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1 juin 2013

Stephan et Lotte ZWEIG (1881~1942) et (1908~1942) – Lettres d’Amérique (2012)

Stephan et Lotte ZWEIG (1881~1942) et (1908~1942)

Lettres d’Amérique (2012)

New York, Argentine, Brésil, 1940-1942

Traduit de l’anglais par Adrienne Boutang et Baptiste Touverey

Cet ouvrage est une traduction d’une édition établie et préfacée par DARIÉN J. DAVIS ET OLIVER MARSHALL parue en langue anglaise en 2010 sous le titre STEPHAN AND LOTTE ZWEIG’S SOUTH AMERICAN LETTERS New York, Argentina and Brazil 1940-1942.

     Né le 28 novembre 1881 à Vienne, en Autriche-Hongrie, Stéphan ZWEIG reçut une éducation laïque dans une famille juive aisée bien intégrée dans la société cosmopolite de la capitale autrichienne à l’époque de l’empereur François-Joseph. À la fin d’une scolarité dont il avait eu du mal à accepter le caractère rigoureux, il obtint son baccalauréat en 1900. Il poursuivit ensuite des études de philosophie et d’histoire de la littérature et fut reçu docteur en philosophie à 23 ans. Curieux de toutes les formes de culture, il fréquentait le milieu « branché » de Vienne, suivait les premières théâtrales et s’intéressait  aux nouvelles parutions.

     Infatigable voyageur, il entreprit  d’innombrables voyages, dès 1904. Afin de satisfaire sa curiosité insatiable et sa soif de découverte, il poursuivit sa formation artistique en fréquentant les milieux artistiques avant-gardistes et les cercles littéraires européens. Il séjourna à plusieurs reprises à Berlin, à Paris où il se lia d’amitié avec Jules ROMAIN, rencontra en Belgique Émile Verhaeren dont il fut le traducteur,  vécut quelques temps à Rome, à Florence, se rendit en Provence, en Espagne, en Afrique, visita l’Angleterre, les États-Unis, le Canada, le Mexique. Il vécut aussi un an aux Indes. Polyglotte, il parlait français, italien, allemand, anglais. Plus tard,  il apprit l’espagnol et s’essaya au portugais.

     Tenté par l’écriture dès 1901, il pratiqua les genres littéraires les plus divers : poésie, théâtre, adaptations, traductions d’un nombre impressionnant d’auteurs. Ses courtes nouvelles, ses essais littéraires critiques et ses biographies romancées, surtout, obtinrent un succès énorme en Europe, en Amérique du Nord ainsi qu’en Amérique du Sud. L’analyse psychologique, voire psychopathologique, la concision de son écriture, la simplicité de son style sont toujours appréciées pour leur modernité. Stephan ZWEIG est célèbre aussi pour ses échanges épistolaires avec de nombreux correspondants, tels ceux avec Freud, entamés en 1908 et, à partir de 1910, avec Romain ROLLAND, dont il partageait les idéaux pacifistes et humanistes.

      Profondément marqué par l’éclatement de la Première Guerre mondiale, son séjour sur le front polonais au cours de celle-ci, les bouleversement politiques, sociaux et économiques qu’elle a provoqués ainsi que par l’aggravation des clivages nationalistes de l’entre-deux guerres, sa détermination à défendre ses convictions pacifistes et son souhait d’une Europe unie se renforcèrent.


       Dès l’accession d’Hitler au pouvoir, il perçut le danger de voir s’implanter une dictature en Allemagne avec ses conséquences pour les juifs et sur la paix en Europe. Il prit alors conscience de sa judéité, mais resta neutre. Le livret écrit pour l’opéra de Richard Strauss, La femme silencieuse, fut interdit par les nazies et ses œuvres furent brûlés sur les places publiques en Allemagne. Ces évènements et le départ en exil forcé de nombre de ses amis allemands le plongèrent dans une dépression qui, dorénavant, resterait quasi permanente et irait s’aggravant.

