Stephan et Lotte ZWEIG (1881~1942) et (1908~1942) – Lettres d’Amérique (2012)
Stephan et Lotte ZWEIG (1881~1942) et (1908~1942)
Lettres d’Amérique (2012)
New York, Argentine, Brésil, 1940-1942
Traduit de l’anglais par Adrienne Boutang et Baptiste Touverey
Cet ouvrage est une traduction d’une édition établie et préfacée par DARIÉN J. DAVIS ET OLIVER MARSHALL parue en langue anglaise en 2010 sous le titre STEPHAN AND LOTTE ZWEIG’S SOUTH AMERICAN LETTERS New York, Argentina and Brazil 1940-1942.
Né le 28 novembre 1881 à Vienne, en Autriche-Hongrie, Stéphan ZWEIG reçut une éducation laïque dans une famille juive aisée bien intégrée dans la société cosmopolite de la capitale autrichienne à l’époque de l’empereur François-Joseph. À la fin d’une scolarité dont il avait eu du mal à accepter le caractère rigoureux, il obtint son baccalauréat en 1900. Il poursuivit ensuite des études de philosophie et d’histoire de la littérature et fut reçu docteur en philosophie à 23 ans. Curieux de toutes les formes de culture, il fréquentait le milieu « branché » de Vienne, suivait les premières théâtrales et s’intéressait aux nouvelles parutions.
Infatigable voyageur, il entreprit d’innombrables voyages, dès 1904. Afin de satisfaire sa curiosité insatiable et sa soif de découverte, il poursuivit sa formation artistique en fréquentant les milieux artistiques avant-gardistes et les cercles littéraires européens. Il séjourna à plusieurs reprises à Berlin, à Paris où il se lia d’amitié avec Jules ROMAIN, rencontra en Belgique Émile Verhaeren dont il fut le traducteur, vécut quelques temps à Rome, à Florence, se rendit en Provence, en Espagne, en Afrique, visita l’Angleterre, les États-Unis, le Canada, le Mexique. Il vécut aussi un an aux Indes. Polyglotte, il parlait français, italien, allemand, anglais. Plus tard, il apprit l’espagnol et s’essaya au portugais.
Tenté par l’écriture dès 1901, il pratiqua les genres littéraires les plus divers : poésie, théâtre, adaptations, traductions d’un nombre impressionnant d’auteurs. Ses courtes nouvelles, ses essais littéraires critiques et ses biographies romancées, surtout, obtinrent un succès énorme en Europe, en Amérique du Nord ainsi qu’en Amérique du Sud. L’analyse psychologique, voire psychopathologique, la concision de son écriture, la simplicité de son style sont toujours appréciées pour leur modernité. Stephan ZWEIG est célèbre aussi pour ses échanges épistolaires avec de nombreux correspondants, tels ceux avec Freud, entamés en 1908 et, à partir de 1910, avec Romain ROLLAND, dont il partageait les idéaux pacifistes et humanistes.
Profondément marqué par l’éclatement de la Première Guerre mondiale, son séjour sur le front polonais au cours de celle-ci, les bouleversement politiques, sociaux et économiques qu’elle a provoqués ainsi que par l’aggravation des clivages nationalistes de l’entre-deux guerres, sa détermination à défendre ses convictions pacifistes et son souhait d’une Europe unie se renforcèrent.
Dès l’accession d’Hitler au pouvoir, il perçut le danger de voir s’implanter une dictature en Allemagne avec ses conséquences pour les juifs et sur la paix en Europe. Il prit alors conscience de sa judéité, mais resta neutre. Le livret écrit pour l’opéra de Richard Strauss, La femme silencieuse, fut interdit par les nazies et ses œuvres furent brûlés sur les places publiques en Allemagne. Ces évènements et le départ en exil forcé de nombre de ses amis allemands le plongèrent dans une dépression qui, dorénavant, resterait quasi permanente et irait s’aggravant.
Voyant la répression politique atteindre aussi l’Autriche, il décida, en 1934, de s’exiler et choisit de s’installer à Londres, afin de se documenter pour écrire une biographie de Marie Stuart. Son épouse Friederike, restée à Salzbourg avec les deux filles qu’elle avait eues d’un premier mariage, refusa de le rejoindre. Il embaucha une jeune secrétaire, Charlotte Altmann (Lotte), avec qui il entama une liaison.
Dès 1935, Stephan ZWEIG se rendit plusieurs fois aux États-Unis, au Canada, entrepris une tournée de conférences au Brésil (1936) et continua à voyager en Europe jusqu’en février 1938, date de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne. Sa nationalité autrichienne lui ayant été retirée, il ne fut plus qu’un réfugié politique qui demandait la naturalisation anglaise.
Son divorce avec Friederike prononcé en septembre 1939, Stephan ZWEIG épousa Lotte le même mois. Le couple s’installa à Bath dans le Somerset où Stephan avait acheté une maison. En juillet 1940, le couple embarquait pour les États-Unis.
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Lettres d’Amérique
Le livre Lettres d’Amérique concerne les lettres écrites au frère de Lotte, Manfred Altmann, et son épouse Hanna par Stefan et Lotte au cours de leur séjour américain et adressées à quelques autres personnes.
