conditions de vente d’une récolte soumise aux aléas climatiques et perpétuellement menacée par toutes sortes de calamités. Souvent amenés à hypothéquer leur propriété pour surmonter l’adversité, ceux-ci vivent avec la crainte continuelle de la ruine qui entraînera leur expulsion et la vente de leurs biens au plus offrant.

*****

  Travailleurs saisonniers mal payés, logés dans des conditions indignes ; bilans déficitaires des petites exploitations ruinées à la première calamité climatique ou phytosanitaire ; pression sur le prix d’achat des récoltes par la chaîne des intermédiaires commerciaux ou les centres d’achat des grandes surfaces de vente aux consommateurs ; sur le marché local,  acheteurs attirés par le prix des fruits et des légumes importés cultivés par une main d’œuvre très bon marché souvent sans protection sociale ;  ordres boursiers spéculatifs transmis d’un simple clic, en temps réel, par de grands groupes financiers ; quelque soixante-quinze ans plus tard, les problèmes évoqués dans ce roman sont, hélas, encore d’actualité.

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John STEINBECK (1902~1968) – La Perle ; The Pearl (1945)

Traduction de l’anglais par René VAVASSEUR et Marcel DUHAMEL

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John STEINBECK (1902~1968)

Lune noire (1994) – The Moon is Down (1942)

Traduction de l’anglais par Jean Pavans ¹

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John STEINBECK (1902~1968)- À l’est d’Éden - East of Eden (1952)

Traduction de l’anglais par J.-C.Bonnardot

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Montage photo réalisé par ColineCelia avec des photos provenant des sites suivants :

http://www.bpi.fr/fr/les_dossiers/histoire/le_new_deal/les_ecrivains.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9cheresse

La dernière pomme (Photo NMS)

Note :

1) Edmond MICHEL-TYL (1891-1949) était un romancier français (La vallée des mystères -1939 ; Enfin le bonheur – 1941).

Il est surtout connu comme traducteur anglais-français. Il a traduit des romans de William IRISH, John STEINBECK, Erskin CALDWELL, Francis ILES, Raphaël SABATINI, Rex STOUT, Hugh AUSTIN, P.C.WREN, David FROM, Dashiell HAMMETT, Erle Stanley GARDNER, Neil GORDON, J.S. FLETCHER, Raoul WHITFIELD, Sidney FAIRWAY, Seldon TRUSS, Whit MASTERSON.

Il a traduit notamment 37 romans de la série "Les Aventures du Saint" de Leslie CHARTERIS pour les éditions Fayard dans les années 1930 jusqu’à sa mort.

Il a écrit des adaptations des ouvrages de l’écrivaine américaine France PARKINSON KEYES  et a adapté sous forme romanesque en français 39 autres aventures du héros Simon Templar dit « Le Saint », à partir de diverses pièces radiophoniques, ou en s’inspirant très librement d’une bande dessinée publiée dans le New York Times. Après la mort de son époux, Madeleine MICHEL-TYl continua l’œuvre d’adaptation de son mari jusqu’aux années 1960.

 

 

25 février 2015

Michel del CASTILLO (1933) - Rue des Archives (1994)

Michel del CASTILLO (1933) - Rue des Archives (1994)

Averti du décès de Candida par la fille de son dernier mari, Félix, Michel del CASTILLO trie et range les affaires de sa mère envers laquelle il éprouva un amour fusionnel dans son enfance. L'auteur tente d'éclairer l'énigme que fut Candida, alias Isabel, alias Isabelita, alias Blanche Azéma, alias Victoria et de recomposer sa vie par rapport à la sienne.

rue des archives 

L'homme qui a  su transcender ses souffrances dans son œuvre et qui est devenu un écrivain reconnu, se fait complice et confident de son double Xavier (prénom de son frère aîné), l'enfant de neuf ans victime des tribulations maternelles puis abandonné à Paris sur un trottoir du boulevard Haussmann.

Les archives révèlent une Candida, mégalomane, manipulatrice, affabulatrice, égoïste, mythomane qui a exploité son entourage toute sa vie et particulièrement ceux qui l'aimaient, son fils et aussi le pauvre Félix, éternel amoureux transi, quoique lucide.

Candida était une femme émancipée pour l'époque. Elle masquait sa fragilité sous une accumulation de mensonges telle, que cette enveloppe protectrice finissait par l'étouffer ou par craquer. C'était alors la fuite, l'abandon, la trahison de ceux qui l'avaient protégée jusque là, pour aller se construire une nouvelle vie ailleurs, dans une autre gangue de mensonges… Démasquée, elle n'hésitait pas, afin d'échapper à sa nudité, à retourner vers d'anciens nids, à rapiécer momentanément ses oripeaux dans l'attente d'une  nouvelle aubaine. Il lui arrivait parfois de considérer lucidement sa façon d'agir, mais elle ne pouvait s'empêcher de récidiver.

transformation femme

Michel del CASTILLO décrit la déchéance de sa mère à la fin de sa vie. Malgré toutes ses turpitudes, des personnes lui restaient attachées, étaient encore "bluffées" par ce qu'elle fut. Il restait encore des personnes dont elle n'avait pas réussi à se faire détester ! Sans scrupule, cette femme alla jusqu'à tenter de faire vendre aux trois pauvres femmes qui ont élevé son fils Aldo, leur modeste maison, leur unique bien.

Candida avait une relation maternelle malsaine qui l'a conduite à exploiter la sensibilité et de l'amour de Michel. Aldo, un des frères de Michel, avait le même caractère que sa mère. Mais c'était, chez lui, sans aucune mesure, ni la moindre conscience. Le duo Candida-Aldo, quand ils se retrouveront, portera au paroxysme les méfaits consécutifs à leur mégalomanie, leurs combines et leur goût du luxe.

Michel, le fils, n'accable pas sa mère de reproches. Son double, Xavier souffre, prostré, affectant l'inattention lors des découvertes pénibles souvent sordides, replié sur sa souffrance d'enfant, jouet du destin. Michel del CASTILLO, écrivain, analyse froidement la situation, conscient que son équilibre affectif et mental nécessitent de se détacher de l'emprise de sa mère.

Les "pourquoi ?" de Xavier ne trouveront pas de réponse. Les "comment ?" de l'écrivain seront partiellement éclaircis.

Michel del CASTILLO aborde sommairement en filigrane les aléas de sa propre vie traités dans ses autres ouvrages autobiographiques : Tanguy, 1957 ; La nuit du décret ,1981 ; La Gloire de Dina, 1984 ; Une femme en soi, 1991 ; Le crime des pères, 1993 ; Mon père français 1998 ; La tunique d'infamie, 1998 ;  Les Étoiles froides, 2001 ; Les portes du sang, 2003.

Rue des archives a obtenu le Prix Genevoix (1994)

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5 février 2012

Jorge SEMPRÚN (1923) - La deuxième mort de Ramón Mercader (1969)

Jorge SEMPRÚN (1923) - La deuxième mort de Ramón Mercader (1969)

     Que de monde, ce matin du 13 avril 1966, autour de la Vue de Delft ! Au Musée royal du Mauritshuis, une meute d’hommes se relaient discrètement de salle en salle. Les tableaux exposés ne les intéressent pas. Les voient-ils seulement ? L’objet de leur attention est un homme au regard sombre, grand, brun, à forte carrure, qui semble se fondre dans l’œuvre de Vermeer puis médite devant cette petite toile de Carel Fabritius représentant un oiseau enchaîné, le Chardonneret, et enfin revient vers la Vue de Delft avant de s’en éloigner, incommodé par l’arrivée d’un couple accompagné d’un garçonnet d’une dizaine d’années.

Vue de Delft de Vermeer au MaurihuisLe Chardonneret Carel Fabritius

 

     Depuis Madrid, les hommes de la CIA sont sur la trace d’un Espagnol, directeur adjoint d’une société de commerce avec les pays du bloc de l’Est, en voyage d’affaires à Amsterdam. Ramón Mercader cache son identité réelle et son activité d’agent secret au service de l’URSS, sous couvert de la signature de deux contrats avec une société d’importation hollandaise et une mission commerciale de l’Allemagne de l’Est.

     Une équipe de spécialistes du renseignement de la RDA se trouve aussi à Amsterdam, depuis une semaine, sur la piste d’un des agents américains, un certain George Kanin de retour d’une mission qui a mal tourné à Dresde.

     Un enchaînement de phénomènes indépendants les uns des autres se met en place. Dès qu’il prend conscience qu’une trahison est l’origine du piège qu’il sent se refermer sur lui, Mercader tente d’échapper quelques heures à la filature dont il est l’objet, afin d’alerter l’agent de contact du service à Zurich.

   Le lendemain, Ramón Mercader sera retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel d’Amsterdam. Son décès, qualifié de suicide, conclura l’opération Humpty-Dumpty américaine(1), tandis que les services du contre-espionnage soviétiques tenteront de le faire passer pour traître au moyen d’un dossier truqué. Le mécanisme de la trahison se démontera petit à petit. La vérité mise à jour, toutes ses conséquences possibles resteront ouvertes ...

220px-HumptyDumpty

     À travers l’histoire de ses personnages et sa propre histoire, l’auteur revient sur l’histoire du mouvement communiste de la guerre d’Espagne, à la mort de Staline et les années qui ont suivi le XXe Congrès(2). Ni reportage, ni réquisitoire, son livre est une longue méditation sur le destin d’une révolution qui a nourri tant d’espoirs, mais qui a déçu  ses adeptes et ses soutiens les plus convaincus. 

 *****

     Nous sommes en présence d’un livre qui sollicite l’attention soutenue de ses lecteurs. Sa lecture ne s’improvise pas. Il faut prendre le temps de le lire et ne pas hésiter à le relire. On appréciera la richesse du texte et la qualité de la langue, d’autant plus remarquable qu’elle n’est pas la langue maternelle de l’auteur.

     La chronologie du récit est bouleversée par des projections dans le futur, des retours récurrents sur le passé, entrecoupés d’extrapolations inabouties, de rapprochements de faits sans rapport entre-eux.

Des chapitres, s’interrompent sur une phrase inachevée, terminée au début du chapitre suivant ou laissée en suspens. Il arrive qu’un espace blanc, suivi d’un retour à la ligne s’insèrent dans une phrase.

     Les objets sont porteurs de sens. Ils sont des témoins, des partenaires de tranches d’existence humaine. Leurs longues descriptions sont sans rapport avec le fil de l’histoire, coupées de parenthèses, dans lesquelles se glissent les réflexions personnelles de celui qui s’y intéresse ou de l’auteur. Les objets attisent la réminiscence d’expériences antérieures, les plus douloureuses ayant été volontairement occultées pour pouvoir y survivre.

     L’auteur fait des retours sur des faits anodins en apparence pour les situer dans leur contexte psychologique et objectif.

     Le même évènement peut être repris selon différents points de vue.

La narration peut être faite par SEMPRÚN lui-même ou différents personnages, coupée sans transition, dans le même paragraphe, voire la même longue phrase, d’une remarque personnelle, d’une évocation autobiographique, d’une confidence de l’auteur, d’un rappel historique ou littéraire.

     Les personnages n’ont pas d’image globale. Parfois, un élément seulement de leur physique est précisé. Dans ce roman, le lecteur connaît leur nom, mais ce sera à lui de le rapprocher de leurs autres identités éventuelles.

     Le nom du héros, Ramón Mercader, sert de charnière entre la fiction que nous suivons et l’histoire qui se rattache à la grande Histoire de son homonyme connu pour avoir assassinné Léon Trotski (1879~1940)(3). Meurtre, sur lequel SEMPRÚN reviendra plusieurs fois, dont il confie l’exposé de la reconstitution à un de ses personnages, un cinéastre américain, logé dans le même hôtel que l’Espagnol, qui projette de la mettre en scène.

   Des scènes sans rapport avec le propos du roman sont aussi minutieusement et longuement traitées que si elles faisaient l’objet même de la narration.

     L’auteur associe le lecteur à son écriture en se prétendant dépassé par l’irruption de faits fortuits. Il développe alors des scènes telles qu’il les avait imaginées, avant d’en donner la version consécutive au bouleversement du cours des évènements.

 *****

    L’époque de Guerre froide entre 1945 et 1991 a été prolifique en romans d’espionnage, souvent écrits par d’anciens agents des services secrets, sur les luttes sournoises entre les pays des deux blocs rivaux. Par le sentiment d’angoisse qu’il génère, le récit fertile en péripéties de Jorge SEMPRÚN ne déroge pas à ce genre littéraire. Cependant, ce n’est pas un thriller au sens commun du terme. Nous avons vu plus haut qu’il est marqué par le courant du nouveau roman qui a révolutionné les normes romanesques traditionnelles dans les années 1950-1970.

     Le livre est paru en 1969. L’Espagne vivait encore sous le régime franquiste (1939 à 1975)(4). À la suite du XXe congrès (1956), le parti communiste français avait renforcé son orthodoxie à l’égard de Moscou. En rappelant publiquement les turpitudes de l’époque stalinienne et les dérives du totalitarisme soviétique, il fallait bien du courage, aux intellectuels comme Jorge Semprun, pour faire face à la vindicte qui s’élevait de la place du Colonel Fabien(5), encore à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix.

     Le Prix Femina en 1969  a  été attribué à Jorge SEMPRÚN pour La deuxième mort de Ramon Mercader.

Notes :

1 Humpty Dumpty sat on a wall.
Humpty Dumpty had a great fall.

All the king's horses and all the king's men
couldn't put Humpty together again.

 

Humpty Dumpty sur un muret perché.
Humpty Dumpty par terre s'est écrasé.

Ni les sujets du Roi, ni ses chevaux
Ne purent jamais recoller les morceaux.

 

Lien vers la source Texte et illustration:

Pour écouter la comptine cliquez ici

 Pour regarder  et écouter un petite  vidéo illustrant cette comptine 

Vidéo de Humpty Dumpty

cliquez ici

2 - Nikita Sergueïevitch Khouchtchev (1894~1971), devint membre du Præsidium et secrétaire du Comité central d’URSS en 1952. Il succéda à Staline (1953), au poste de premier secrétaire du Parti communiste d’URSS et mena une politique de « déstalinisation ». En février 1956, les crimes de Staline furent dénoncés au XXe Congrès du PCUS (‘’rapport secret’’).