Soldats allemands de la Bundesheer à Vienne le 13 février 1934

 

     Voyant la répression politique atteindre aussi l’Autriche, il décida, en 1934, de s’exiler et choisit de s’installer à Londres, afin de se documenter pour écrire une biographie de Marie Stuart. Son épouse Friederike, restée à Salzbourg avec les deux filles qu’elle avait eues d’un premier mariage, refusa de le rejoindre. Il embaucha une jeune secrétaire, Charlotte Altmann (Lotte), avec qui il entama une liaison.

 

     Dès 1935, Stephan ZWEIG se rendit plusieurs fois aux États-Unis, au Canada, entrepris une tournée de  conférences au Brésil (1936) et continua à voyager en Europe jusqu’en février 1938, date de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne. Sa nationalité autrichienne lui ayant été retirée, il ne fut plus qu’un réfugié politique qui demandait la naturalisation anglaise.

Son divorce avec Friederike prononcé en septembre 1939, Stephan ZWEIG épousa Lotte le même mois. Le couple s’installa à Bath dans le Somerset où Stephan avait acheté une maison. En juillet 1940, le couple embarquait pour les  États-Unis.

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Lettres d’Amérique

     Le livre Lettres d’Amérique concerne les lettres écrites au frère de Lotte, Manfred Altmann, et son épouse Hanna par Stefan et Lotte au cours de leur séjour américain et adressées à quelques autres personnes.

      Dans une longue introduction très documentée accompagnée de nombreuses notes en bas de page, les auteurs rappellent le contexte historique, politique, biographique et psychologique dans lequel se situe ce voyage. Ils apportent quelques précisions utiles concernant la tournée de conférences au Brésil (14 août-22 janvier 1940), leur séjour à New-York (24 janvier-15 août 1942), leur vie au Brésil  (24 août-22 février 1942). Leur travail d’analyse de la correspondance de Stephan et Lotte insiste sur l’importance du rôle de Lotte auprès de son époux. Ils étudient les circonstances qui les ont amenés à mettre fin à leur existence et ont entouré leur double suicide. Ils ont joint en post-scriptum, la lettre adressée à Manfred Altmann par le journaliste Ernst Feder, qui fut une des dernières personnes à voir Stephan et Lotte ZWEIG avant leur mort. À la fin de l’ouvrage, la rubrique Dramatis personae  présente sommairement les nombreuses personnes évoquées dans les lettres du couple ZWEIG.

     Sachant pertinemment que leurs lettres seraient lues par le personnel des services de la censure, ils les ont écrites en anglais afin d'activer leur acheminement. On sent une certaine retenue dans leur contenu. Ce côté impersonnel s’amenuisa au fil du temps lorsqu’ils furent à Petrópolis. Entrer dans l’intimité d’une famille en en prenant connaissance devient, de ce fait, moins culpabilisant pour les lecteurs. La plupart des envois contiennent deux écrits, l’un de Lotte, l’autre de Stephan, offrant deux regards sur les évènements de leur vie quotidienne dont ils font un compte-rendu détaillé.

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Stephan et Lotte exilés

    On les découvre inquiets pour leur famille restée sous les bombardements et leurs amis qui n’ont pu quitter l’Europe. Ils font part de la progression de leurs démarches auprès de personnes susceptibles d’intervenir pour favoriser l’obtention de visas en faveur des plus menacés d’entre eux. Leur vie protégée les culpabilise, mais ils se plaignent d’être incapables de prévoir l’avenir. Les mêmes préoccupations, les mêmes consignes reviennent sans cesse en raison de la fréquence discontinue du courrier, de la durée de son acheminement et de l’incertitude de le voir parvenir à destination. Ils attendent avec impatience des nouvelles des leurs.

     Ils sont flattés de l’accueil qui leur est réservé, du succès des conférences, de l’enthousiasme médiatique que suscite leur présence, mais le rythme des manifestations en leur honneur et des invitations les épuisent. Coupés de leurs sources financières bloquées en Europe, les exilés vivent grâce aux revenus apportés par ces conférences, mais celles-ci dévorent le temps de l’écrivain l’empêchent de se consacrer à son œuvre.

