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12 juin 2011

Jim HARRISON (1936) – De Marquette à Veracruz(2004)

Jim HARRISON (1936) – De Marquette à Veracruz(2004)

traduit de l’anglais par Brice MATTHIEUSSENT[1]

 

« Je ne me déteste pas, mais j’ai la mâchoire suffisamment saillante pour me rappeler mon arrière-grand-père, mon grand-père et mon père. J’ai eu beaucoup de chance quand les traits délicats de ma mère ont modéré mon héritage paternel, moyennant quoi les plus vieux habitants de la Péninsule Nord du Michigan ne se détournaient pas aussitôt de moi, réduits au silence par le malaise et l’effroi. », ainsi se décrit David Burkett, quatrième d’une lignée de David Burkett remontant aux années 1860. Pourtant né avec une cuiller d’argent dans la bouche, mais il se considère porteur d’une tare rédhibitoire et n’aura de cesse de la repousser. Il ne la crachera qu’à l’issue d’un itinéraire de formation de trois décennies qui se soldera à Veracruz.

Les deux premiers David ont bâti leur fortune sur l’extraction drastique et le commerce de milliards de stères de bois d’œuvre de la Péninsule Nord  du Michigan.

 Contrairement à Cynthia, sa sœur cadette, délurée, teigneuse et provocatrice, le garçon est un tendre, soucieux du regard porté sur lui par autrui, rêveur, amoureux de la nature et passionné de parties de pêche en compagnie de son ami Glenn. Leurs parents vivent des rentes des fortunes héritées de l’exploitation des ressources naturelles du Sud du Lac Supérieur par leurs  aïeux. Ils partagent leur vie oisive en loisirs et fêtes, fréquentant des nantis de même acabit, entre Marquette l’hiver où se trouve la maison familiales, sur leurs lieux de vacances respectifs où leur bungalow au sein d’un club privé.
         Lorsque nous faisons sa connaissance dans les années soixante, le narrateur est un adolescent en pleine crise identitaire. Comment s’identifier à ces Burkett capables de tout pour assouvir leur avidité? Comment s’identifier à ce père, David le troisième, cet ivrogne pervers, roublard, en tête du palmarès du viol de gamines à peine pubères, cet homme égoïste, imbu de son statut social, qui se place au-dessus de la morale commune en achetant le silence des victimes de ses obsessions  pédophiles et de ses orgies ? Quelle consolation trouver auprès d’une mère malheureuse, réfugiée dans l’oubli procuré par l’alcool et les antidépresseurs ?

grouse_1_lg

 

Source de l'image : cliquez ICI

Le repentir par procuration de David commence par une conversion à l’église méthodiste[1], église schismatique de l’église anglicane épiscopalienne à laquelle appartient sa famille, afin de devenir pasteur. La méthode du pasteur John Wesley renforce sa hantise de rachat du péché originel et de sanctification personnelle. Le jeune homme renoncera au sacerdoce et décidera de se consacrer à la dénonciation des déprédations irréversibles exercées par sa famille.
         Le père de David est assisté de Jesse son homme à tout faire. Jesse, d’origine mexicaine a obtenu la nationalité américaine pendant la guerre du Pacifique où il a servi sous les ordres de Mac Arthur avec son patron. Il a décidé de revenir avec sa fille, Vera, d’une de ses visites annuelles à sa famille restée au Mexique. Promu répétiteur de Vera pour l’apprentissage de l’anglais, David en tombe secrètement amoureux. Sa protégée est une fillette intelligente et enjouée d’une douzaine d’années qui diffuse son entrain et sa bonne humeur à toute la maisonnée. C’est le viol de cette enfant par M. Burkett père qui provoquera la dislocation de la famille. Un délit resté impuni, évidemment !

Grouse_(PSF)

 

Source de l'image : cliquez ICI

          Enceinte à seize ans d’un condisciple du lycée, Cynthia est la première à fuir cette ambiance folle. Situation d’autant plus scandaleuse, pour une fille d’une grande famille du Mississipi, que le père est Donald, un sang-mêlé finnois et indien chippewa, fils du fidèle jardinier Clarence, vétéran de la guerre de Corée.

        La progression du cheminement vengeur de David  s’identifiera rapidement à un parcours initiatique. Il est soutenu par Fred, l’oncle pasteur alcoolique «qui jouait les funambules entre deux mondes», attiré par les philosophies asiatiques, écarté du ministère sur plainte de ses paroissiens. Son affection pour sa sœur Cynthia et pour Carla sa chienne, les femmes qui ont compté pour lui, Laurie son premier amour, Riva la Noire qui a consacré sa vie aux enfants en difficulté, Polly son ex-épouse avec laquelle il ne voulait pas avoir d’enfant, Vernice la poétesse, aideront à sortir ce « pète-sec » de son petit moi. Les  travaux d’endurance en compagnie des travailleurs manuels, l’écoute des démunis, des victimes de l’exploitation des territoires du Nord, de Clarence et de Jesse le feront émerger de son exil expiatoire et de ses contradictions. Toutes ces rencontres l’aideront à approfondir  ses motivations, à réfléchir sur les problèmes existentiels que sont la religion, le désir, le sexe, l’amour, le sens de la vie, la mort.