 3 - Léon Trotski : Après le mort de Lénine, Lev Davidovitch Bronstein, dit Lev Davidovitch Trotski, en français Léon, s’opposa de plus en plus nettement à Staline, dont il dénonça particulièrement la politique d’édification du socialisme dans un seul pays ; il fut bientôt rejoint par Zinoviev (1883~1938) et Kamenev (1883~1936), en 1925. Démis de ses fonctions (1925), exclu du parti (1927), déporté dans le Kazakhstan, puis expulsé d’URSS (1929), il vécu à Constantinople, en France, en Norvège, enfin au Mexique, ne cessant de lutter contre la politique de Staline (1879~1953) et fondant la IVe internationale. Il fut assassiné sur ordre de Staline, par un agent du service secret du Guépéou, Ramón Mercader (1913~1978), (alias Jacques Mornard, alias Jackson) en mai 1940 avec un pic à glace dans sa maison de Coyoacán un quartier de Mexico. Sources : Le Petit Robert des noms propres

 4 - Après 1960, l’Espagne bénéficia d’un renouveau économique tout en restant soumise aux influences des éléments traditionnels : l’Église, l’armée, la Phalange. La Constitution de 1966 avait élargi le nombre des électeurs et établi le principe de la succession de Franco. Cependant, l’évolution du régime était très lente. Les mouvements d’opposition (ouvriers, étudiants, intellectuels), qui  étaient très forts à Madrid, au Pays basque et en Catalogne, entraînèrent la proclamation de « l’état d’exception » de janvier à mars 1969. Sources : Le Petit Robert des noms propres

 5 - Place du colonel Fabien : Elle est surtout connue en raison de la présence du siège du Parti communiste français, conçu par l'architecte brésilien Oscar Niemeyer. Avec l'arrivée au pouvoir de la dictature militaire au Brésil, Niemeyer part en France où il fut le concepteur de plusieurs édifices, tels que le siège du Parti communiste français, place du Colonel Fabien à Paris (1965-1980), le siège du journal L'Humanité à Saint-Denis (1989), ou encore la Bourse du travail à Bobigny. Sources :

http://www.editoweb.eu/nicolas_maury/Place-du-Colonel-Fabien_a489.html

Jorge SEMPRÚN (1923) - Le grand voyage (1963)

12 juin 2011

Jim HARRISON (1936) – De Marquette à Veracruz(2004)

Jim HARRISON (1936) – De Marquette à Veracruz(2004)

traduit de l’anglais par Brice MATTHIEUSSENT[1]

 

« Je ne me déteste pas, mais j’ai la mâchoire suffisamment saillante pour me rappeler mon arrière-grand-père, mon grand-père et mon père. J’ai eu beaucoup de chance quand les traits délicats de ma mère ont modéré mon héritage paternel, moyennant quoi les plus vieux habitants de la Péninsule Nord du Michigan ne se détournaient pas aussitôt de moi, réduits au silence par le malaise et l’effroi. », ainsi se décrit David Burkett, quatrième d’une lignée de David Burkett remontant aux années 1860. Pourtant né avec une cuiller d’argent dans la bouche, mais il se considère porteur d’une tare rédhibitoire et n’aura de cesse de la repousser. Il ne la crachera qu’à l’issue d’un itinéraire de formation de trois décennies qui se soldera à Veracruz.

Les deux premiers David ont bâti leur fortune sur l’extraction drastique et le commerce de milliards de stères de bois d’œuvre de la Péninsule Nord  du Michigan.

 Contrairement à Cynthia, sa sœur cadette, délurée, teigneuse et provocatrice, le garçon est un tendre, soucieux du regard porté sur lui par autrui, rêveur, amoureux de la nature et passionné de parties de pêche en compagnie de son ami Glenn. Leurs parents vivent des rentes des fortunes héritées de l’exploitation des ressources naturelles du Sud du Lac Supérieur par leurs  aïeux. Ils partagent leur vie oisive en loisirs et fêtes, fréquentant des nantis de même acabit, entre Marquette l’hiver où se trouve la maison familiales, sur leurs lieux de vacances respectifs où leur bungalow au sein d’un club privé.
         Lorsque nous faisons sa connaissance dans les années soixante, le narrateur est un adolescent en pleine crise identitaire. Comment s’identifier à ces Burkett capables de tout pour assouvir leur avidité? Comment s’identifier à ce père, David le troisième, cet ivrogne pervers, roublard, en tête du palmarès du viol de gamines à peine pubères, cet homme égoïste, imbu de son statut social, qui se place au-dessus de la morale commune en achetant le silence des victimes de ses obsessions  pédophiles et de ses orgies ? Quelle consolation trouver auprès d’une mère malheureuse, réfugiée dans l’oubli procuré par l’alcool et les antidépresseurs ?

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Source de l'image : cliquez ICI

Le repentir par procuration de David commence par une conversion à l’église méthodiste[1], église schismatique de l’église anglicane épiscopalienne à laquelle appartient sa famille, afin de devenir pasteur. La méthode du pasteur John Wesley renforce sa hantise de rachat du péché originel et de sanctification personnelle. Le jeune homme renoncera au sacerdoce et décidera de se consacrer à la dénonciation des déprédations irréversibles exercées par sa famille.
         Le père de David est assisté de Jesse son homme à tout faire. Jesse, d’origine mexicaine a obtenu la nationalité américaine pendant la guerre du Pacifique où il a servi sous les ordres de Mac Arthur avec son patron. Il a décidé de revenir avec sa fille, Vera, d’une de ses visites annuelles à sa famille restée au Mexique. Promu répétiteur de Vera pour l’apprentissage de l’anglais, David en tombe secrètement amoureux. Sa protégée est une fillette intelligente et enjouée d’une douzaine d’années qui diffuse son entrain et sa bonne humeur à toute la maisonnée. C’est le viol de cette enfant par M. Burkett père qui provoquera la dislocation de la famille. Un délit resté impuni, évidemment !

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Source de l'image : cliquez ICI

          Enceinte à seize ans d’un condisciple du lycée, Cynthia est la première à fuir cette ambiance folle. Situation d’autant plus scandaleuse, pour une fille d’une grande famille du Mississipi, que le père est Donald, un sang-mêlé finnois et indien chippewa, fils du fidèle jardinier Clarence, vétéran de la guerre de Corée.

        La progression du cheminement vengeur de David  s’identifiera rapidement à un parcours initiatique. Il est soutenu par Fred, l’oncle pasteur alcoolique «qui jouait les funambules entre deux mondes», attiré par les philosophies asiatiques, écarté du ministère sur plainte de ses paroissiens. Son affection pour sa sœur Cynthia et pour Carla sa chienne, les femmes qui ont compté pour lui, Laurie son premier amour, Riva la Noire qui a consacré sa vie aux enfants en difficulté, Polly son ex-épouse avec laquelle il ne voulait pas avoir d’enfant, Vernice la poétesse, aideront à sortir ce « pète-sec » de son petit moi. Les  travaux d’endurance en compagnie des travailleurs manuels, l’écoute des démunis, des victimes de l’exploitation des territoires du Nord, de Clarence et de Jesse le feront émerger de son exil expiatoire et de ses contradictions. Toutes ces rencontres l’aideront à approfondir  ses motivations, à réfléchir sur les problèmes existentiels que sont la religion, le désir, le sexe, l’amour, le sens de la vie, la mort.

PAPO Le plongeon huard

 

David constatera la naïveté de jeter l’opprobre sur les générations antérieures. La cupidité de ses ancêtres n’est pas vécue par les bûcherons survivants de la manière qu’il imagine, c’était le bon temps qui leur fournissait un travail certes dangereux, rude et pénible, mais il permettait de nourrir leur famille. Le malaise et l’effroi qu’il croit percevoir chez eux ne concernent-il pas plutôt l’usage que la génération présente fait de sa fortune et de l’orientation de son appétit du gain ? Surpris de la réticence de ses amis désargentés envers sa générosité financière, cet enfant gâté découvrira que l’argent s’échange. Sans contrepartie de sa part, le bénéficiaire se sent avili.

Goinfrerie et cuisine élaborée, beuveries à la bière, au whisky et dégustation de vins fins, débordements érotiques et retenue puritaine, haine et amour, fortunes colossales et misère, détails triviaux et méditations philosophique, théologique et culturelles, propriétés luxueuses et modestes chalets inconfortables, immensité des magnifiques paysages et friches lamentables, abondance de gibier et massacre d’espèces animales,  solitude absolue et promiscuité des cités, monotonie des routes interminables et encombrement urbains, liberté des grands espaces et regroupements ethniques, enfermement volontaire de riches résidents, froids polaires, tempêtes de neige, orages terrifiants, chaleur accablante,  villes gigantesques  donnent un aperçu des excès de l’Amérique du Nord contemporaine.

PAPO Opossum

Les lecteurs prennent connaissance du dénouement de l’histoire dès le début du roman. Pourtant, au cours de la lecture, quelques doutes naissent quant à la nature de cette page et demie écrite en italique et puis non, on la retrouve bien à la fin. Entre ces pages, une partie est consacrée à chaque décennie, les années soixante,  les années soixante-dix, les années quatre-vingt dans lesquelles la chronologie n’est pas toujours suivie. Un épilogue termine la narration.

Dans les romans précédents Dalva (1987), puis La Route de retour (1998), Jim HARRISON avait abordé les conséquences de l’invasion des immigrants européens en Amérique du Nord sur le sort des populations autochtones. Dans De Marquette à Veracruz, il élargit le thème vers celui du comportement des hommes envers la nature, leur héritage commun. Il resitue la colonisation européenne de l’Amérique, l’asservissement et l’extermination des populations autochtones dans la continuité de l’histoire universelle de l’humanité. Il remet l’espèce humaine à la place de prédateur qu’elle occupe depuis la nuit des temps et souligne la légèreté de sa conduite égocentrique, laquelle provoque des dégâts irréversibles sur l’environnement jusqu’à compromettre l’équilibre la biodiversité de notre planète

Lien vers :

BIOGRAPHIE ET BIBLIOGRAPHIE de Jim HARRISSON

http://colinecelia.canalblog.com/archives/2011/01/23/20197744.html

LE PIN BLANC D’AMÉRIQUE - LES CONSÉQUENCES DE SA SUREXPLOITATION AU XIXe SIÈCLE DANS LE MICHIGAN

Jim HARRISON (1936) – Retour en terre (2007) suite de De Marquette à Veracruz

http://colinecelia.canalblog.com/archives/2011/07/03/21533906.html


[1] Le méthodisme, l’Église épiscopalienne, John Wesle, voir ORIGINE DE QUELQUES EGLISES PROTESTANTES  : http://colinecelia.canalblog.com/archives/2011/06/26/21487081.html



[1] Brice MATTHIEUSSENT (1950) est diplômé de l’E.N.S. des Mines de Paris (1973), est titulaire d’une licence et Maîtrise de philosophie (1974) et d’un doctorat d’Esthétique. Il enseigne l’histoire de l’art contemporain et l’esthétique à l’École Supérieure des Beaux-arts de Marseille depuis 1990 et enseigne aussi  à l’École Nationale Supérieure de la photographie à Arles. Il participe aussi au Mastère de Traduction Littéraire de Paris. Il est traducteur de nombreuses fictions de langue anglaise depuis 1975 et est directeur de collection aux Éditions Bourgois à Paris depuis 1990. Il auteur d’un roman paru en 2009, Vengeance du traducteur.

 http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=auteur&numauteur=250

"Jim Harrison de A à X" de Brice MATTHIEUSSENT

http://www.christianbourgois-editeur.com/une-nouvelle.php?Id=50

 


10 avril 2011

Yann QUEFFÉLEC (1949) - Les Noces barbares (1985)

Yann  QUEFFÉLEC (1949) - Les  Noces barbares (1985)

 

Déroulement du récit :

     Tout a commencé par un mensonge l’après-midi de la Saint-Jean. Une adolescente de treize ans, Nicole, n’était pas à la plage comme le croyaient ses parents, mais au dancing du bar du Chenal. C’est là que Will l’a abordée. Will disait être un pilote militaire américain d’une base de Gironde. Ses compliments flatteurs, ses yeux verts fascinants avaient ému la jeune fille. Le charme de Will avait aussi agi sur madame Blanchard et sur son époux. Depuis deux mois, le jeune homme menait sa cour rondement, avait même parlé mariage. Nicole irait vivre dans le Michigan en Amérique ! « Hé bé... faudra voir avec le temps... Faudra voir à voir. », avait conclu sentencieusement monsieur Blanchard.

      La présence du camp américain ne se justifie plus en ce début des années 1950. Il ferme. Les soldats retournent au pays. Une soirée d’adieu y serait organisée. Grâce à un nouveau mensonge, pour rejoindre Will, Nicole a pu échapper à la vigilance de ses parents comme à celle de Nanette, sa cousine, chez qui elle est censée passer la soirée.

     La réalité de la fête est un horrible traquenard que Will a tendu à l’adolescente. Le camp est désert, son évacuation est terminée. Dans une débauche alcoolique et obscène, ils sont trois à se la disputer, à la bousculer et à la violer, la nuit durant. C’est une Nicole en larmes, détruite, ensanglantée, robe en lambeaux qui, au petit matin, se réfugie chez Nanette.

     De ces « noces barbares », un garçon est né. Ludo a pour tout héritage, les yeux verts de Will. À la naissance, Ludo a déjà un lourd passé. Il a dû surmonter les effets des diverses potions abortives, solutions de bonnes femmes et les multiples manœuvres imposées par madame Blanchard à sa fille pour « décrocher » le fœtus. L’enfant, nié par sa mère, refusé par ses grands-parents, est relégué dans le grenier.

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     Autodidacte, Ludo tente d’interpréter le monde de la lucarne donnant sur la cour, à travers une fente du plancher au-dessus de la chambre de Nicole et par les éclats des imprécations des habitants de la maison. Coupable d’être né, il voudrait être pardonné, regardé par sa mère. Comment, cette gamine de quatorze ans pourrait-elle ne pas revivre à travers lui et ses yeux verts le cauchemar de sa nuit au camp d’Arzac ? - L’enfant n’est pas normal, « Il a le singe », il faut le placer, scande la boulangère. Nanette qui l’a élevé dans sa petite enfance, est seule à s’intéresser à lui et à lui porter affection.

Dessin_de_Ludo_2     Nicole se marie avec un mécano enrichi, Michel Bossard. Les boulangers sont satisfaits de ce mariage de convenance. Si Micho a quinze ans de plus que leur fille et est père d’un gros garçon d’une dizaine d’années surnommé Tatav. Le prétendant est disposé à épouser la fille-mère incasable et reconnaît même l’enfant. De plus, il possède, la plus belle propriété du pays.

     Dans sa septième année,  Ludo quitte donc son antre-grenier pour une chambre aux  Buissonnets où il agrémente de rituels ésotériques les charges domestiques que Nicole lui impose. Quêtant en vain d’obtenir une preuve d’amour ou seulement le regard maternel, il est balloté entre les exigences, les rebuffades, les reproches, les accusations de la jeune femme. Souffre-douleur de Tatav, à qui il sert de faire-valoir dans ses passions sadiques et scatologiques, tout en partageant avec lui une certaine complicité.