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 Petrópolis

     L’un comme l’autre aspire se retirer au calme. Enthousiasmés par leur perception du Brésil au cours du premier voyage, ils décident de séjourner à Petrópolis dans la montagne à proximité de Rio de Janeiro, pensant y trouver la fraîcheur. C’était oublier qu’ils vivaient sous les tropiques ! Leur intérêt pour leur pays d’accueil se limite aux magnifiques paysages qu’ils découvrent au cours de leurs promenades. Sans qu'ils manifestent la moindre curiosité pour son histoire et sa culture, leur vision reste sclérosée sur l’a priori couramment véhiculé dans l’Europe d’avant-guerre, d’une société métissée harmonieuse avec, sous-jacente, la supériorité culturelle de l’homme blanc européen. Les noirs font partie du décor, se complaisent dans la crasse, vivent de peu… Curieusement, Stéphan SWEIG, l’humaniste, reste neutre quant au régime politique brésilien, il est vrai qu’il leur doit son permis de séjour permanent.

      Les jours passant, aux préoccupations évoquées précédemment dans leurs missives, s’ajoutent la chaleur accablante à laquelle succèdent les pluies diluviennes, l’asthme de Lotte qui résiste à tous les traitements, la moisissure qui recouvre tout, les moustiques qui attaquent jours et nuit, les puces de chien qui prolifèrent. Coupé des bibliothèques, privé de ses ébauches de manuscrits restées à Bath, le travail de Stephan traine. Reclus, ils perçoivent les rares visiteurs ayant gravi les cinquante marches d’accès à leur bungalow, comme des intrus qui aggravent la stagnation de ses occupations littéraires.

 

Casa_Stefan_Zweig_in_Petropolis

Lotte fait courageusement face à la maladie, c’est par son époux que nous en suivons l’évolution. Malgré la fatigue, la jeune femme assiste son mari dans ses travaux, tient la maison et tente de surmonter leur nostalgie en réalisant des recettes traditionnelles leur rappelant leurs origines (encore faut-il qu’elle réussisse à se procurer les ingrédients !). Ils n’ont pas d’ami, peu de relations de sympathie. Ils vivent en transit, déracinés dans un pays qu’ils disent paradisiaque, mais auquel ils n’arrivent pas à s’adapter et dont ils ne réussissent pas à parler correctement une langue qu’ils n’aiment pas.

Stephan vit dans une angoisse permanente pathologique qui l’empêche de s’installer durablement quelque part. Il est malade d’un monde qui n’existera plus et est extrêmement pessimiste quant à l’après-guerre. L’entrée en guerre des États-Unis en janvier 1942 achèvera de le désespérer.

Physiquement et moralement fatigués, après avoir minutieusement préparé leur suicide, Stephan et Lotte ZWEIG  s’empoisonnèrent avec des barbituriques le  23 février 1942.

Images : soldats e la Bundesheer à Vienne le 13 février 1934

http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bundesarchiv_Bild_102-image

La maison de Stephan et Lotte SWZEIG à Petrópolis

http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Casa_Stefan_Zweig_in_Petropolis.jpg

 

 

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19 mai 2013

Eric-Emmanuel SCHMITT (1960) – Les deux Messieurs de Bruxelles (2012)

Eric-Emmanuel SCHMITT (1960) – Les deux Messieurs de Bruxelles (2012)

Cinq nouvelles sont assemblées sous le titre de la première d’entre-elles, Les deux messieurs de Bruxelles, Le chien, Ménage à trois, Un cœur sous la cendre et L’enfant fantôme.

Les deux messieurs de Bruxelles

Saint-Michel-et-Gudule

Après avoir accepté le lègue d’un inconnu qui l’a désignée comme unique héritière de ses biens, Geneviève Grenier se trouve soudain à la tête d’un patrimoine important. Intriguée, espérant découvrir ce qui la lie au défunt, la vieille dame  se rend sur la tombe de Jean Deamens, le mystérieux testateur. Loin de répondre à ses interrogations, cette visite les accentue, car elle découvre  une tombe exactement semblable à côté de la précédente, celle d’un autre homme mort cinq ans plus tôt, Laurent Delphin. Quels liens cette similitude tissait-elle entre ces deux hommes et entre elle et ces deux hommes ?

