Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
ColineCelia a lu
Newsletter
Publicité
ColineCelia a lu
Visiteurs
Depuis la création 237 176
Archives
Derniers commentaires
24 août 2014

Émile CHALOPIN – La musette au dos (2013) - L’usine de Langlée 1923- 1936

Émile CHALOPIN – La musette au dos (2013)

L’usine de Langlée 1923- 1936


      « Ici, lui a dit Antoine, ça défile, beaucoup jettent l’éponge dès les premières nuits. L’hiver le nez dans la fournaise et la bise dans le dos, faut avoir du chien dans l’corps pour résister. »

     Le visage ruisselant, les traits marqués par la poussière d’anthracite, Armand Lagneau vient de passer avec son collègue sa deuxième nuit à charger les huit foyers incandescents des grands fourneaux qui génèrent la vapeur destinée à vulcaniser le caoutchouc, à alimenter les autoclaves, les étuves et les presses à mouler des différents ateliers. Comme la nuit précédente, luttant contre le sommeil, Armand Lagneau a guetté avec impatience l’apparition des premières lueurs du jour. Les travaux pénibles ne lui font pas peur, il en a l’habitude : en Sologne, il y a trois ans, il louait encore la force de ses bras, de ferme en ferme pour les travaux saisonniers. Comment parvenir à nourrir une fratrie de dix enfants avec un salaire intermittent et la maigre rétribution de son épouse employée à la cantine de la briqueterie voisine ? Ils ont hésité longtemps, puis ils sont partis à l’aventure en quête d’un avenir meilleur. L’installation dans une masure de bois du Chemin noir de la famille Lagneau partie de Vannes-sur-Cosson marque la fin de ses pérégrinations. Attiré par l’assurance d’un salaire régulier, Armand Lagneau a pris le chemin de l’usine de Langlée.

Jeff et Floc près du vieux colombier de l'Anglée

     En cette année 1926, les candidats à l’embauche sont nombreux à se présenter la musette au dos aux portes de l’usine Hutchinson. La population locale et celle des communes alentour, même éloignées, ne suffisent pas à répondre aux besoins en ouvriers de l’entreprise, d’autant plus que de nombreux jeunes hommes de plusieurs classes d’âges sont morts sur les champs de bataille de la Première Guerre Mondiale.

     Dès la fin des hostilités, l’usine de Langlée a modernisé ses moyens de production, créé de nouveaux ateliers et développé de nouvelles fabrications, contraignant ses dirigeants à faire appel à une main d’œuvre venue d’ailleurs (1). Par vagues successives, le quartier de Vésines sur la commune de Châlette accueille des ouvriers agricoles et des petits fermiers qui fuient avec leur famille la misère de régions pauvres. Il faut aussi faire appel à de la main d’œuvre étrangère : des Chinois, des Ukrainiens et des Russes Blancs(2) chassés par la révolution bolchevique dans les années 1920, des Polonais de Galicie en 1926, puis des tchécoslovaques, des Grecs, des survivants du génocide arménien, ensuite, dans les années 1930, des Italiens et des Espagnols(3). Certains rentreront au pays, partiront chercher meilleur vie ailleurs, d’autres se marieront, feront souche... et constitueront le melting-pot qui, depuis les années 1920, fait la caractéristique de la ville de Châlette et des communes environnantes.

      La plupart des héros du roman d’Émile CHALOPIN habitent dans une rue qui longe l’usine, un bâtiment datant de la première moitié du XVIIIe siècle destiné dès l’origine au logement d’ouvriers de « La Manufacture Royale de l’Anglée(4) », « Le Rang de l’Anglée». Devenue pour tous « Le Vieux Rang(5) », la bâtisse abrite aussi trois commerces. D’une longueur de deux cents mètres, elle est caractéristique de l’époque de sa construction avec son toit à la Mansart abritant des greniers aménagés en petites chambres.