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     Conduit par Nanette, l’enfant « asocial» fait son entrée à l’école du village où il est en proie à la solitude et aux sarcasmes cruels des grands, mais se montre capable de lire et écrire. En l’absence de Tatav, aux Buissonnets, le garçon est livré à lui-même en dehors de son service. Au retour de l’école, il fait un détour par le port. De son nouveau « niglou » du côté du wharf,  il laisse divaguer son imagination et donne consistance à ses rêves, contemplant la mer.

Dessin_de_Ludo_5     Nicole, toujours hantée par son amour brisé, ne trouve pas la paix. Elle cherche vainement une issueLa_Floride_Renaultdans l’alcool et la vitesse à bord de la Floride[1] que Micho lui a offerte. Malgré la patience et les attentions généreuses deMicho, elle méprise son mari plus âgé qu’elle et rustique à ses yeux. Soutenue par le harcèlement continu de sa mère, elle n’aura de cesse de convaincre Micho de faire enfermer Ludo dans une institution pour débiles mentaux. Mademoiselle Rakoff, une cousine de Micho, accepte de prendre l’enfant dans le pensionnat « spécialisé » privé, qu’elle  dirige.

     De nombreux pensionnaires de l’établissement sont des adultes atteints de débilité ou de divLes_dessins_de_Ludo_2erses pathologies mentales, placés là par des familles fortunées. « Calmés » par de mystérieuses pilules blanches, ils sont confinés dans leur déficience par les surprenantes méthodes psychothérapiques et pédagogiques de Melle Rakoff. Ludo souffre de cet enfermement. Les mois se succèdent, presqu’une année passe. Il attend en vain une visite dominicale ou une réponse de sa mère à ses lettres. Dans sa chambre illustrée de ses étranges dessins reproduits à l’infini, en proie à des rêves récurrents, désespéré, Ludo se laisse dépérir ou, mouton noir d’un troupeau de moutons blancs, il défie la discipline de l’établissement. La nuit, déjouant l’espionnage d’Odilon le nain cafteur, il se faufile dans les couloirs, le réfectoire vide, les caves et le parc du château et découvre la sexualité et les secrets des habitants des lieux. Révolté, il s’enfuit le soir de Noël, après avoir mis le feu à la crèche perpétuelle.


     Le fugueur, après avoir erré sans repère dans la forêt de pins, arrive sur une plage bordelaise déserte et trouve asile dans l’épave d’un bateau échoué, en attente de découpage par les ferrailleurs. Devenu «saisonnier, hors saison », il  y vit protégé par les tenanciers de l’épicerie-buvette du village voisin et Francis Couélan, un ex-bagnard de Cayenne qui habite une caravane près de la plage. Toujours habité par l’obsession de la reconnaissance maternelle, il écrit des lettres enflammées à Nicole.

 Mademoiselle Rakoff imagine déjouer la méfiance de Ludo par une ruse afin de le capturer et le faire enfermer dans un asile d’aliénés. Nicole servira d’appât. Dans ce but, cette dernière vient voir son fils et joue la comédie. Dans le bateau-maison, au cours de la confrontation, le garçon plonge enfin les yeux dans le regard qui le fuyait derrière la main noire auréolée de roux. Une métamorphose se produit, ébauche de l’épisode qui achèvera leurs noces barbares.


Les_dessins_de_Ludo

 

Commentaire :

La narration est faite avec sensibilité et empathie.  Yann QUEFFELEC se place aux côtés des victimes, Nicole l’adolescente naïve, Ludo l’enfant rejeté et enfermé. La presse et les médias d’actualité font état régulièrement, hélas, de faits similaires de jeunes adolescentes violées « en réunion », de la découverte d’enfants martyrs séquestrés durant des années à l’insu de tous, ou de conséquences terrifiantes de « déni d’enfant ». On souhaiterait que cette histoire ne soit qu’une accumulation de situations singulières. Il est, hélas, des êtres sur qui le malheur s’acharne !

      Dépassant le réalisme, Yann QUEFFÉLEC a su jouer de cette accumulation pour faire une épopée du passage sur terre de Ludo. L’intérêt du roman est aussi dans la psychologie des personnages. Le roman a été écrit dans la première moitié des années 1980. Yann QUEFFÉLEC a été sensibilisé depuis plus d’une décennie à l’expérience de psychanalystes américains mise à la portée de non-spécialistes par des émissions de télévision et la parution de leurs ouvrages destinés au grand public.

Les personnes qui évoluent dans l’univers de Ludo sont socialement considérées saines d’esprit. Cependant, au fil des pages, on s’aperçoit que le garçon est cerné par une fatalité implacable. Il est entouré d’êtres dans l’incapacité de le comprendre, habités par leurs propres psychoses : les parents Blanchard obsédés par le « Qu’en dira-t-on ? », un compagnon pervers, Tatav, élevé aussi sans mère, Mademoiselle Rakoff fétichiste morbide. Ils s’acharnent sur le plus faible. Ludo cumule sa détresse affective avec son ignorance des codes sociaux habituellement transmis par la famille.

Nanette souffrait de la mort en bas âge de son fils. Nanette a aidé le petit garçon, mais elle est morte. Micho était meurtri par la mort tragique de sa première épouse. Il pensait que Ludo n’était pas aussi bête qu’on prétendait, qu’il pourrait lui apprendre son métier. Micho était généreux mais complexé par ses origines très modestes. Il n’était pas armé pour s’opposer aux exigences de Nicole, laquelle savait habilement user de chantages pour faire aboutir ses désirs. Au village des Forges, il a trouvé des protecteurs discrets le couple illégitime des épiciers-cafetiers et un ancien bagnard violeur d’une vieille femme qui a payé sa dette à la société. Tous trois marginaux ! Sans pouvoir !

Au fur et à mesure du déroulement du récit, l’étau se serre sur Ludo, la fin tragique du récit devient inéluctable.

On ne peut qu’applaudir ce choix fait par le jury du Prix Goncourt qui a récompensé en 1985 ce second livre de Yann QUEFFÉLEC.

 

Voir : Yann QUEFFÉLEC (1949) – BIOGRAPHIE – BIBLIOGRAPHIE

[1] Lancée en 1959, la Floride marque l’avènement de l’automobile plaisir. L’élégance raffinée de cette jolie décapotable séduit. Sa ligne pure, née d’une collaboration avec les carrossiers italiens Ghia et Frua, ainsi que ses teintes recherchées en font une voiture raffinée qu’adoptent certaines vedettes du spectacle.

http://www.renault.com/fr/passionsport/les-vehicules-historiques/pages/renault-floride.aspx

 


 

11 novembre 2012

William FAULKNER (1897~1962) - The Sound and the Fury – Le Bruit et la Fureur (1929)

 William FAULKNER (1897~1962) - The Sound and the Fury – Le Bruit et la Fureur (1929)

Traduit de l’américain par Maurice Edgar COINDREAU (1972)

William_Faulkner

 Origine de la photo de William Faulkner

 http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Faulkner/119122

Cliquer sur les liens pour accéder aux fichiers au format PDF

 

William_FAULKNER_1897_1962___Le_bruit_et_la_fureur_1929

 

Composition_de_la_famille_COMPSON_de_1900_à_1910

 

Composition_du_foyer_COMPSON_de 1926_à_1928

 

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William FAULKNER (1897~1962) – Les Palmiers sauvages (1952)     

WILLIAM FAULKNER (1897~1962) - BIOGRAPHIE - SES NOUVELLES - SES ROMANS 

9 novembre 2014

David FOENKINOS (1974) - Les souvenirs (2011)

David FOENKINOS (1974) - Les souvenirs (2011)

Tout commence par un enterrement, celui du grand-père du narrateur. Un détail suffit à faire basculer la vie d'un être cher, un détail grotesque, digne accessoire d'une péripétie comique de cartoon, un détail navrant, un pied posé sur une savonnette mouillée, un corps brisé et l'agonie de la victime qui ne se remet pas de sa chute dans la douche.

La mort du grand-père marque le début d'une chronique d'évènements qui vont faire sortir le narrateur, héros du récit, de son train-train quotidien. Écrivain en mal d'inspiration, le jeune homme est veilleur de nuit dans un hôtel parisien. Quand il ne traîne pas dans les allées du cimetière à la recherche d'une éventuelle âme-sœur entraperçue le jour de l'enterrement de son aïeul,  le narrateur observe d'un regard  détaché ses parents dépressifs depuis qu'ils sont en retraite : un père désemparé qui comble le vide de ses journées devant une télé perpétuellement allumée; une mère qui fuit le tête-à-tête par une succession de voyages, puis une grave dépression dont elle se remettra dans les bras d'un jouvenceau.

Je voulais vivre une vie un peu héroïque, enfin rien de sportif, mais disons que j'avais choisi de devenir veilleur de nuit en pensant que cela faisait de moi un marginal.

Une chute de la grand-mère, qui vit maintenant seule dans son appartement, décide ses enfants à tenter de la convaincre d'aller vivre désormais dans une résidence pour personnes âgées. En retrait par la barrière d'une génération, satisfait de se sentir dispensé de prendre parti, le narrateur rapporte le déploiement d'arguments avancés par son père et ses oncles afin de vaincre les refus catégoriques de la vieille dame. Réalisant qu'elle est devenue un poids aux yeux de ses fils, cette dernière finit par céder.

Lorsqu'il vient la voir à la maison de retraite,  le jeune homme se trouve souvent devant une personne apathique, sans désir, feignant la résignation. Au fil des visites, il considère les pensionnaires de l'établissement autrement qu'à travers leurs infirmités présentes. Luttant contre l'abattement généré par les lieux d'une tristesse affligeante et la laideur de la décoration, tous deux s'amusent à lire, sur les menus gastronomiques affichés dans le hall, les noms pompeux attribués aux plats minables concoctés pour des convives édentés. Ils finissent par se prendre d'amitié pour une croûte horrible accrochée au mur du couloir, représentant une vache dans un pré. Ils iront jusqu'à rencontrer l'auteur, un peintre raté, à l'occasion de l'anniversaire de la grand-mère.

-C'est surtout le tableau de la vache... ça peut vous paraître excessif... mais je dois vous avouer que nous vouons une sortes de culte à ce tableau...

La grand-mère s'est forgé, dès l'enfance, un dynamisme à toute épreuve pour surmonter les vicissitudes de l'existence. Mue par son tempérament combatif, décidée à raviver ses meilleurs souvenirs, la grand-mère fait une fugue. Alors que ses fils, restent désemparés et rongés d'inquiétude, son petit-fils part à sa recherche et la retrouve facilement sur les lieux de son enfance. Là, Denise vivra des instants magnifiques avant de mourir, tandis que le narrateur rencontrera l'amour. Enfin…, quelques temps! Cet amour ne supportera pas la routine du quotidien.

Une petite fille a pris la main de ma grand-mère pour lui indiquer le chemin. [...] Elle était entourée d'enfants.

Le retrait de la vie professionnelle, le placement et la vie dans les maisons de retraite,  la fin de vie, la mort, la disparité des générations, l'étiolement des relations familiales, l'usure de l'amour dans le couple, la difficulté de se comprendre et de communiquer, l'isolement des travailleurs de nuit, tout en étant décrits avec réalisme, sont évoqués avec sensibilité et tendresse, humour, parfois avec drôlerie, par le narrateur. Celui-ci tient enfin des éléments d'inspiration pour l'écriture de son premier roman.

Le texte est entrecoupé de petits textes (leur typographie est en italique) "souvenirs" de personnages principaux ou secondaires intervenant dans le déroulement de l'histoire et "souvenirs" de personnalités évoquées au cours du récit (Francis Scott Fitzgerald, Modiano, Alfred Alzheimer…).

Les Souvenirs de David KOENINOS mettent en relief des situations de la vie réelle que nombre de lecteurs ont vécu, qu'ils en soient acteurs ou témoins. Malgré le côté prétentieux qu'apportent les nombreux aphorismes parsemés dans tout le texte, cette histoire retient l'intérêt d'un bout à l'autre et est agréable à lire.

frise ribambelle

Le Prix renaudot 2014 a été attribué à David KOENKINOS pour "Charlotte" (2014) 

10 avril 2016

Michel HOUELLEBECQ (1956) - Les Particules élémentaires (1998)

Michel HOUELLEBECQ (1956) - Les Particules élémentaires (1998)

Critique des dérives et des duperies des fausses promesses des années soixante, le récit est composé de trois parties au cours desquelles les lecteurs suivent l'existence plate et morose de Michel et de son demi-frère, Bruno, tous deux confrontés à leur condition misérable. Michel Houellebecq adapte le style du roman à chacune des périodes évoquées, aussi bien par la forme que par les choix syntaxiques.

Au cours de la première partie, nous suivons le comportement des  protagonistes du récit, tels deux animaux de laboratoire, dont l'auteur nous a présenté le pédigrée et le parcours. L'intelligence scientifique de Michel ne l'aide qu'à s'enfoncer dans le matérialisme, alors que Bruno, son demi-frère laisse libre cours à son animalité, sa libido. L'intelligence d'humain de ce dernier ne l'aide aucunement à le libérer de ses pulsions.

Le narrateur s'identifie-t-il à un Super-dieu, censeur de Dieu-le-Père, contemplateur de la création sous ses aspects les plus déliquescents ? Son style aux descriptions d'un réalisme libidineux, cru, reflète les aspirations de personnages auxquels il est difficile de s'identifier tant ils se cherchent, errent sur une voie de destruction, de putréfaction, incapables de s'élever par la culture, par la rencontre des générations précédentes et de celle leurs congénères. L'échange avec autrui se limite pour chacun d'eux à l'assouvissement de ses besoins et ses envies du moment : pour Michel, une complicité platonique avec Annabelle qui l'aime ; pour Bruno, l'exhibitionnisme sexuel.

Dans les deux autres parties, Bruno poursuit  un "ailleurs" sexuel, exhibitionniste, par une quête effrénée de la parfaite fellation et une tentation pédophile, sources de son choix professionnel, de sa descente dans l'alcoolisme et la folie, jusqu'à "l'accident", cause du suicide de sa dernière partenaire.

Quant à Michel, son isolement provient  des élucubrations scientifiques et des recherches eugénistes, auxquelles il s'adonne corps et âme, visant à l'élaboration en laboratoire d'un être nouveau issu de la mutation de particules élémentaires. Dégoûté de la vie et des hommes, jusqu'à en être pris de nausées, il est incapable de percevoir l'amour que lui voue Annabelle, laquelle, découragée, par dépit, se jettera dans les plaisirs faciles et en mourra au moment où ils se retrouveront.

Les deux frères se rencontrent parfois, se côtoient, mais n'échangent pas. Après l'enterrement de  leur mère, Janine, ils se quittent et ne se reverront plus jamais.