PAPO Le plongeon huard

 

David constatera la naïveté de jeter l’opprobre sur les générations antérieures. La cupidité de ses ancêtres n’est pas vécue par les bûcherons survivants de la manière qu’il imagine, c’était le bon temps qui leur fournissait un travail certes dangereux, rude et pénible, mais il permettait de nourrir leur famille. Le malaise et l’effroi qu’il croit percevoir chez eux ne concernent-il pas plutôt l’usage que la génération présente fait de sa fortune et de l’orientation de son appétit du gain ? Surpris de la réticence de ses amis désargentés envers sa générosité financière, cet enfant gâté découvrira que l’argent s’échange. Sans contrepartie de sa part, le bénéficiaire se sent avili.

Goinfrerie et cuisine élaborée, beuveries à la bière, au whisky et dégustation de vins fins, débordements érotiques et retenue puritaine, haine et amour, fortunes colossales et misère, détails triviaux et méditations philosophique, théologique et culturelles, propriétés luxueuses et modestes chalets inconfortables, immensité des magnifiques paysages et friches lamentables, abondance de gibier et massacre d’espèces animales,  solitude absolue et promiscuité des cités, monotonie des routes interminables et encombrement urbains, liberté des grands espaces et regroupements ethniques, enfermement volontaire de riches résidents, froids polaires, tempêtes de neige, orages terrifiants, chaleur accablante,  villes gigantesques  donnent un aperçu des excès de l’Amérique du Nord contemporaine.

PAPO Opossum

Les lecteurs prennent connaissance du dénouement de l’histoire dès le début du roman. Pourtant, au cours de la lecture, quelques doutes naissent quant à la nature de cette page et demie écrite en italique et puis non, on la retrouve bien à la fin. Entre ces pages, une partie est consacrée à chaque décennie, les années soixante,  les années soixante-dix, les années quatre-vingt dans lesquelles la chronologie n’est pas toujours suivie. Un épilogue termine la narration.

Dans les romans précédents Dalva (1987), puis La Route de retour (1998), Jim HARRISON avait abordé les conséquences de l’invasion des immigrants européens en Amérique du Nord sur le sort des populations autochtones. Dans De Marquette à Veracruz, il élargit le thème vers celui du comportement des hommes envers la nature, leur héritage commun. Il resitue la colonisation européenne de l’Amérique, l’asservissement et l’extermination des populations autochtones dans la continuité de l’histoire universelle de l’humanité. Il remet l’espèce humaine à la place de prédateur qu’elle occupe depuis la nuit des temps et souligne la légèreté de sa conduite égocentrique, laquelle provoque des dégâts irréversibles sur l’environnement jusqu’à compromettre l’équilibre la biodiversité de notre planète

Lien vers :

BIOGRAPHIE ET BIBLIOGRAPHIE de Jim HARRISSON

http://colinecelia.canalblog.com/archives/2011/01/23/20197744.html

LE PIN BLANC D’AMÉRIQUE - LES CONSÉQUENCES DE SA SUREXPLOITATION AU XIXe SIÈCLE DANS LE MICHIGAN

Jim HARRISON (1936) – Retour en terre (2007) suite de De Marquette à Veracruz

http://colinecelia.canalblog.com/archives/2011/07/03/21533906.html


[1] Le méthodisme, l’Église épiscopalienne, John Wesle, voir ORIGINE DE QUELQUES EGLISES PROTESTANTES  : http://colinecelia.canalblog.com/archives/2011/06/26/21487081.html



[1] Brice MATTHIEUSSENT (1950) est diplômé de l’E.N.S. des Mines de Paris (1973), est titulaire d’une licence et Maîtrise de philosophie (1974) et d’un doctorat d’Esthétique. Il enseigne l’histoire de l’art contemporain et l’esthétique à l’École Supérieure des Beaux-arts de Marseille depuis 1990 et enseigne aussi  à l’École Nationale Supérieure de la photographie à Arles. Il participe aussi au Mastère de Traduction Littéraire de Paris. Il est traducteur de nombreuses fictions de langue anglaise depuis 1975 et est directeur de collection aux Éditions Bourgois à Paris depuis 1990. Il auteur d’un roman paru en 2009, Vengeance du traducteur.

 http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=auteur&numauteur=250

"Jim Harrison de A à X" de Brice MATTHIEUSSENT

http://www.christianbourgois-editeur.com/une-nouvelle.php?Id=50

 


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