L'usine de Langlée à Châlette-Vésines au début du XXe siècle

     L’attitude équivoque du chef d’équipe de l’atelier des chaussures envers la petite Mariette Lagneau, qui vient d’entrer à l’usine aussitôt fêtés ses treize ans, provoque l’intervention de Maria, une des ouvrières de la chaîne.  Les suites de l’altercation entre la grande rouquine et le chefaillon (sa bedaine et son visage boursoufflé lui valent le sobriquet de «Bouffi »), les rebondissements auxquels elles donnent lieu et leur retentissement dans la petite
communauté du quartier de Vésines servent de fil rouge au récit d’Émile CHALOPIN.

L’atelier des chaussures de l’usine Hutchinson en 1905

     Comme ses oncles et tantes, l’auteur a travaillé à Hutchinson dans les années 1950. Autour de Châlette ou de Montargis, qui n’a pas eu dans sa famille, un ami, une amie, un voisin ou une voisine qui n’ait pointé à Hutchinson ? Entre deux anecdotes cocasses concernant tel ou telle, les anciens de l’Anglée ne manquaient pas d’évoquer, lorsqu’ils se retrouvaient, combien la présence dans les ateliers des chronométreurs du bureau des méthodes les avait incommodés et de commenter le chamboulement de leurs habitudes de travail qui en avait découlé. L’auteur a transposé les personnalités les plus marquantes du quartier de Vésines à l’époque parmi la multitude de personnages du roman. Certains, comme Monsieur Kouch ont réellement existé(6).

     Au fil des pages, le lecteur distingue les interlocuteurs des nombreux dialogues du récit à leur parler régional, solognot, briard, nivernais, gâtinais... qu’Émile CHALOPIN rapporte fidèlement avec leurs expressions savoureuses. L’éditeur les a retranscrits en italique. Le livre est illustré de nombreuses reproductions de photos et de documents sur Langlée à la première moitié du XXe siècle.


      La musette au dos présente sans pathos, ni naïveté, un kaléidoscope des réalités de la vie quotidienne du monde ouvrier d’entre les deux guerres.

2013-12-04 Emile Chalopin et M. Cazeaux, son éditeur

     La musette au dos dÉmile CHALOPIN est édité aux Éditions de l’écluse B. P. 24 – 45230 Châtillon Coligny ; www.editions-de-lecluse.com

*****

 Notes

1) En 1914, Le nombre insuffisant de femmes pour prendre aux postes de travail la relève des hommes qui sont mobilisés, avait déjà contraint Hutchinson à faire appel à de la main d’œuvre étrangère ; viennent d’abord des Belges qui fuient l’occupant allemand puis des Annamites que le gouvernement a fait venir en France et qui seront rapatriés après l’armistice en 1920-1921.

2) Ces hommes, dont certains étaient officiers, étaient arrivés à Châlette grâce à l’intercession de Madame Lansoy. Ils avaient appartenu aux débris de l’armée russe du général Wrangel acculés dans la presqu’île de Crimée par les Rouges, récemment évacués en Turquie avec le soutient de la Triple entente (France, Royaume-Uni, Russie impériale).  Mme Lansoy, épouse de Mr Lansoy directeur de l’usine de Langlée depuis 1907, était fille du consul de France à Saint-Petersbourg où elle s’était liée d’amitié avec Nathalie de Miller mariée au chef d’État major du général de l’armée russe Wrangel.

3) En 1939, arrivèrent aussi les premiers Nord-Africains. Jusqu’à aujourd’hui, chaque drame de la scène internationale, qu’il soit politique, humanitaire ou économique génère la venue à Châlette de ressortissants du pays concerné.

4) La « Manufacture Royale de l’Anglée » 

5) Le « Vieux Rang » : Le « Vieux Rang » a été démoli en 1960 en raison de son insalubrité. La disposition des logements de cette vieille bâtisse rendait impossibles leur réhabilitation et l’installation du confort sanitaire compatible avec le mode de vie actuel.