Michel disparaît après l'aboutissement de ses recherches de synthèses moléculaires qui conduiront à la création par l'homme du premier représentant d'une nouvelle espèce intelligente "à son image" et à sa ressemblance, puis à l'extinction progressive de l'humanité.

Evolution2 par NMS

Comment la génération des grands-parents des deux "héros", des bâtisseurs, des "battants", ont-ils pu engendrer une descendance aussi égoïste et hors du temps ? Qu'a-t-elle donné en trop, ou pas assez ? Qu'a-t-elle exigé en trop ou pas assez ?

La mère, intelligente et cultivée, a fait des études de médecine. Janine s'est laissé emporter par les excès des marginaux des années soixante, au point de devenir une femme "complètement déjantée" prête  à tout expérimenter, comme faire des enfants qu'elle n'élèvera jamais et tentera même de confier aux bons soins de gourous.

Le père de Bruno est précurseur dans la création de cliniques de chirurgies esthétiques destinées masquer le naturel, à paraître autre, à masquer les outrages du temps et non à réparer et reconstruire ce qui est détruit par les accidents de la vie.

L'argent est assuré.

Ces parents, se voulant libres de toute contrainte morale et affective, se sont aussi estimés libres de ne manifester aucun amour envers leur progéniture. Ces derniers n'ayant ni référence, ni repère sont incapables d'aimer, inaptes à percevoir l'amour qu'on leur porte. Ce n'est qu'à la perte d'un proche qu'ils prennent conscience des sentiments qu'ils éprouvaient envers l'être  désormais disparu.

Michel HOUELLEBECQ cadre son roman et l'évolution de ses personnages en s'appuyant sur des faits de société et des situations existants qu'il développe jusqu'au paroxysme:

         - le bouleversement des mœurs et de l'ordre établi des années soixante, l'émergence des groupes hippies et libertaires aux USA et dans les sociétés occidentales, les communautés post-soixante-huitardes, la libération, sexuelle débridée qui a suivi la libéralisation des moyens de contraception, la vulgarisation anarchique et empirique des travaux de la psychanalyse, l'expansion de l'usage de psychotropes, la recherche de soi au travers de pratiques ésotériques, occultistes sectaires, chamaniques ou charlatanesques;

         - les découvertes scientifiques en physique, chimie et biologie ; l'exploitation des analyse génétiques ; le clonage.

Mal à l'aise, plongé dans un bain orgiaque de vocables vulgaires, crus, obscènes, le lecteur se sent aspiré aux frontières de la folie, à la lecture de descriptions d'un réalisme cruel, de scènes à la fois grotesques et navrantes.

Les passages théorisants à propos de certaines expériences vécues par les protagonistes du récit et les longs exposés scientifiques sont pesants. Sont-ils bien utiles ? Qu'apportent-ils au propos, même lorsqu'ils sont compréhensibles par tout un chacun.

Les Particules élémentaires comme la plupart des livres de Michel HOUELLEBECQ est un roman perturbant. Chaque nouvelle œuvre parue donne lieu à séries de controverses aussi bien littéraires, que médiatiques, soulevant l'enthousiasme des uns, la réprobation, le rejet des autres, interprétations et accusations diverses. L'auteur est-il un moraliste censeur de notre société et de nos mœurs ? A-t-il une vision politique ? Est-il un philosophe ? un ethnologue ?  un visionnaire ? un provocateur ? Il est certain que c'est un homme intelligent et talentueux qui a du mal à trouver une place confortable dans la société, laquelle déteste qu'on anticipe les dérives possibles de ses moeurs, de ses orientations et de ses inovations.

30 janvier 2011

Hermann HESSE (1877~1962) - Le Loup des steppes (1927)

Hermann HESSE (1877~1962)

Le Loup des steppes (1927)

       Le héros du roman nous est d’abord présenté de l’extérieur par un éditeur fictif censé publier les carnets qu’un locataire de sa tante lui a laissés. Le manuscrit avait été rédigé pendant son séjour et leur auteur l’autorisait à en disposer à sa guise. Harry Haller avait attiré l’attention, puis l’intérêt, du neveu de la logeuse. Il avait été intrigué par le comportement de cet homme tour à tour ténébreux, rébarbatif, méprisant, ou affable et charmant compagnon à la conversation captivante.

      Dès le sous-titre des Carnets de Harry Haller, « Réservé aux insensés », noAraucariaus savons que nous entrons dans l’irrationnel. Harry Haller est un homme en détresse psychologique. Deux tendances s’opposent en lui. L’une génère un homme cultivé, sociable appréciant la vie policée, prenant le temps de vivre et goûtant les distractions à la mode, ayant plaisir à partager autant qu’à recevoir. L’autre, qu’il qualifie de loup des steppes, fait de lui un animal sauvage égaré dans le monde des humains. Les deux cohabitent et se livrent un impitoyable duel. Alternativement, la première prend le dessus, tandis que la seconde veille sournoisement et revient incessamment à la charge jusqu’à l’emporter à son tour. 

     Harry_Loup_des_steppesrInstallé autrefois confortablement dans la société, apprécié et célèbre, il fut vilipendé par la presse de son pays, désapprouvé des intellectuels et des bourgeois, y compris ses meilleurs amis. C’était un peu avant la Première Guerre mondiale. Il avait rédigé des articles pacifistes dans lesquels il condamnait les techniques nouvelles au service des guerres et des causes telles que le libéralisme effréné, le nationalisme et le bolchevisme. Sa femme, devenue folle, l’avait chassé de chez lui.

       Alors, le Loup des steppes a supplanté Harry Haller. À bientôt cinquante ans, il méprise les distractions superficielles et éphémères, et vit maintenant en misanthrope, entouré de ses livres de spiritualité, de littérature et de poésie. Ses compagnons sont Goethe, Mozart et Beethoven. Ses réflexions s’accompagnent de plus en plus de tabac et de vin. Cependant, l’isolement ne comble pas ses attentes, d’autant plus qu’il a conscience que son refus des conventions sociales n’est pas compatible avec le bonheur d’habiter un immeuble bourgeois soigné, ou de se laisser aller aux délices d’une méditation devant un araucaria.

      Âme en peine, ruminant ses dégoûts, ses rejets, ses haines et son infortune existentielle, il déambule par les rues de la ville. Il noie, au passage, son ennui dans le vin des tavernes. Silencieux à sa table parmi les habitués, il repousse des nuits entières le moment de retrouver son logement où l’attend le rasoir tentateur, mais effrayant. Il y reste à vider verre sur verre, dans l’atmosphère bruyante et enfumée du Casque d’Acier.

      Une nuit, alors qu’il rentre chez lui, victime d’une hallucination, il se trouve devant l’entrée d’un théâtre, le Théâtre magique. Quelques minutes plus tard, il croise le porteur d’une pancarte annonçant le prochain spectacle « Réservé aux insensés ». Surgi de nulle part, l’homme, avant de disparaître aussitôt, lui tend le Traité sur le Loup des steppes.

     L’ouvrage décrit les deux faces de la personnalité d’Harry-Loup des steppes aussi bien que s’il avait été rédigé de sa main.

     Harry Haller est invité à dîner par un professeur. Autrefois, il avait apprécié discuter avec lui des mythologies orientales et s’en savait admiré. Dès le début de la soirée, ses deux identités se disputent âprement la place. Le Loup des steppes fait un esclandre quand le maître de maison exprime une critique réprobatrice sur un article dont il ignore qu’Harry est l’auteur. Le goujat assène peu après un jugement péremptoire et insultant sur la qualité d’un portrait de Goethe auquel l’épouse du professeur tient particulièrement. Chassé par ses hôtes ulcérés, l’homme arpente les rues dans la nuit, retardant l’instant du coup de rasoir espéré et redouté qui mettra fin aux éternels combats qui se livrent en lui.

Hermine_dessin    Son errance le conduit dans un faubourg populaire. Dans la salle bondée de la Taverne de l’Aigle noir, il trouve une place à la table d’une mystérieuse jeune femme, Hermine, dont le visage lui rappelle Hermann son ami de jeunesse. Celle-ci lui démontre combien ses confits intérieurs sont vains et lui propose un étrange contrat qu’il accepte. Ses deux entités conciliées, il devra la tuer.

       « Coaché » par Hermine, Harry apprend et pratique les danses à la mode, rit, goûte les joies simples conviviales, dîne en ville, découvre les plaisirs de la chair avec Maria et rencontre Pablo, le saxophoniste passionné de jazz et pourvoyeur des drogues propres à calmer et museler le Loup des steppes. Sa participation au grand bal masqué endiablé qui réjouit toute la ville est l’apogée de la métamorphose. L’exaltation ressentie à la fin du bal dès ses retrouvailles avec Hermine-Hermann, les propulse tous deux, dans le monde fantastique du Théâtre magique.

     Grâce à Pablo, magicien énigmatique, Harry momentanément séparé d’Hermine-Hermann, s’enfonce au plus profond de son inconscient y découvre un univers surnaHarry_et_son_doubleturel de situations rocambolesques générant chez lui des émotions intenses, tragiques, sensuelles ou libérant son agressivité et sa cruauté. Il revisite le passé, répare les actes manqués. À travers un miroir magique, il accède aux portes de la mort, aux espaces d’une profondeur incommensurable où sont réunis les immortels, y rencontre Goethe, et s’entretient musique et perpétuité avec un Mozart railleur. Il peut enfin clore le contrat, posséder Hermine en lui plantant un poignard dans le corps. Condamné à être exécuté, sermonné par Mozart, il retrouve ses sens en présence de Pablo. Harry Haller est disposé à renouveler l’expérience qui lui a permis de prendre conscience des multiples personnages qui l’habitent. « Un jour, je jouerais mieux ; un jour, j’apprendrais à rire. Pablo m’attendait. Mozart m’attendait. »

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Le Loup des steppes, un roman surréaliste?

     Certains trouvent du surréalisme, dans l’ouvrage d’Hermann HESSE.

- Le surréalisme fondé par André BRETON (1896~1966), héritier de Dada fondé par Tristan TZARA (1896~1963) à Zurich en 1916 regroupait des artistes écœurés par les massacres de la Première Guerre mondiale, et s’élevaient contre le nationalisme d’après guerre. Hermann HESSE-Harry Haller, plus âgé, s’était insurgé plus tôt contre l’esprit belliciste des nations de part et d’autre du Rhin, comme eux, il protestait contre le nationalisme montant.

- Si Hermann HESSE voit un danger dans l’expansion du bolchevisme, BRETON adhère au parti communiste en janvier 1927.

- Les surréalistes doivent intégrer la vie psychique inconsciente dans leur œuvre, sans le contrôle de la raison dans un but de création. Si Hermann HESSE/Harry sonde son inconscient, c’est pour concilier le réel et le spirituel, pour trouver un sens à sa vie. Le roman est un exutoire, un jalon posé afin de pouvoir progresser, explorer d’autres pistes, dans l’investigation de son inconscient.

- Les surréalistes pratiquent l’écriture automatique spontanée, sans relecture. Le roman de H. H. est construit, le style est académique, même si le contenu du propos témoigne du mal être du héros.

- Les surréalistes sont en lutte contre les valeurs reçues, et s’intéressent aux « Arts premiers ». H.H. est attaché à la culture, à Goethe et Mozart, est attiré par la spiritualité et les Mythologies asiatiques élaborées et rejette les techniques nouvelles de son époque (1927).                                                

     Le mot surréalisme est souvent employé pour qualifier l’irréel, alors qu’il correspond à une pensée révolutionnaire culturelle, politique et artistique.

Harry_Haller

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Le Loup des steppes, un roman fantastique? 

        Un genre fantastique était très présent en Allemagne au début du XIXème siècle chez les romantiques allemands comme Johan Wolfgang von GOETHE (1749~1832), L’Apprenti sorcier (1797), et surtout son Faust 1 (1808) ; Ernst Theodor Amadeus HOFFMANN (1776~1830), Les Élixir du diable (1816). Un fantastique sombre et pessimiste a marqué les années 1890 à 1930, dans les pays germanophones.

 - Le lecteur se trouve dans l’incertitude, l’ambiguïté, l’hésitation, l’entre-deux pour interpréter les faits.

 - Le récit quitte le rationnel pour relater un voyage mythique, oppose le bien (la culture et la spiritualité) au mal (la joie de vivre, les techniques, le jazz), le paradis à l’enfer.

 - Il met en scène l’irruption du surnaturel dans une mise en scène étonnante et angoissante pour le héros qui bascule dans l’univers fantastique du Théâtre magique à cause de son désir amoureux très violent.

 - La présence du double brouille la frontière entre rêve et réalité.

 - Le lecteur navigue entre les points de vue des personnages secondaires et le point de vue du héros, qui dans le Loup des steppes, sombre dans la psychopathie.

 - Le héros se trouve brusquement en présence d’un homme surgi de nulle part, disparu aussitôt, qu’il retrouve plus tard sur son chemin, suivant un enterrement.

 - Hermine, sans culture mais parlant comme un livre, intervient, bonne fée, au moment opportun alors que le héros n’a plus que la mort pour venir à bout de sa solitude et de son désespoir.

 - L’existence d’un contrat lie Harry à Hermine, son reflet opposé (son négatif, au sens photographique).

 - Pablo sert d’intermédiaire entre le réel et le surnaturel.

 - Le héros entre dans l’univers fantastique grâce à des philtres, poudres magiques ou autres formes de stupéfiant, et par un miroir.

 - Apparitions et disparitions mystérieuses dans la poche d’Harry du jeton de vestiaire, de messages, du poignard. 

 - Sous ses aspects de fiction, Hermann HESSE ne se retient pas de faire quelques critiques politiques.

 - Des artifices de point de vue sont utilisés, avec des modifications de typographie. Le roman est introduit par une personne étrangère à l’histoire. Le manuscrit d’Harry Haller contient un Traité sur le Loup des steppes de style didactique, des poèmes, le compte rendu à la première personne de l’aventure de son auteur.

      Tous ces points sont caractéristiques du genre fantastique.

           Si le fantastique peut apparaître dans une œuvre surréaliste, il est une création venue de l’inconscient où le rêve devient réalité. Le fantastique du Loup des steppes est d’une tout autre nature, il obéit à un rituel.

 

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      Les techniques nouvelles (le cinématographe, le gramophone, la radiodiffusion etc.), accusées par H. HESSE sont maintenant obsolètes. Elles étaient  les devancières de celles qui nous semblent indispensables aujourd’hui. Procédés capables de produire de merveilleuses  réalisations mais aussi de servir des causes bellicistes, nationalistes, totalitaires, les excès capitalistes. Le jugement d’Hermann HESSE à leur propos, loin d’être dépassé et réactionnaire, est au contraire prémonitoire. Aujourd’hui, ne remet-on pas en question leur développement anarchique au mépris de l’environnement naturel, des conséquences climatiques, des ressources en matières premières et du respect de l’Homme qu’ils réduisent à l’état de simple « ressource humaine » ?

