Joseph KESSEL (1898~1979) - Les mains du miracle (1960)
Joseph KESSEL (1898~1979) - Les mains du miracle (1960)
Joseph KESSEL ignorait l'existence du docteur Félix Fersten jusqu'à ce que son ami l'avocat Henry Torrès lui parle d'une jeune française de ses connaissances, miraculeusement rescapée d'un accident de voiture qui, pour apaiser ses terribles souffrances, avait eu recours en Suède aux soins de ce médecin. Les massages thérapeutiques de ce spécialiste de grande renommée avaient permis à cette jeune fille de retrouver une vie normale. Plus surprenant, au cours de la Seconde Guerre mondiale, grâce à son habileté exceptionnelle, le docteur Fersten avait réussi à exploiter la fragilité d'un de ses patients, le tout puissant Reichsführer-SS, Heinrich Himmler, bras droit d'Hitler, en faveur de milliers de juifs et de déportés. Suite au récit incroyable de son ami, Kessel enquête sur ce personnage, le rencontre, réunit preuves et témoignages et se rend à l'évidence : au cours de ces six années de guerre, le docteur a réellement sauvé des victimes du nazisme par milliers.
Félix Fersten est né en 1898, à Reval, en Estonie, où sa famille, d'origine allemande, était installée depuis plusieurs générations, avant d'être contrainte de s'exiler en Finlande. Le jeune homme fait des études d'agronomie et devient citoyen finlandais en 1918, après avoir combattu dans l'Armée blanche du conte Mannerheim afin de chasser les bolcheviques du pays. Ayant contracté un mauvais rhumatisme dans les marais de Carélie durant de cet épisode, il est hospitalisé et découvre les vertus du massage thérapeutique finlandais. Il décide de s'initier à cette forme de thérapie. Après deux années de formation en Finlande, il poursuit son cursus à Berlin. Là, en 1922, un de ses professeurs lui fait rencontrer un physiothérapeute chinois très réputé, le docteur Kô. Ce dernier, qui avait grandi dans un monastère tibétain, propose à Fersten de lui enseigner d'une forme de massage tibétain très évoluée. Trois ans plus tard, satisfait de son élève, et estimant sa mission accomplie, le docteur Kô lui laisse son cabinet et sa clientèle, et rentre au Tibet.
Les manipulations acquises auprès du docteur Kô, non seulement, soulagent, mais guérissent aussi. La réputation du docteur Fersten va grandissant. Il compte dans sa clientèle des personnalités de la haute bourgeoisie et de l'aristocratie européenne, dont le prince Henri, époux de la reine des Pays-Bas, qu'il guérit. Le docteur achète une maison à La Haye, où il décide de vivre désormais, et partage ses activités entre sa clientèle hollandaise et celle de Berlin, où il a conservé son cabinet.
Fersten ne s'intéresse pas vraiment à la politique. Il s'inquiète cependant de la montée du nazisme dont il réprouve les méfaits. Parmi ses patients, il compte un industriel allemand qui l'a aidé à ses débuts. En 1939, ce dernier lui demande un service : soigner Henrich Himmler, le terrible chef des SS et obtenir de lui qu'il libère un de ses amis, juif, qui vient d'être arrêté par la gestapo. Résolument antinazi, sa première impulsion est un refus, mais il finit par accepter de soigner l'homme chargé de mettre en œuvre la Solution finale et se rend au QG de la Gestapo.
Depuis son enfance, Himmler souffre d'atroces douleurs abdominales lancinantes qu'aucun traitement ne réussit à apaiser. Les mains du docteur Félix Fersten fouillent, malaxent le ventre d'un corps frêle, égrotant, que dissimule à tous l'attitude guindée et la prestance du Reichsführer sanglé dans son uniforme SS. Les élancements s'estompent. Le patient éprouve un bien-être si profond qu'il se sent envahit d'une reconnaissance infinie envers son thérapeute. Cependant, son mal est tel que l'apaisement procuré est éphémère. La souffrance revient régulièrement au bout de quelques semaines. La dépendance d'Himmler aux soins prodigués par le masseur s'installe progressivement. Un deal tacite s'établit peu à peu entre le médecin et son patient : Félix Fersten, de nationalité finlandaise, tient à garder son statut de civil, refuse tout honoraire, mais profite des courts instants privilégiés de gratitude qu'il perçoit chez le tyran pour solliciter quelques grâces, quelques libérations de personnes arrêtées par la Gestapo en échange de ses services. L'instant de grâce passé, il subit les litanies dithyrambiques à la gloire du Führer, la grandeur de la race arienne, l'apologie des crimes nazis, les discours sur la conjuration juive des ennemis du Reich, déclinés par l'incorruptible Reichsführer, qui s'est rajusté dans sa cuirasse de parfait nazi.
Le temps passant, le médecin accroît son emprise thérapeutique, pénètre le fonctionnement psychique de son patient. Himmler fait des concessions de plus en plus importantes et constantes. Jalousé, isolé, surveillé, constamment sur ses gardes au sein d'un appareil vérolé par l'ambition, la suspicion, la délation, l'inhumanité de ses acteurs, il considère Fersten comme son seul véritable ami, la seule personne à qui il peut confier ses états d'âmes. Après la dissipation de l'illusion de la victoire finale, et que Fersten lui a fait admettre l'horreur des missions qu'il met tant de zèle et de minutie à conduire, l'envergure des renoncements accordés sera inouïe.
Au péril de sa vie, de celles de son épouse et de ses enfants, aidé du secrétaire personnel d'Himmler, Rudolf Brandt et du colonel Walter Schellenberg, chef du service de renseignement SS, Fersten réussi à empêcher la déportation massive du peuple hollandais et quelque 100 000 détenus, dont 60 000 juifs, ont été soustraits à une mort certaine.
Félix Fersten est mort en 1960.
Joseph KESSEL, journaliste, rapporte la réalité des faits : le cadre géopolitique, la montée et l'extension du nazisme ; la folie de Hitler ; l'adulation de Himmler pour Hitler ; les conditions humaines et matérielles exploitées par Fersten et les obstacles rencontrés. Joseph KESSEL, romancier, immerge les lecteurs au cœur de la paranoïa qui règne au quotidien dans tous les rouages de l'appareil nazi. Il s'intéresse à la psychologie des principaux acteurs de cette tragédie et décrit le lent retournement au jour le jour des rapports de force entre le despote rigide et le thérapeute manipulateur, jusqu'à pousser le premier à mentir et à tricher avec Hitler, son dieu.
En publiant Les mains du miracle, Joseph KESSEL nous révèle un héros méconnu.
Joseph Kessel a été élu le 22 novembre 1962 à l'Académie française.
"Les mains du miracle", initialement paru en 1960, a été réédité dans la collection Folio en 2013.
On peut réécouter des extraits du livre diffusés sur France Inter cet été dans l'émission "Ça ne peut pas faire de mal" de Guillaume Gallienne,
felix kersten : le medecin du diable TV 5
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