6) Monsieur Kouch : de son vrai nom Ivan Krouchteck (01/07/189? ~Chateaurenard (Loiret) oct. 1961) était appelé avec déférence  par tous Monsieur Kouch.  Il avait été soldat du tsar. C’était un excellent cavalier. Tout ce que les personnes qui l’on bien connu savaient sur son passé est qu’il avait lutté contre les troupes bolcheviques dans l’armée du général Wrangel après 1919. Évacué de Crimée suite à la défaite des tsaristes, il était arrivé dans le Montargois à la même période que les autres Russes Blancs, dans les années 1921-22. Monsieur Kouch avait trouvé un emploi dans l’entreprise de battage tenue par le grand-père paternel de Daniel Plaisance à Château-Renard (Châteaurenard à l’époque) entre 1922 et 1930. Après le décès du chef d’entreprise, Mme Plaisance  lui confia la tâche de diriger le personnel. Au fil des années, il fit partie intégrante de la famille. Monsieur Kouch était bien connu à Vésines où il retrouvait ses compatriotes et se ravitaillait auprès d’un commerçant russe.

Dans son livre de chroniques « Empreintes », Daniel PLAISANCE (Éditions de l’Écluse) lui a un rendu hommage  émouvant dans le chapitre  « Deux émigrés russes en Gâtinais » (page 187à 200).

Publicité
Publicité
24 août 2014

De la « Manufacture Royale de l’Anglée » (1740) à l’usine Hutchinson de Châlette-sur-Loing de nos jours

De la « Manufacture Royale de l’Anglée » (1740) à l’usine Hutchinson de Châlette-sur-Loing de nos jours

Usine Hutchinson Châlette-Vésines - le port (photo F. Martin)

Cliquer sur le lien vers le fichier PDF

Langlee_Chalette_Vesines

5 août 2014

Sorj CHALANDON (1952) – Le quatrième mur(2013)

Sorj CHALANDON (1952) – Le quatrième mur(2013)

     À Paris au début des années 1970, la guerre civile au Liban donne lieu à de nombreuses manifestations estudiantines au cours desquelles de violentes échauffourées opposent les commandos de l’extrême droite de la faculté d’Assas à ceux de l’extrême gauche pro-palestinienne de la Sorbonne dans laquelle le narrateur, Georges, milite activement. Éternel étudiant en histoire, metteur en scène intermittent à l’occasion, le jeune homme se lie d’amitié avec un metteur en scène grec, juif, en exil, Samuel Akounis. Ce dernier, bien que né à Salonique en 1940, a été miraculeusement épargné par la Shoah durant laquelle toute sa famille  a péri en déportation. Arrêté, torturé, il a connu les geôles de la Dictature des Colonels avant de fuir son pays. Samuel confronte la réalité de son expérience aux assimilations outrancières absurdes de ses amis gauchistes germanopratins et s’insurge contre la démesure simpliste de leurs slogans. Il invite son ami à défendre ses convictions avec davantage de discernement.

montage explosion

     Une dizaine d’année plus tard, tout en ayant gardé ses opinions, Georges a pris du recul avec l’activisme. Il vit avec Aurore qu’il a rencontrée à l’époque de la fac. Louise, leur petite fille, n’a que quelques mois lorsqu’une lettre de Samuel bouleverse la quiétude du foyer. Avant de mourir, Sam, atteint d’un cancer en phase terminale, souhaite confier à son ami le soin de mener à bien un projet qu’il a ébauché et qui lui tient à cœur : faire taire les armes, en pleine guerre civile à Beyrouth, le temps d’une représentation théâtrale sur la ligne verte qui sépare les belligérants. Le Grec a déjà pris des contacts sur place afin de monter l’Antigone de Jean Anouilh avec des acteurs amateurs issus de chaque communauté. Georges s’engage à accomplir les dernières volontés de son ami.