      Hermann HESSE a mis de nombreux éléments biographiques dans Le Loup des steppes. C’est un roman déroutant, rébarbatif sur les conflits existentiels, dans lequel il est difficile d’entrer jusqu’à la rencontre avec Hermine. Le lecteur reste étranger au récit. Une sorte de voyeurisme l’aide à maintenir son attention. L’auteur libère des obsessions qui ne sont pas les siennes. Le propos du livre reflète l’influence piétiste subie par l’écrivain. La spiritualité du piétisme est une piété personnelle et un sentiment religieux plus que l’observance stricte d’une doctrine. De même, la solution de nos problèmes est en nous, elle ne peut venir d’ailleurs. C’est à nous de trouver et donner un sens à notre vie sur Terre.

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          Le livre, comme toutes les œuvres de HESSE, a été interdit en Allemagne sous les Nazis. Il n’y fut donc connu qu’après la Seconde Guerre mondiale. Il rencontra la faveur de la jeunesse dans les années 1960 à 1980, par les États-Unis avant de revenir en Allemagne. Un groupe de rock’n roll canadien dans les années 1970, a même pris le nom de Steppenwolf. Un réalisateur suisse, Fred Haines a filmé un drame psychologique « Le Loup des Steppes » (produit en 1974), inspiré par Le Loup des steppes.

 

Timbre_Hermann_HESSE_3

 

Des timbres à l’effigie de H. HESSE sur

http://www.google.fr/images?client=firefox-a&rls=org.mozilla%3Afr%3Aofficial&hl=fr&source=imghp&q=TIMBRE+SUISSE+HERMANN+HESSE&btnG=Recherche+d%27images&gbv=2&aq=f&aqi=&aql=&oq=

et

http://www.google.fr/images?hl=fr&client=firefox-a&rls=org.mozilla%3Afr%3Aofficial&gbv=2&tbs=isch%3A1&sa=1&q=TIMBRES+HERMANN+HESSE&btnG=Rechercher&aq=f&aqi=&aql=&oq 

20 septembre 2010

LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE (1914-1918) EN AFRIQUE-ORIENTALE ALLEMANDE

 

LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE (1914-1918)

 EN AFRIQUE-ORIENTALE ALLEMANDE

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Depuis janvier 1914, un officier de grande classe commande l’Afrique-Orientale allemande, le lieutenant-colonel von Lettow Vorbeck. Au cours de l’été, il réunit une petite armée de 11 000 tirailleurs askaris et de 2000 porteurs, encadrés par 3000 Européens. Le 8 août 1914, les croiseurs anglais Astraea et Pegasus lancent les premiers coups sur Dar es-Salam. Les 300 marins du Königsberg bloqué à partir du 10 octobre dans l’estuaire du Rufigi par la Royal Navy,  renforceront le dispositif de défense du territoire. Trois semaines plus tard, 14 transports et 2 croiseurs britanniques débarquent 6000 hommes autour du port de Tanga. Lettow Vorbeck réagit aussitôt, les rejette à la mer le 4 novembre et recueille un matériel considérable, dont 16 mitrailleuses particulièrement bienvenues.

Ce succès assurera une relative tranquillité à la colonie jusqu’à la fin de 1916 où les Anglais, les Sud-Africains, aidés des Belges et des Portugais, à partir de leurs bases du Kenya, de Rhodésie, du Congo et de la Mozambique, entreprendront contre elle des opérations méthodiques, auxquelles Lettow répondra jusqu’à la fin par la manœuvre.

Le 25 janvier 1916, le général Smuts était mis à la tête de l’ensemble des forces alliées d’Afrique orientale (120 000 hommes), qui au cours d’une mémorable campagne, allaient refouler vers le sud la petite armée allemande. Après avoir pris Tanga (7 juillet 1916), les Britanniques, rejoints par les Belges, dépassent en août le chemin de fer du centre de la vallée du Rufiji. Cependant, les troupes européennes étant décimées par le climat et la maladie, Smuts doit s’arrêter : il somme les Allemands de se rendre, « prouvant ainsi, conclut Lettow, qu’il est à bout de souffle ». En octobre 1916, les Allemands reconduisent 3 000 Portugais qui avaient passé le Rovuma.

En 1917, le général sud-africain Van Deventer, successeur de Smuts, reprend ses attaques, après avoir été considérablement renforcé. Lettov est alors obligé de se replier dans le sud-est de la colonie ; manquant de munitions… et de quinine, il réduit son effectif à 300 européens et 2 000 indigènes, et passe le 27 novembre 1917 en Mozambique, où il tient la brousse pendant près d’un an.

En juillet 1918, il pousse encore l’audace jusqu’à attaquer près de Namacura, les Britanniques qui le poursuivent. À la fin septembre, il regagne le territoire allemand et, quand il est à nouveau chassé, le 2 novembre, continue la lutte en Rhodésie.

C’est là qu’à Kasama, il est informé, le 12 novembre, par Deventer, que l’armistice venait d’être signé par le gouvernement du Reich et que l’article 17 prévoyait la reddition sans condition de ses forces dans l’espace d’un mois à compter du 11 novembre. Le 14, von Lettow rencontre à Abercorn, au sud du lac Tanganyik, le général anglais Edwards et règle avec lui – en termes très courtois – les conditions du désarmement de ses troupes, qui comprennent alors 155 Allemands, dont 20 officiers, 1 156 Askaris et 1 598 porteurs indigènes. Le 8 décembre, par le Tanganyika jusqu’à Kigoma, puis par voie ferrée, les Allemands sont rassemblés à Dar es-Salam, d’où ils embarqueront pour l’Europe le 17 janvier 1919.

D_barquement_de_la_Nigerian_brigade_britanique_d_cembre_1917

Les_soldats_d_Afrique_orientale_entrent___Berlin_2_mars_1919

Le 2 mars 1919, les Berlinois applaudissent avec enthousiasme le passage sous la porte de Brandebourg du petit détachement des 144 soldats d’Afrique orientale encore coiffés de leur chapeau de brousse que conduit, à cheval un jeune colonel de quarante-neuf ans, von Lettov Vorberck.

Sources : La Première Guerre mondiale, LAROUSSE


17 juillet 2013

Le Faon (2008) - Magda SZABÓ (1917~2007)

Dans un monologue, que nous découvrirons s’adresser à son amant qui vient de mourir, Eszter, la narratrice, se livre dans une confession expiatoire.

Eszter est une comédienne célèbre qui n’a pas eu d’enfance au sens où on l’entend habituellement. Issus de la très vieille aristocratie hongroise, ses parents, ruinés et rejetés par la famille, vivent l’un pour l’autre. Son père, avocat sans cause, refuse de défendre qui que ce soit pour des raisons alimentaires, alors que la famille est réduite à la misère. C’est un grand malade qui, dans sa déchéance, n’a qu’une consolation, la culture de plantes exotiques rares. Sa mère, musicienne douée, donne des cours de piano à quelques enfants du quartier, mais ses gains ne suffisent pas à couvrir les besoins du ménage.

Enfant, Eszter, dès son plus jeune âge, effectue les tâches domestiques les plus ingrates, échange ses services contre un appoint de nourriture et donne des cours de soutien à des camarades de classe contre une faible rétribution qui améliore l’ordinaire de la famille. La fillette, consciente de ce qui la distingue des autres enfants de son âge, se sent mal aimée et souffre de sa marginalité. Son regard sur son entourage est sans concession.

Cette enfance marquera à jamais la conception des rapports humains de la jeune femme.

Alors que la voilà célèbre et à l’abri du besoin, ses frustrations de petite fille renaissent et s’exacerbent quand Eszter découvre que l’homme qu’elle aime et qui l’aime a pour épouse la belle Angela, une ancienne gamine du village gâtée, couvée et protégée par tous. Angela symbolise tout ce dont Eszter a été privée. Sa jalousie et sa haine à l’égard de l’épouse de son amant pourrissent sa vie et l’ensorcellent.

La fin reste ouverte. À la suite de cette confession, Eszter sera-t-elle délivrée de ses maléfices ? Continuera-t-elle à souffrir de se détester et de haïr les autres ? Bien qu’Eszter ait des doutes sur l’Au-delà,  choisira-t-elle de rejoindre son amour ?

La grande Histoire est présente dans ce récit comme dans les précédents romans de Magda SZABÓ. Les bouleversements politiques, qui ont marqué la première partie du XXe siècle en Hongrie, sont à l’origine du cursus des personnages.

L’enchevêtrement du passé et du présent désorganise la chronologie des évènements. Au fur et à mesure du développement de l’intrigue, la tension dramatique s’intensifie et s’accélère.

Le faon du cerf gravure de Buffon

 roman du même auteur:

La Ballade d'Iza (2005)

6 mars 2011

Laurent GAUDÉ (1972) – (Ouragan 2010)

Laurent GAUDÉ (1972) – (Ouragan 2010)

 

Le cadre dans lequel Laurent GAUDÉ a situé son roman, nous le connaissons pour avoir suivi la transformation, en quelques jours, d’une tempête tropicale en un cyclone qui approchait du Golfe du Mexique et se dirigeait vers le sud les États-Unis d’Amérique, en cette fin du mois d’août 2005. La presse quotidienne et les journaux télévisés  nous ont largement diffusé les images transmises par les satellites de la progression de Katrina. L’évacuation spectaculaire de la ville de la Nouvelle-Orléans, les autoroutes saturées, immobilisées, la pénurie de carburant, les camps de fortune, les conditions insalubres du regroupement des pauvres gens dans le stade couvert rien ne nous a échappé. Au passage de la tempête, quelques vidéos témoignaient de la rage du vent, de l’importance et de la violence des pluies touchant l’état du Mississipi, la Louisiane et l’Alabama, ravageant la zone la plus peuplée, la Nouvelle-Orléans. Et puis, les crues provoquées par l’ouragan ont envahi le delta. La force et l’abondance des eaux ont détruit les digues. Le lac Pontchartrain, qui surplombe la ville, s’est déversé sur la métropole du Sud, noyant ses bas quartiers.

Le monde entier a pu suivre la polémique au sujet de la lenteur de réaction du Président républicain de l’époque, John W. Buch. Son survol sommaire des lieux à bord d’un hélicoptère a soulevé une controverse sur l’interprétation de son attitude. 

De nombreux agents des services municipaux et d’ordre public ont été rapidement accusés de sauver d’abord leur peau ou d’abandonner à leur sort les communautés les plus pauvres, en grande partie des Noirs.

 

Les personnages du roman : Laurent GAUDÉ, a pris le parti de s’intéresser aux laissés-pour-compte de la société, aux plus démunis, à ceux qu’on a oublié. Ils sont six. Cinq sont Noirs. Nous les suivons tour à tour avec lui dans différents points  de la Nouvelle-Orléans.

Volonté d’acier trempé dans une carcasse décharnée, Joséphine Linc. Steelson « négresse depuis presque cent ans » est fière de presqu’un siècle de conquête de sa dignité. Quitter la ville, c’est aller mourir ailleurs, loin du bayou où Vieille_femme_noire_drap_e_dans_la_banni_re__toil_eMarley, son mari a été massacré dans une rixe avec des Blancs. Ses enfants sont morts. Elle est seule au monde. Joséphine se cache. Elle partira... peut être... si elle veut... quand elle voudra...

Le corps harassé par le travail répétitif, les oreilles résonnant encore du bruit infernal des machines suintantes de pétrole, Keanu Burns a fuit d’une plate-forme pétrolière du Golfe. Fou d’horreur, il est obsédé ne pas avoir pu sauver son camarade écrasé et brûlé vif dans un accident du travail. Le hurlement de la sirène d’alerte, la fournaise, les images et les appels du supplicié en flammes le poursuivent, le torturent jour et nuit, lui font perdre la raison. L’annonce de l’arrivée de l’ouragan sur la ville a mis fin à sa décision d’en finir. Quelqu’un a besoin de lui là-bas. Il a retrouvé une raison de vivre. Seul à contre-courant de la débâcle des évacués, sur quatre cent kilomètres, il retourne vers la jeune femme qu’il a abandonnée six ans plus tôt pour tenter la chance.

La vie de Rose Pekerbye a basculé après le départ de Keanu. Elle méprise la jeune femme vieillie et marquée par la misère qu’elle est devenue. Sans ressources, la voilà seule à protéger Bayron, autiste, l’enfant de personne. Un enfant qu’elle n’arrive pas à aimer!

Comme tous ses codétenus du couloir d’Orleans Parish Prison, Buckeley a regardé, derrière les barreaux de sa cellule « ... le révérend qui accélère transi de peur. » dans lequel, aujourd’hui, tous ne voient « qu’un homme au pas pressé, un Blanc qui tient une bible bien serrée et porte sur le visage un air d’inquisiteur en campagne. » Comme eux, il a aboyé à son passage, haineux contre ce visiteur venu de l’extérieur, symbole de liberté. Dans leurs cellules, ils savent qu’ils valent moins que des chiens. Les autres, directeurs, gardiens, même les chiens sont à l’abri du danger. Eux restent bouclés là.

Le dernier personnage, c’est justement ce révérend. Paniqué, il a fuit la prison sous les quolibets. Il a failli à son ministère, mais Dieu a pitié de lui. Il lui donne une occasion de racheter sa désertion. Le cataclysme va lui permettre de réaliser la Mission divine.

S’appuyant sur des circonstances et quelques faits réels, Laurent GAUDÉ a fait un conte construit à la manière des romanciers américains. Le fléau qui s’est abattu sur les humains s’ajoute à leur combat quotidien, décuple leur volonté, leur force ou leur bassesse et leurs faiblesses.

Les destins se vont se croiser, s’unir, se disloquer dans l’épreuve. Keanu Burns et Rose Pekerbye se retrouvent, parlent, pardonnent, s’aiment, recouvrent leur dignité. Byron, resté seul, sort et s’aventure dans les rues inondées. L’enfant égaré dans la tourmente fera sortir de son refuge la vieille négresse. Une panne électrique favorise l’évasion de Buckeley du pénitencier noyé par la crue. La ville évacuée est livrée à la merci des neuf détenus qui « se sont fait la belle ». Évadé, mais prisonnier d’un groupe prêt à tous les crimes, il lui faudra conquérir sa liberté. Le pasteur s’interroge, impuissant face aux alligators dévorants sous ses yeux l’idiot de la paroisse. Dieu veut surement punir l’humanité ! Il sera le Bras de Dieu.

Dressée noblement drapée dans la bannière étoilée, Joséphine Linc. Steelson pourra affirmer son combat pour l’égalité, au monde entier.