Dans une longue introduction très documentée accompagnée de nombreuses notes en bas de page, les auteurs rappellent le contexte historique, politique, biographique et psychologique dans lequel se situe ce voyage. Ils apportent quelques précisions utiles concernant la tournée de conférences au Brésil (14 août-22 janvier 1940), leur séjour à New-York (24 janvier-15 août 1942), leur vie au Brésil (24 août-22 février 1942). Leur travail d’analyse de la correspondance de Stephan et Lotte insiste sur l’importance du rôle de Lotte auprès de son époux. Ils étudient les circonstances qui les ont amenés à mettre fin à leur existence et ont entouré leur double suicide. Ils ont joint en post-scriptum, la lettre adressée à Manfred Altmann par le journaliste Ernst Feder, qui fut une des dernières personnes à voir Stephan et Lotte ZWEIG avant leur mort. À la fin de l’ouvrage, la rubrique Dramatis personae présente sommairement les nombreuses personnes évoquées dans les lettres du couple ZWEIG.
Sachant pertinemment que leurs lettres seraient lues par le personnel des services de la censure, ils les ont écrites en anglais afin d'activer leur acheminement. On sent une certaine retenue dans leur contenu. Ce côté impersonnel s’amenuisa au fil du temps lorsqu’ils furent à Petrópolis. Entrer dans l’intimité d’une famille en en prenant connaissance devient, de ce fait, moins culpabilisant pour les lecteurs. La plupart des envois contiennent deux écrits, l’un de Lotte, l’autre de Stephan, offrant deux regards sur les évènements de leur vie quotidienne dont ils font un compte-rendu détaillé.
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Stephan et Lotte exilés
On les découvre inquiets pour leur famille restée sous les bombardements et leurs amis qui n’ont pu quitter l’Europe. Ils font part de la progression de leurs démarches auprès de personnes susceptibles d’intervenir pour favoriser l’obtention de visas en faveur des plus menacés d’entre eux. Leur vie protégée les culpabilise, mais ils se plaignent d’être incapables de prévoir l’avenir. Les mêmes préoccupations, les mêmes consignes reviennent sans cesse en raison de la fréquence discontinue du courrier, de la durée de son acheminement et de l’incertitude de le voir parvenir à destination. Ils attendent avec impatience des nouvelles des leurs.
Ils sont flattés de l’accueil qui leur est réservé, du succès des conférences, de l’enthousiasme médiatique que suscite leur présence, mais le rythme des manifestations en leur honneur et des invitations les épuisent. Coupés de leurs sources financières bloquées en Europe, les exilés vivent grâce aux revenus apportés par ces conférences, mais celles-ci dévorent le temps de l’écrivain l’empêchent de se consacrer à son œuvre.
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Petrópolis
L’un comme l’autre aspire se retirer au calme. Enthousiasmés par leur perception du Brésil au cours du premier voyage, ils décident de séjourner à Petrópolis dans la montagne à proximité de Rio de Janeiro, pensant y trouver la fraîcheur. C’était oublier qu’ils vivaient sous les tropiques ! Leur intérêt pour leur pays d’accueil se limite aux magnifiques paysages qu’ils découvrent au cours de leurs promenades. Sans qu'ils manifestent la moindre curiosité pour son histoire et sa culture, leur vision reste sclérosée sur l’a priori couramment véhiculé dans l’Europe d’avant-guerre, d’une société métissée harmonieuse avec, sous-jacente, la supériorité culturelle de l’homme blanc européen. Les noirs font partie du décor, se complaisent dans la crasse, vivent de peu… Curieusement, Stéphan SWEIG, l’humaniste, reste neutre quant au régime politique brésilien, il est vrai qu’il leur doit son permis de séjour permanent.
Les jours passant, aux préoccupations évoquées précédemment dans leurs missives, s’ajoutent la chaleur accablante à laquelle succèdent les pluies diluviennes, l’asthme de Lotte qui résiste à tous les traitements, la moisissure qui recouvre tout, les moustiques qui attaquent jours et nuit, les puces de chien qui prolifèrent. Coupé des bibliothèques, privé de ses ébauches de manuscrits restées à Bath, le travail de Stephan traine. Reclus, ils perçoivent les rares visiteurs ayant gravi les cinquante marches d’accès à leur bungalow, comme des intrus qui aggravent la stagnation de ses occupations littéraires.
Lotte fait courageusement face à la maladie, c’est par son époux que nous en suivons l’évolution. Malgré la fatigue, la jeune femme assiste son mari dans ses travaux, tient la maison et tente de surmonter leur nostalgie en réalisant des recettes traditionnelles leur rappelant leurs origines (encore faut-il qu’elle réussisse à se procurer les ingrédients !). Ils n’ont pas d’ami, peu de relations de sympathie. Ils vivent en transit, déracinés dans un pays qu’ils disent paradisiaque, mais auquel ils n’arrivent pas à s’adapter et dont ils ne réussissent pas à parler correctement une langue qu’ils n’aiment pas.
Stephan vit dans une angoisse permanente pathologique qui l’empêche de s’installer durablement quelque part. Il est malade d’un monde qui n’existera plus et est extrêmement pessimiste quant à l’après-guerre. L’entrée en guerre des États-Unis en janvier 1942 achèvera de le désespérer.
Physiquement et moralement fatigués, après avoir minutieusement préparé leur suicide, Stephan et Lotte ZWEIG s’empoisonnèrent avec des barbituriques le 23 février 1942.
Images : soldats e la Bundesheer à Vienne le 13 février 1934
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bundesarchiv_Bild_102-image
La maison de Stephan et Lotte SWZEIG à Petrópolis
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Casa_Stefan_Zweig_in_Petropolis.jpg