Cèdre libanais 2

 
      Georges s’envole naïvement vers la capitale libanaise avec sa belle idée de trêve et, dès son arrivée à Beyrouth, s’immerge au sein d’un conflit dont la complexité échappe au rationalisme occidental. Perdu dans les divisions et les haines entre communautés, clans et factions, il entreprend la composition de sa troupe, dans un contexte d’alliances opportunistes qui fluctueront au cours des deux années de préparation du spectacle.

Cèdre libanais 2

     Sam a prévu Imane, une palestinienne sunnite pour le rôle d’Antigone, un Druze du Chouf pour celui d’Hémon son fiancé. Charbel, un maronite de Gemmayzé serait Créon, roi de Thèbes et père d’Hémon. Trois Chiites devaient être les Gardes, de même que la Reine Eurydice, tandis qu’une Chaldéenne aurait été la Nourrice et qu’une catholique arménienne jouerait Ismène. Georges comptait coiffer la Kippa de Samuel pour interpréter le Chœur.

 Cèdre libanais 2

      Sous la menace des tirs de snippers, de chars ou de rockets, à la merci de l’explosion d’une voiture piégée sur son passage, Georges doit franchir les barrages et les no man’s lands, de camps en camp, pour rencontrer ses acteurs. Il lui faut négocier leur participation avec les chefs de clans et de milices. Tous s’interrogent sur ses motivations et sa position dans la guerre, mais chacun des protagonistes trouve dans le texte d’Anouilh une interprétation compatible avec son combat : pour les Palestiniens, Imane-Antigone  sera la porte-parole de leur résistance obstinée tandis que le chef phalangiste chrétien retient en Charbel-Créon le garant de l’ordre qui écrasera l’intransigeante révoltée. Les répétitions peuvent enfin commencer !

Cèdre libanais 2

     Hélas, le superbe rêve de paix  n’est qu’une chimère. Il est anéanti par l’horrible réalité.  En septembre 1982, Beyrouth est bombardée. La représentation n’aura pas lieu. À l’Ouest de la ville, protégés par les chars israéliens, des miliciens phalangistes chrétiens à la recherche de combattants palestiniens s’attaquent à la population des camps de réfugiés de Sabra et de Chatila, massacrant sauvagement vieillards, femmes et enfants. Le quatrième mur entre les acteurs et le public, ce mur virtuel entre l’imaginaire et la réalité, s’est effondré.

Cèdre libanais 2

     Avec un recul d’une trentaine d’années, Sorj CHALANDON a choisi le roman pour exprimer son témoignage sur la réalité vécue au quotidien par les Libanais au cours des années 1975 à 1990. Plus librement que par un reportage, nécessairement formaté et réducteur, il en décrit l’insécurité omniprésente, l’horreur des attentats, des bombardements, des fusillades, la crainte des enlèvements, la complexité politique, l’ambiguïté des enjeux, la perversion des valeurs, les conséquences psychologiques, morales et familiales sur les êtres qui y participent ou en sont victimes.

     Le parallèle du propos avec la multitude des approches possibles de l'Antigone de Jean ANOUILH jouée à Paris, avec l'aval de l'occupant allemand, au théâtre de l'Atelier, le 4 février 1944, séduit. Mais peut-on se permettre d'exposer des innocents au centre d'un champ de bataille, au nom de l'art et d'un idéal de paix ?

     Comme beaucoup de ceux qui rendent compte des déchaînements virulents des conflits armés, de retour à Paris, Georges ne se retrouve plus auprès des siens. Incapable de se replacer dans le quotidien étriqué, les préoccupations futiles, les chagrins dérisoires et les petits bonheurs, il fuit toute explication,  abandonne Aurore et Louise. Georges repart s'immerger dans l'insécurité permanente et l'excitation que la violence et le chaos lui ont procurées .

 Explosion cèdre

Publicité