            En proie aux forces maléfiques d’une nature en furie, les méchants périront dans l’épreuve, les bons en sortiront confortés, grandis. Byron fils de Quelqu’un pourra sourire et parler.

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Douze séquences fixent la suite chronologique du roman. Dans chacune de ces parties, Laurent GAUDÉ éclaire en sauts aléatoires tous les personnages en temps donné, passe de l’un à l’autre, puis revient sur eux. Ces paliers dans la cascade du fil du récit sont accentués par des ruptures de style. Ce sont les monologues à la première personne de Joséphine Link. Steelson et ceux du pasteur illuminé. Buckeley est le narrateur  des péripéties de la cavale des neuf prisonniers. L’auteur reprend la main quand il s’agit de Rose, Byron et Keanu. Ces écarts ajoutés au rythme vif, parfois haché, traduisent l’inconfort et l’insécurité provoqués par la furie du vent et des eaux.

La tentation de confronter la fiction à une réalité que nous avons encore présente à l’esprit, parasite la lecture de ce roman. C’est un livre très bien écrit, à garder et à relire quand le temps aura fait son œuvre. Il sera alors apprécié à sa juste valeur.

 

Les romans de Laurent GAUDÉ :

-                  Cris, 2001

-                  La Mort du roi Tsongor, 2002 ; Prix des lycéens 2002, Prix des Libraires 2003

-                  Le Soleil des Scorta, 2004 ; Prix Goncourt 2004, Prix Jean Giono 2004

-                  Eldorado,2006

-                  La Porte des Enfers, 2008

-                  Ouragan, 2010

Laurent GAUDÉ est aussi écrit auteur de nouvelles et d’une douzaine de pièces de théâtre.

 

Biographie et bibliographie :

http://www.linternaute.com/sortir/auteurs/laureats-prix-litteraires-2004/gaude.shtml

L’ouragan Katrina (30 août 2005)

http://fr.wikipedia.org/wiki/Ouragan_Katrina

                     

http://fr.wikipedia.org/wiki/Cons%C3%A9quences_de_l%27ouragan_Katrina_sur_la_Nouvelle-Orl%C3%A9ans

 

http://www.chocolat.tv/etats-unis/ouragan-katrina-nouvelle-orleans.html

 

http://www.monde-diplomatique.fr/2005/10/DAVIS/12817

 

30 juin 2013

Émile AJAR (Romain GARY ; 1914~1980) – La vie devant soi (1975)

Émile AJAR (Romain GARY ; 1914~1980) – La vie devant soi (1975)

     Perché au sixième étage d’un immeuble de Belleville, au nord de Paris, le logement de Madame Rosa abrite des enfants de toutes origines et de toutes religions. Dans sa pension clandestine, Madame Rosa, une ancienne péripatéticienne devenue trop vieille, trop grosse et trop moche pour continuer à battre le pavé, accueille à la journée, à la semaine, pour quelques mois, voire quelques années, des enfants de prostituées. La vieille dame est très attachée à toute cette marmaille, particulièrement à l’aîné et plus ancien d’entre eux, Mohamed, un jeune Arabe d’une dizaine d’années, que tout le monde appelle Momo.

     Refoulé de l’école publique pour cause de perplexité sur son âge, en dépit des papiers présentés par Madame Rosa, Momo s’instruit à l’école de la rue et apprend le Coran avec Monsieur Hamil, le client du bar d’en bas, un vieil homme presque aveugle féru des versets coraniques bien sûr, mais aussi des Misérables de Victor Hugo. Momo est un gamin déluré, à la fois candide et rusé, spontané et menteur, chapardeur à l’occasion. Le garçon est perturbé par l’ombre qui entoure ses origines familiales, sa mère qui ne vient jamais, les mandats qui n’arrivent plus et l’incertitude d’être porteur d’une mystérieuse hérédité. Heureusement, une lionne invincible veille sur son sommeil et, son ami Arthur, confectionné avec un vieux parapluie muni d’une tête de chiffon coiffée d’un chapeau melon dérobé, accompagnent sa solitude. Au cours de ses pérégrinations dans Paris, le garçon fait la connaissance d’une jeune femme, Nadine, qui travaille dans un studio de doublage de films.

Momo et Arthur

Momo nous fait part de son inquiétude : Madame Rosa, dont tous les organes sont fatigués de traîner ses quatre-vingt-quinze kilos, s’essouffle à gravir les six étages. Sa vieille nounou, qui est une Juive rescapée d’Auschwitz, est hantée par les souvenirs de la rafle du Veld’hiv, la crainte d’avoir un cancer, la peur de la mort qu’elle sent venir et la terreur d’être emmenée mourir à l’hôpital. Grimée de façon outrancière, Madame Rosa déambule dans l’appartement enveloppée dans une de ses toilettes extravagantes dénichées aux puces. Un élan de solidarité se tisse autour de la grosse dame qui perd la raison, s’évanouit fréquemment et dont les périodes d’inconscience s’allongent jour après jour. Aidé de Madame Lola, le généreux travesti tapineuse au bois de Boulogne, Momo soigne de son mieux la malade, tandis que de pittoresques voisins contribuent à leur manière à la sortir de sa léthargie et à la distraire. Lorsque le Dr Katz décide d’appeler l’ambulance qui doit conduire définitivement la moribonde à l’hôpital, Momo improvise un stratagème qui l’aidera à exaucer le vœu de Madame Rosa : mourir en paix.

Quelle vie s’ouvrira désormais devant l’adolescent ? Momo imagine son avenir avec pour références le quotidien de son entourage : proxénétisme, prostitution, consommation et trafic de drogue, hantise d’une descente de police, crainte de l’Assistance publique. Nadine et son compagnon s’intéressent à Momo. Contribueront-ils à lui ouvrir d’autres perspectives ?

Les jurés du Prix Goncourt ont fait couler beaucoup d’encre et de salive en récompensant Émile AJAR pour La Vie devant soi en 1975. Ils ignoraient alors qu’ils attribuaient pour la deuxième fois le Prix Goncourt à Romain Gary qui en avait déjà été lauréat en 1956 avec Les Racines du ciel. La vérité ne fut connue qu’après la mort de l’auteur en 1980. Pendant toute cette période, l’écrivain, que certains critiques littéraires prétendaient « fini », avait chargé son petit cousin Paul Pavlowitch d’assumer le rôle d’Émile AJAR auprès de la presse. Romain GARY avait signé quatre romans sous ce pseudonyme : Gros-Câlin en 1974, La Vie devant soi en 1975, Pseudo en 1976 et en 1979, L’Angoisse du roi Salomon.

Momo2

L’originalité du récit tient dans les propos de Momo. La formation au langage du narrateur, essentiellement orale s’est faite « sur le tas », s’est enrichie au hasard de réflexions et de conversations entendues ici ou là. La langue du garçon ignore la grammaire et la conjugaison, déforme les mots, les utilise à contresens, s’enrichit en intégrant à contre-emploi dans le discours des expressions toutes faites et des formules médiatiques issues de l’actualité du moment. Ces maladresses, ces incorrections, ces réflexions naïves contribuent  à la fraîcheur et au charme d’un texte portant pourtant sur une réalité affective et sociale dramatique dans un contexte sordide.

Le roman d’Émile AJAR, La Vie devant soi, a fait l’objet d’un film sorti en 1977. Ce dernier a été adapté et réalisé par Moshé Mizrahi, dans lequel Simone Signoret, qui jouait Madame Rosa, a été distinguée par le César de la meilleure actrice. Le rôle de Momo était tenu par Samy Ben Youb. Le film a remporté l’Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1978. Malgré toutes ses qualités et ces distinctions, le film paraît bien pâlot en regard du livre. Un film d’animation aurait probablement mieux rendu la démesure physique et psychique du personnage de l’ex-prostituée au grand cœur, ainsi que l’originalité des personnages secondaires. L’ambiguïté concernant l’âge de Momo et la qualité stylistique du récit auraient trouvé plus facilement leur place dans ce type d’adaptation.  

Liens :

vers l’annonce du Prix Goncourt à Émile AJAR pour son roman La Vie devant soi

vers le film La vie devant soi

vers un extrait de bande dessinée Carré-Leprévost/Je Bouquine-Bayard presse

 

 

19 janvier 2014

AGUS Milena (1958) – Quand le requin dort (2010)

AGUS Milena (1958) – Quand le requin dort (2010)

«Et moi j’écris des histoires, parce que le monde ne me plaît pas, je me transporte dans le mien et je suis bien.

 Dans ce monde-ci, il y a plein de choses qui ne me plaisent pas. Je dirais même que je le trouve moche, et je préfère décidément le mien. »

Celle qui écrit ces lignes est une adolescente sarde. Ses histoires sont celles de sa famille où chacun navigue entre fantasmes et réalité, égoïsme et générosité, rire et désespoir, rêve d’avenir meilleur et certitude de ne jamais pouvoir sortir de la poisse dans laquelle tous s’enlisent.

***

Le père, bel homme, charmeur, drôle, beau parleur, est absent la plupart du temps. La mission de cet époux aimant, et père attentionné, est ailleurs,  en Amérique du Sud, à soulager les misères du tiers-monde. Il est mécanicien lorsqu’il est présent. Tout en réparant leur véhicule, il séduit ses clientes avec ses exposés sur sa notion de Dieu. Pour financer ses bonnes œuvres, il vend en douce à ses maîtresses, les aquarelles de sa femme chérie.

La mère, gauche, complexée, mal fagotée, fragile, dépressive, superstitieuse, anorexique et suicidaire est en mal d’amour absolu et d’un monde parfait. Elle ne semble heureuse que sur la terrasse-dépotoir de l’immeuble  qu’elle a valorisé en jardin suspendu ou, lorsqu’elle saisit et reproduit sur ses œuvres picturales, les nuances d’un paysage.

Le frère est brimé dans son école par ses congénères. Introverti et taciturne, il se réfugie dans sa chambre où, il se console en travaillant inlassablement au piano des partitions musicales, en interprétant les œuvres de Beethoven et autres « grands déjantés ».

La tante est une grande et très belle femme qui enseigne d’histoire à l’université. Séduisante et aguicheuse, en dépit de son désir d’union durable, ses amours sont sans lendemain et ses fiancés attitrés sont intermittents.

La grand-mère  se désole de  voir sa famille engluée dans son mal-être. Elle prodigue des remarques et des conseils, dont tous considèrent les références morales, religieuses et sociales, d’un autre âge. La vieille femme compense son impuissance en leur confectionnant des pâtisseries et de délicieux petits plats roboratifs et réconfortants. 

La narratrice observe  son entourage et tente de répondre aux questions qui l’obsèdent : l’existence de Dieu, l’utilité de la superstition, l’amour, le sexe, l’amitié. Ses récits des faits bruts ingénus et crus, rapportent l’ambiance familiale. Et dans sa vie, il y a …

« Lui » …, un homme marié et père de famille.« Lui », qui lui impose une relation sadomasochiste que, malgré sa candeur et la liberté de parole qui règne dans la famille, elle sent inavouable.

illustration quand le requin dort

***

Le père a rebaptisé la famille Sevilla-Mendoza. Hormis le docteur Salevsky,  Mauro de Cortes, Maria Asunción, les personnages et la famille n’ont pas d’identité propre. Les membres de la famille sont cités en fonction de la place qu’ils y occupent et les autres personnes sont affublées d’un surnom : le vétérinaire, l’Autrichien. Le manipulateur secret, c’est « Lui ».

Un père absent, un frère inexistant, finalement, la narratrice vit dans une famille sans homme, où pourtant la gente masculine occupe la place centrale dans l’esprit de dames complices et fatalistes, imprégnées d’un machisme archaïque.

Un rayon d’espoir glisse timidement sur les derniers chapitres, sans être vraiment crédible.

***

Quand le requin dort serait en réalité le premier roman de Milena AGUS. Mal de pierre, Battements d’ailes, déjà parus en français respectivement en 2007 et 2008 reprenaient certains des thèmes abordés dans Quand le requin dort, en les traitant de manière plus accomplie et plus convaincante.

Milena AGUS (1958) - Battement d’ailes (2008)

Milena AGUS – Mal de pierre (2007) - Mal di pietre (2006)

 

22 février 2013

Gérard MORDILLAT (1949) – Rue des Rigoles (2003)

Gérard MORDILLAT (1949) – Rue des Rigoles (2003)

     Gérard MORDILLAT évoque dans Rue des Rigoles les vingt premières années de son existence. Souvenirs et itinéraire d’une vie partagée entre ses parents et ses copains de toujours.

     Issu de plusieurs générations de Parisiens du côté paternel, Gérard est né dans le XXe arrondissement de Paris, treize ans après son frère aîné. L’origine familiale était cosmopolite du côté de Madeleine, sa mère. Celle-ci, née à Vancouver, escale temporaire de la troupe du cirque Barnum dans laquelle son père et ses oncles étaient musiciens, avait passé sa jeunesse aux États-Unis avant de rencontrer Jojo Père sur une plage du Tréport... Avec leurs deux fils, Madeleine et Jojo Père partageaient un deux-pièces, au sixième étage sans ascenseur du 222 rue des Pyrénées, avec cabinets à la turque sur le palier et vue sur la Sacré-Cœur. Dans cet arrondissement populaire du Paris des années d’espoir d’un avenir meilleur de l’après-guerre à 1968, tout le monde était du même milieu. Si, les Mordillat n’étaient pas riches, ils ne manquaient de rien : la mère de Gérard était professeur d’anglais chez Berlitz, tandis que son père était serrurier à la SNCF.

      Gérard MORDILLAT fait renaître, un Paris disparu au fil des ans, ses petits commerces, ses cafés, ses ateliers, ses cinémas de quartier d’avant le téléphone pour tous, un Paris convivial, d’amitié, de solidarité. Depuis, les automobiles ont colonisé les rues, privant les gamins de leurs terrains de jeu. La frénésie financière sur l’immobilier a délogé les gens modestes du centre des villes et l’automatisation des tâches a anéanti le monde ouvrier. Peu importaient alors les diplômes, le désir de travailler et la débrouillardise suffisaient pour gagner sa vie. « Seuls ceux qui ramenaient leur paye à la maison avaient le droit de la ramener en société ». Une culture autodidacte, une formation « sur le tas », des rencontres opportunes, associées à l’ambition et au goût du risque révélaient des vocations inconscientes.

Gérard_Mordillat

 

 

19 mai 2014

Faïza GUÈNE (1985) – Un homme ça ne pleure pas (2014)

Faïza GUÈNE (1985) – Un homme ça ne pleure pas (2014)

     La famille Chennoun, d’origine algérienne vit à Nice, où sont nés les trois enfants d’Abdelkader et de Djamila.

     Le père, un ancien cordonnier, adore bricoler et entrepose dans le jardin de la maison un bric-à-brac invraisemblable d’objets - « Ça peut toujours servir ! », précise-t-il -, qui anéantissent le rêve de la mère d’y voir un jour plantés oliviers, citronniers ou orangers. Le Padre ne sait ni lire ni écrire, mais porte des lunettes sur le nez et des stylos Bic accrochés à la poche de sa chemisette. C’est un sage, un père aimant, attaché à la bonne éducation de ses enfants, à leur réussite scolaire et qui veille à leur inculquer des principes - « Un homme ça ne pleure pas. »-.

     L’obsession du narrateur, Mourad, le benjamin des enfants du couple, serait de devenir un vieux garçon obèse aux cheveux poivre et sel, nourri à base d’huile de friture par sa mère. Nourrir, gaver sa progéniture de nourriture est en effet l’objectif premier de la mère, une femme au foyer expansive, dévouée aux siens, avisée sur tout qui n’admet aucune contradiction. Son amour exigeant, sa susceptibilité, son art à simuler des malaises, à culpabiliser sa famille, en font une tragédienne hors pair.

     Mourad a deux sœurs.    

    SpiraleDès l’adolescence, Dounia, l’aînée, envie la liberté de mœurs dont jouissent ses copines de classe. « Tu crois que tu t’appelle Christine ? ! » lui reproche son père indigné par l’indécence, à ses yeux, de sa tenue vestimentaire. Elle préfèrerait, c’est sûr ! Elle préfèrerait tellement qu’elledésobéit effrontément aux règles familiales. Mourad est partagé entre son admiration pour l’intelligence, la volonté et le courage de sa sœur, qui, tout en travaillant, réussit brillamment ses études pour être avocate, et sa stupéfaction face à ses provocations. Au grand désespoir de ses parents, la rebelle finit par se fâcher avec tout le monde et claquer la porte de la maison. Elle n’y remettra plus les pieds pendant dix ans. Indignés et chagrinés, les Chennoun apprendront par la presse, que leur fille est la présidente-fondatrice des FPC, l’association féministe « Fières et pas connes, et qu’elle se présente aux élections à Nice sur une liste de ... droite.

     Docile, Mina, la cadette est entrée sans heurt dans le moule parental. Attirée par la compagnie des personnes âgées, elle travaille dans une maison de retraite, y a fait connaissance d’un aide-soignant, Jalid, qu’elle a épousé à vingt ans. Le couple a trois enfants et habite le même quartier que les Chennoun et Mina passe voir sa mère presque chaque jour.

     Mourad est devenu un jeune homme timoré, introverti. Solitaire il se réfugie dans la lecture, est amoureux de littérature et souhaite enseigner les lettres. Bon élève, il vient de réussir au CAPES. Mourad reçoit son affectation en zone prioritaire à Montreuil en Seine-Saint-Denis. Avant son départ, Abdelkader, qui est hospitalisé après un AVC qui l’a laissé hémiplégique et très diminué, lui confie qu’il souhaiterait revoir Dounia avant de mourir.

     Miloud, un cousin, vit justement à Paris. Il pourra héberger Mourad temporairement. À Alger, dans sa jeunesse, Miloud avait passé beaucoup de temps assis aux terrasses des cafétérias. Grand amateur de raï et habitué de la boîte de nuit Le Saphir bleu, il est maintenant le gigolo d’une riche bourgeoise avec un nom à particule, qui pourrait être sa mère. Liliane lui offre une vie de nabab dans son magnifique appartement superbement meublé du seizième arrondissement, à la bonne tenue duquel veille l’imperturbable Mario, le majordome italien.

     La peur au ventre, Mourad se rend au collège à bord de la Mercédès de son cousin et s’apprête à ajuster ses premiers scuds anti-chahut.

     Mourad retrouve Dounia à Paris, où sa sœur fait la promotion du livre qu’elle vient d’écrire « Le Prix de la liberté », dans lequel elle critique violemment les traditions familiales ancestrales dont elle est issue. Il la convainc de l’accompagner au chevet de leur père.

*****

     Constituée de courts chapitres, cette chronique originale est pleine de tonus, d’humour, d’inventivité, de réalisme et d’ironie aussi. La simplicité du style, la précision des descriptions, la vivacité des réparties, le dynamisme de l’écriture, le ton léger et drôle donnent de l’attrait à la lecture du récit.

*****

     Le fond du livre porte sur la difficulté construire sa personnalité tout en conciliant la part de l’héritage familial et son désir d’émancipation.

Quelle émancipation ?

Celle de Miloud, qui pour éviter de se débattre comme une mouche dans une tasse de café noir, préfère être entretenu par une femme âgée en mal d’amour qui lui offre la richesse matérielle ?

Celle de Dounia, qui se targue de sa réussite professionnelle, et surtout d’être un symbole de l’intégration réussie qui lui vaut la notoriété médiatique ?

Une émancipation certes, mais à quel prix ?

Pour Miloud, le risque de plonger dans un océan de médiocrité et vivre de petites combines, dès qu’il cessera de plaire ?

Pour Dounia, le reniement de sa culture, la coupure avec sa famille, une anorexie assortie d’une psychanalyse !

     Par la plume de Faïza GUÈNE, Mourad, en fin observateur, prend du recul et tente réconcilier les siens.

16 juin 2013

Rachid BOUDJEDRA (1941) – Hôtel Saint-Georges (2010)

Rachid BOUDJEDRA (1941) – Hôtel Saint-Georges (2010)

Première édition de ce roman a été publiée en 2007 par les éditions Dar El Gharb

     Jeanne loge à l’Hôtel Saint-Georges pendant son séjour à Alger. Rac avait fait sa connaissance dans une librairie à Paris. Elle lui avait dit qu’elle voulait visiter l’Algérie, sans lui donner d’autres détails. Jeanne « était déjà venue l’année précédente, seule et avait parcouru le pays d’est en ouest, négligeant le sud, le désert et les circuits touristiques parce qu’elle n’avait rien à y faire. ». La jeune femme était munie d’une longue lettre-testament. Elle avait besoin de l’aide de Rac pour accomplir un pèlerinage dans le pays, sur les traces d’un père décédé qui, une quarantaine d’années plus tôt, y avait fait son service militaire pendant la guerre d’indépendance algérienne.

 

Hôtel Saint-Georges Alger

     Rac apprend de Jeanne les tourments qui ont bouleversé l’existence de son père, ébéniste d’art. Rappelé par l’armée, en raison de sa connaissance du travail du bois on l’avait chargé de fabriquer en séries des cercueils pour les dépouilles des soldats morts pour la France. La guerre finie, il fut poursuivi jusqu’à la fin de ses jours, par l’odeur sur ses doigts des cadavres en décomposition. Il avait pris l’habitude de prendre une bière à l’Hôtel Saint-Georges. Là, il parlait longuement avec Nabila, une jeune étudiante, qui était serveuse pour financer ses études de médecine.

Hall de l'hôtel Saint-Georges Alger

     À l’évocation de l’histoire de l’ébéniste, Rac est assailli par une rafale de souvenirs.

Jean ne s’est jamais remis d’avoir trahi son art et l’amour qu’il éprouvait pour l’Algérie. Il ne pouvait oublier le visage étonné de ses compatriotes appelés surpris par la mort, ni les victimes algériennes. Son existence rejoint la vie  de Rac et celle de ses proches. Une convergence de destins individuels que Rachid BOUDJEDRA replace dans l’ambigüité et la complexité de l’Histoire (avec un grand H) d’un pays, des colonisations et plus généralement de l’Histoire des Hommes.

     De courts chapitres, dans lesquels onze personnages se livrent aux lecteurs, composent ce roman. Les récits posthumes de Jean et d’Hamid l’époux de Yasmina, les aveux baragouinés des préparatifs d’horribles supplices concoctés sur ordre d’un sergent français par le harki Kader, les soliloques des membres d’une famille algérienne et de Mic, la Française, porteuse de valises des insurgés, nous plongent dans les ravages et les massacres de la Révolution algérienne : Indépendance chèrement acquise, Pouvoir accaparé par les libérateurs . Tous les protagonistes en sont restés meurtris et les blessures sont encore à vif de chaque côté de la Méditerranée.

     Dans l’adversité et ses conséquences, se mêlent les passions, la violence, le courage, l’amour, la tendresse, la générosité, mais aussi l’opportunisme, les haines, la cruauté, la cupidité, le renoncement, la fuite de la réalité. Tous ces personnages sont profondément humains dans leurs grandeurs et leurs faiblesses. Tous sont dépendants de leur amour de l’Algérie qui agit sur eux comme une drogue.

     L’évocation systématique des caractéristiques des bons et des mauvais génies de la légende familiale de Rac est  moins présent que dans ses romans précédents. Les récits des protagonistes sont une transposition simple, spontanée du langage parlé. Certains expliquent, d’autres se justifient. Les phrases sont courtes. Elles peuvent être tronquées, composées parfois d’un verbe, d’un substantif ou d’un qualificatif. Le style de Rac devient lyrique à certains moments. Rac est le porte-parole de Rachid.   

Rachid Boudjedra

          Rachid BOUDJEDRA, bien que militant politique actif, fait le point, avec sagesse. Même s’il n’a pas perdu son manichéisme, il prend de la distance. Il est conscient du risque de voir, après une bonne quarantaine d’années, la parole des vétérans de la guerre d’indépendance perçue comme du radotage par la jeunesse algérienne. Il incite les jeunes à regarder devant eux pour sortir l’Algérie de sa convalescence et les met en garde contre l’archaïsme de certaines traditions et le culte figé des ancêtres. Il donne toute leur place aux femmes et n’oublie pas les grands textes littéraires et philosophiques.

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22 avril 2015

Antoine LAURAIN - La femme au carnet rouge (2014)

Peu avant deux heures du matin, une femme, au retour d'un dîner chez des amis, se fait déposer par un taxi au coin d'un boulevard de Paris. Une cinquantaine de mètres à parcourir à pieds la séparent de l'entrée de son immeuble, lorsqu'un inconnu, surgi de l'ombre, l'agresse violemment et lui arrache son sac à main. Blessée et bouleversée par l'attaque, sans clés, sans argent, ni téléphone, la jeune femme réalise qu'elle ne peut plus regagner son appartement. Elle trouve refuge dans un hôtel confortable situé par bonheur en face de chez elle, grâce à la compréhension du veilleur de nuit. En écartant les voilages de la fenêtre de sa chambre, elle aperçoit, au même étage, de l'autre côté de la rue, son living resté allumé pour Belphégor. Sur la chaise, derrière la fenêtre entrouverte, les yeux jaunes plantés dans la silhouette du chat la fixent avec stupéfaction. En début d'après-midi, la cliente du 52 n'ayant pas reparu, les employés de l'hôtel la découvrent allongée sur le lit, inanimée, la tête posée sur une serviette imbibée de sang.

Le chat derrière la fenêtre2

Ce jour là, au cours de sa promenade matinale rituelle, avant l'ouverture de sa librairie "Le Cahier rouge", Laurent découvre rue du Passe-Musette (la bien-nommée), un sac à main abandonné sur le couvercle d'une poubelle. Sa trouvaille, en parfait état, où quantité d'objets présents à l'intérieur témoignent qu'elle n'est sûrement pas un détritus, mais probablement le fruit d'un vol. Laurent décide d'aller déposer le sac au commissariat de police où la présence des nombreuses personnes, qui patientent déjà au service des objets trouvés, laissent présager une longue attente. Il fera sa déposition plus tard !

carnet rouge

Ne serait-il pas plus judicieux de vérifier si le sac mauve contient des papiers d'identité ? Ceux-ci ont évidemment disparu avec le téléphone et la carte de crédit ! Mais le carnet rouge et la foule d'objets, dont un livre de poche, que le sac recèle, livreront sûrement des indices sur l'inconnue !  La dédicace de Modiano sur une page de son ouvrage Accident nocturne révèle le prénom de la dame : Laure. Pris au jeu, stimulé par sa fille Chloé, conscient d'enfreindre les règles élémentaires de la discrétion, Laurent se lance dans une enquête de plus en plus transgressive. La quête respectable d'un nom et d'une adresse se mue rapidement en intrusion dans les réflexions intimes notées dans le carnet rouge, ainsi que dans le cadre de vie de Laure, jusqu'à bouleverser le cours de l'existence des protagonistes du récit.

Le contenu du sac

L'auteur nous entraîne aussi à la suite de Chloé  dans une intéressante visite d'un atelier d'art spécialisé dans la restauration d'objets anciens et intervenant dans celle de monuments du patrimoine historique.

Le style d'Antoine LAURAIN est fluide, la plume alerte et agréable. L'intrigue est simple, dynamisée par de courts chapitres, des coïncidences amusantes et des situations imprévisibles. Les héros sont sympathiques et attachants. Les portraits des autres personnages intervenant dans le cours du récit sont souvent cocasses.

L'auteur nous offre un moment de détente et de diversion bien agréable dans la période que nous traversons actuellement.

2015 Antoine LAURAIN au Salon du livre Montargis

9 novembre 2013

Patrick MODIANO (1945) – L’Horizon (2011)

Patrick MODIANO (1945) – L’Horizon (2011)

Depuis quelques temps, Jean Bosmans, la soixantaine, écrivain, auteur d’une vingtaine de livres, note sur un carnet de moleskine noire, des noms, des lieux, des numéros de téléphone, des épisodes sans suite. L’homme tente d’assembler ces bribes de l’époque de sa jeunesse et de combler les vides laissés dans cette liste d’éléments diffus. Progressivement, le brouillard se dissipe, des personnages se dessinent, des scènes se précisent.

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Ce soir là, place de l’Opéra, des manifestants, reflués dans les escaliers du métro par la charge des CRS, les avaient bousculés, plaqués contre le mur. Hasard qui fut le début d’une histoire d’amour. Ils n’avaient pas vingt ans au début des années soixante. Elle était née à Berlin et s’appelait Margaret Le Coz. À cette époque, il tenait permanence dans la librairie sans client des Éditions du Sablier, qui avaient cessé leur activité de production d’ouvrages traitant d’ésotérisme et d’occultisme. Le soir, il allait attendre Margaret à la sortie des bureaux d’une officine aux activités administratives mal définies de … sous-traitance, de ... contentieux, en lien avec la préfecture de police. Tous deux étaient incommodés par la curiosité et les invitations pressantes de ses inquiétants  collègues.

Les jeunes gens se tenaient constamment sur le qui-vive. Chacun d’eux se sentait menacé. Pistée et harcelée par Boyaval, un homme inquiétant, agressif, violent, Margaret s’abritait alors à Auteuil, après s’être sauvée d’Annecy, de Lausanne puis du centre de Paris. Quant à Bosmans, il s’interdisait certaines rues de Paris, craignant de voir apparaître la femme à l’allure martiale, les cheveux rouges, le regard dur, sa mère, s’il en croit l’état civil, à qui il ne savait refuser l’argent qu’elle lui demandait sur un ton autoritaire et agressif, tandis que se tenait à l’écart, l’homme brun habillé de noir, à l’air d’un prêtre défroqué et à la cambrure d’un toréro.

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Modiano accorde son style au propos du roman, la nébulosité des souvenirs, le flou de la mémoire.

La précision des adresses, l’exactitude des noms des rues, des hôtels, des stations de métro, l’énumération fidèle des enseignes des boutiques, contrastent avec les descriptions vagues des lieux habités ou fréquentés par Bosmans et Margaret, locaux temporaires, sinon à signaler les issues débouchant sur deux rues. La mémoire ne retient pas le transitoire !

Modiano bouscule le cours d’évènements qui s’étalent sur une quarantaine d’années. Une année est définie, 1945, année de naissance des jeunes gens, mais les époques sont confuses. Le narrateur hésite entre deux saisons, entre deux moments de la journée, le temps est incertain, souvent brumeux. La mémoire n’a que faire de la chronologie !

À la rigueur qu’il accorde à leurs patronymes, l’auteur oppose les portraits très succinct  des personnages : un visage grêlé, une queue de cheval et des ballerines de danseuse, un regard froid et des cheveux courts, pas de détail physique sur les deux personnages principaux.  Bosmans attribue ses propres doutes  aux enfants : Ces enfants ! Étaient-ils les enfants de ceux qui s’en disaient les parents ? La mémoire n’a que faire de l’apparence !

Curieusement, certains rêves angoissants se sont incrustés dans sa mémoire.

La place que le narrateur donne au rôle de Boyaval, masque les causes plus profondes de l’anxiété de Margaret. Bosmans perçoit bien que le problème est ailleurs. Il en a retenu les indices : le mutisme de Margaret sur la raison de sa naissance à Berlin en 1945, de vagues allusions sur son passé : … trains de nuits, … pension, … maison de correction, … rupture familiale, … « Ils savent des choses sur moi que je ne t’ai pas dites et qui sont dans leurs dossiers. », au point de jeter précipitamment la jeune femme dans un train en partance pour Berlin.

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Horizon

 

Sous le charme de l’écriture fluide de Patrick Modiano, égaré par la construction du roman, le lecteur, envoûté, avance sans visibilité, sur un sol mouvant dans un récit qui suscite une multitude d’interrogations auxquelles il ne trouve aucune réponse, mais auxquelles il lui est loisible d’imaginer quantité d’interprétations. La fin reste ouverte. Oui, mais sur quel horizon ?

Tout le plaisir de la lecture est là.

 

19 février 2014

François-Régis BASTIDE (1926~1996) - L’homme au désir d’amour lointain (1994)

François-Régis BASTIDE (1926~1996) - L’homme au désir d’amour lointain (1994)

     Au retour d’une délégation diplomatique à Copenhague, le héros du roman est nommé ambassadeur dans un état imaginaire riverain de l’Adriatique, situé aux confins de l’Italie et de la Slovénie, dont la capitale est Mittelbourg. la Villanovie. Le royaume de Villanovie est petit, mais riche en raison de ses ressources minières d’argent et de Bauxite d’aluminium.  Ce royaume d’opérette pourrait être un petit paradis avec son héritage étrusque, ses jardins magnifiques, ses tamaris, ses micocouliers et ses arbres rares. Le villanovien est une langue pratiquement inaccessible tant elle est complexe. C’est un mélange de bas-slavon, et de chtokavien pire que le hongrois, ce qui est peu dire ! Regina Ilma, la jeune reine, apparentée à toutes les cours d’Europe, est réputée dans les chancelleries pour n’accepter que les lettres de créances présentées par des diplomates célibataires ou veufs.

VILLANOVIE

     Outre ses réceptions, ses relations avec les autres diplomates accrédités, ses contacts en vue d’écouler nos produits agricoles et industriels, Son Excellence, se voit chargée de recevoir la délégation française et de représenter la France à la conférence internationale de la SCE. Cet aspect du roman entraine le lecteur dans les arcanes des couloirs d’une rencontre où tout renseignement glané peut être précieux, où tous les pièges sont tendus, où tout faux-pas peut avoir des conséquences désastreuses. Elle ne s’en sort pas si mal faisant face à tous les défis, évite même la catastrophe à l’instant le plus critique.

     Sur les traces des amours de Valery LARBAUD / Barnabooth, de RILKE  et de STANDAHL, accompagné des mélodies de Mozart, Brahms, Ravel, notre ambassadeur se laisse prendre aux charmes de Sa Majesté Regina Ilma. M. Pingouin et Mrs. Wilson font de folles escapades secrètes, tendres, futiles et cocasses.

      Jusqu’où ces amours de midinette de l’ambassadeur le mèneront-elles ? Qui est ce mystérieux Arthur L. ? Quel rôle joue-t-il ? François-Régis Bastide allie avec brio vraisemblance, fantaisie et imagination délirante et soutient le suspens tout au long du récit. Le style de l’écriture est un régal !  

Note : CSCE/OSCE : Conference on Security and Co-operation in Europa/ Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe ocessus d’Helsinski    

27 mars 2014

Guy de MAUPASSANT 1850~1888) - BEL-AMI (1885)

 

buste homme

Guy de MAUPASSANT 1850~1888) - BEL-AMI (1885)

 

     Après quelques études, George Duroy, fils d’aubergistes normands à Canteleu au nord-ouest de Rouen, s’est engagé dans l’armée d’Afrique. Il en sort pour s’asseoir dans le bureau morne d’une compagnie de chemin de fer pour un tout petit salaire et vivre dans un appartement pitoyable. Le jeune homme, venu tenter sa chance à Paris, erre sur les boulevards quand il rencontre fortuitement un ancien camarade de régiment qui lui entrouvre les portes du journal "La vie française", dans lequel il est rédacteur politique.

     Duroy est ambitieux. Son ascension se fera par les femmes de 17 à 77 ans. La petite fille d’une de ses maîtresses le surnommera Bel-ami. La femme est objet de plaisir. La femme est un moyen d’accéder à un statut social par sa fortune et la conclusion d’un mariage, soit en mettant ses capacités intellectuelles et ses relations au service de l’homme.

     MAUPASSANT met ici son talent pour la nouvelle au service fait d’une peinture réaliste des mœurs de la IIIe République à la fin du XIXe siècle, sous la forme d’une succession de tableaux suggestifs, denses, condensés, expressifs. Ces tableaux s’articulent,  autour d’une ligne directrice : l’ascension sociale de Georges Duroy favorisée par les relations féminines. Par les femmes, sa carrière de journalistique progresse, il fait un riche mariage et accède à la fortune, obtient le titre de Baron du Cantel, est décoré. Tout cela le mènera jusqu’à…la députation ? … ou la chute ? … sait-on ?

Tenue de l'homme du monde en 1880

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MAUPASSANT décrit l’ambiance qui règne dans les salles de rédaction où se font et se défont des ministères, les salons mondains où naissent les intrigues et les liaisons, dénonçant par là la collusion entre la presse, la finance et la politique. Il peint la société des bourgeois parvenus à laquelle s’accrochent des ambitieux sans scrupules et parfois des représentants de la noblesse pauvre en quête de l’opportunité de redorer leurs blasons.

      MAUPASSANT ne se contente pas de peindre des portraits, des tableaux, il imprègne son récit de l’atmosphère, des odeurs et des bruits périphériques. Il nous incite à partager son amour de la nature.

     Dans les moments importants de son cheminement, au–delà des apparences, les miroirs ou l’eau reflètent l’image de Duroy. L’image de Bel-Ami se retrouve aussi dans la représentation du christ du tableau.

De même, tout au long du roman la mort ou son image est présente.

       Bel-Ami, commencé durant l’été de 1884, est paru en feuilleton du 6 avril au 30 mai 1885 et en volume le 22 mai. Le livre a acquis d’emblée la faveur du public. Son contenu  agite le monde du journalisme, de la politique et des affaires : certains se reconnaissent sous la caricature. MAUPASSANT trouve en effet son inspiration dans un milieu qu’il connaît de l’intérieur.

 

      Il s’appuie sur des affaires et des scandales récents, situe l’intrigue dans des lieux qu’il a fréquentés. L’affaire de la dette du Maroc est la transposition de celle de Tunisie (1881).

A propos de la dette de Tunisie, voir : L’AFFAIRE TUNISIENNE – L’AFFAIRE DE L’ENFIDA (1881-1882)

 

8 juin 2014

LAURAIN Antoine – Le chapeau de Mitterrand (2012)

Antoine LAURAIN - Le chapeau de Mitterrand

     Et si la personnalité et le destin d’un individu dépendaient d’un accessoire vestimentaire ? - un couvre-chef, par exemple - pas n’importe lequel  - celui du plus haut personnage de l’État – le chapeau du Président de la République française - le chapeau de Mitterrand ?

     En fin d’après-midi, tandis qu’un comptable de la Sogetec, contrôle les dernières notes de frais des chargés de mission, une idée s’impose à lui : fuir la soirée solitaire qui l’attend dans l’appartement silencieux ; profiter de l’absence de sa femme et de son fils pour s’offrir un dîner de célibataire dans une belle brasserie parisienne. Après avoir commandé au maître d’hôtel un Plateau Royal de fruits de mer accompagné d’une bouteille de pouilly-fuissé, Daniel Mercier, absorbé dans la préparation de la première huître qu’il vient de prélever dans le plat, s’apprête à se délecter lorsque FrançoLe chapeau du présidentis Mitterrand, en personne, vient occuper la tablevoisine. Le Président a pris place en compagnie de deux autres convives, un gros trapu à lunettes et cheveux frisés et le Ministre le l’Intérieur Roland Dumas. Émoustillé par la proximité de son illustre voisin, Daniel étire la durée de sa dégustation, tente d’intercepter des bribes de propos provenant du trio. Il s’entend déjà évoquer l’aventure : « J’ai dîné aux côtés de François Mitterrand dans une brasserie en novembre 1986, il était à côté de moi, je l’ai vu comme je te vois. ». Deux heures plus tard, les trois hommes ayant quitté l’établissement, de cette soirée mémorable, il ne reste, oublié sur la banquette, que le chapeau du Président. Daniel Mercier s’en empare discrètement et, coiffé du prestigieux couvre-chef, il sort de la brasserie.

ronde de chapeaux 3

Il passe, il passe, le chapeau, le chapeau du Président.

Il passe, il passe, le chapeau, le chapeau de Mitterrand.

Il pass’ sur la têt’ de Daniel,

Il pass’ra sur celle de Fanny,

Il passe, il passe, le chapeau, le chapeau du Président.

Il passe, il passe, le chapeau, le chapeau de Mitterrand.

Il pass’ sur la têt’  de Pierre,

Il pass’ra sur  celle de Bernard,

Il passe, il passe, le chapeau, le chapeau du Président.

Il passe, il passe, le chapeau, le chapeau de Mitterrand.

Qui l’a ?

     Cette parodie de la célèbre comptine « Il court, il court, le furet ... » résume les pérégrinations du feutre du chef de l’État dans ce conte où, couverts du précieux trophée, les détenteurs successifs, soudainement dotés d’une confiance en soi et d’une détermination insoupçonnées, verront son destin changer de cap.

     Daniel Mercier, modeste employé sans envergure d’une société en pleine restructuration, émettra des propositions si géniales qu’il sera promu directeur de succursale en quelques jours.

Le chapeau dans le train

     Fanny Marquant (le chapeau n’est pas sexiste) manifestera enfin sa volonté de cesser leur relation clandestine à son amant veule, incapable de tenir la promesse, qu’il lui a faite, d’avouer à son épouse qu’il a une liaison et qu’il souhaite mettre fin à leur vie conjugale.

     Pierre Aslan, atteint d’une grave dépression depuis qu’il a perdu son don olfactif, retrouvera ses facultés, sauvera son honneur de célèbre créateur génial de parfums et reprendra goût à la vie.

 

Le chapeau sur le banc public

Soudain décillé, l’aristocrate Bernard jettera aux orties les principes immuables surannés, les préjugés pédants de sa classe sociale pour s’informer autrement, sortir de l’entre-soi  et s’épanouir dans la découverte des modes d’expressions contemporaines.

Quel mystérieux génie se dissimule derrière le chapeau magique ?

 

ribambelle     Cette histoire, dont le thème principal est l’image de soi et le regard de l’autre sur soi, revisite avec quelque nostalgie l’époque des années 1980 : ses techniques  obsolètes aujourd’hui ; les tubes à la mode ; les émissions télévisées et radiophoniques en vogue à l’époque ; les célébrités d’alors ; les scandales médiatiques ; les grand chantiers de prestiges ; la création de nouvelles formes de festivals ; les soirées et les journées festives à thèmes, accessibles gratuitement à tous ; les réunions mondaines ; la diffusion de créations artistiques connues jusqu’alors par un cercle restreint d’initiés ; la promotion de modes d’expression populaires au rang de discipline artistique ; la mise en valeur de l’art l’industriel...

 

ribambelle     Excepté la Normande, Fanny Marquant, de condition plus modeste que les autres protagonistes de l’histoire, avant que la magie du chapeau n’agisse, les héros du roman appartiennent à la frange la plus aisée de la société. Ils évoluent dans les quartiers bobos branchés ou aristocratiques  de la capitale.

 

ribambelle     Loin de faire l’éloge de l’époque et de la société mitterrandienne, la formule du conte adoptée par Antoine LAURAIN lui permet d’en faire une description manichéiste et, de  même, caricaturer, en quelques traits particulièrement cruels, le monde aristocratique imbu de références intangibles dépassées, qui dénigre  systématiquement toute nouveauté. Tout en valorisant les aspects positifs du mitterrandisme, il en montre avec humour les travers et les incohérences. Il souligne la différence de statut social et de mode d’existence consécutifs de la place primordiale occupée par l’argent. La difficulté de gagner de quoi vivre décemment ne semble pas être le problème majeur des acteurs du récit.ribambelle     Le ton est léger, ironique, le style agréable et fluide. Cette histoire courte, sans prétention littéraire, lue en quelques heures est une aimable distraction qu’il ne faut pas bouder en ces temps de crise.  ribambelleQue faire du livre après sa lecture ? Le faire dormir sur un rayon de la bibliothèque ? Le prêter ? Le donner ? Le conseiller sûrement. Ou plutôt, régaler de sa magie qui le recueillera, en l’oubliant volontairement ... sur la banquette d’une brasserie, ... dans le filet à bagage d’un train, ... sur un banc public...

Le livre sur le banc

 

 

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