Le chien

Le récit se déroule en Belgique dans le Hainaut. Dès son installation dans le bourg, La personnalité de l’ancien médecin Samuel Heymann, avait intrigué le narrateur. On lui dit que l’ancien praticien avait toujours vécu avec le même chien, un beauceron nommé Argos. Enfin, toujours avec un animal de même race, qu’il persistait à appeler Argos. L’homme, austère, mais apprécié de tous, vivait au village depuis une cinquantaine d’années. Samuel avait élevé seul sa fille qui n’avait que cinq ans à la mort de sa femme. Après le départ en ville de sa fille, celui-ci vivait retiré dans son manoir, avec Argos pour unique compagnie.

Berger Beauceron ou Bas-rouge2

 

Au cours de ses promenades, le narrateur était entré en relation avec le vieil homme, après plusieurs tentatives d’approche infructueuses. Encore était-ce dû, semblait-il, à l’intérêt qu’Argos avait manifesté envers lui et ses chiens ! Le narrateur, qui était écrivain, aimait les livres. Cette passion partagée les rapprochait, mais jamais leurs échanges ne purent déborder ce domaine, pas plus que celui lié à la dégustation d’excellents whiskies.

Durant une absence professionnelle de l’écrivain, le véhicule d’un chauffard percuta Argos. Cinq jours plus tard, Samuel se donna la mort.

Plus le narrateur repoussait l’hypothèse que la mort de l’un avait entraîné la mort de l’autre, plus cette dernière s’imposait à lui, plus le mystère autour d’Argos prenait de l’importance…

 Ménage à trois

Dans un salon viennois, une jeune femme subit avec ennui la conversation d’un homme qu’elle n’avait pas remarqué, jusqu’à ce qu’il s’extraie de la foule pour s’imposer. L’importun continuait à discourir tandis qu’elle cherchait des yeux celui qui pourrait lui être utile parmi les invités à cette fichue soirée. Son mari, épousé neuf ans plus tôt, venait de mourir. Un musicien raté qui la laissait veuve, sans le sou, criblée de dettes, deux enfants sur les bras ! Il lui fallait à tout prix trouver un employeur.

Soudain, l’homme qui l’avait abordée devenait intéressant : il savait son nom, il avait entendu sa sœur chanter, il connaissait sa situation. C’était un diplomate danois qui venait d’arriver à Vienne. Manifestement, elle l’attirait… Il disait aimer la musique. Mais le voilà qui s’intéressait aux compositions du défunt...

Wolfgang-amadeus-mozart

 

Un cœur sous la cendre

Alba appréciait la compagnie de Jonas, son filleul. Elle trouvait l’adolescent au torse frêle, beau, simple, attentif, généreux, toujours disposé à faire plaisir. Curieusement, elle s’entendait mieux avec son neveu qu’avec son fils ou son mari.

« - Tu es un sorcier !

don du coeur

 

-      Moi ?

-      Ou un magicien.

-      Ah oui ? Quel tour je réussis ?

[ …]

-Voler les cœurs.

[ …]

-      Parfois j’aimerais bien.

Elle tressaillit. Quelle sotte ! [ …] Juste les mots à éviter en face d’un garçon qui… »

Pour faire diversion, Alba proposa d’aller marcher dans la campagne islandaise encore enneigée ce 21 mars 2012. Au cours de leur promenade, ils apprirent que le volcan Eyjafjöll s’était réveillé la nuit précédente …

L’enfant fantôme

Cette nouvelle n’occupe que quinze pages et demi de l’ouvrage. Dans un parc, le compagnon du narrateur lui raconte l’origine de l’étrange comportement d’un couple assis sur le banc en face du leur. Manifestement, la femme et l’homme qui l’a rejoint s’ignorent mutuellement ostensiblement.

À la fin du livre,  Eric-Emmanuel SCHMITT a joint des extraits de son Journal d’écriture dans lequel il explique l’évolution de la démarche qui a guidé la rédaction de ces cinq nouvelles.

          Partant d’un fait social (la marginalisation d’un couple homosexuel ; l’osmose entre un chien et son maître ; la reconnaissance posthume d’un compositeur génial ; le don d’un organe vital ; la dérive eugéniste d’une découverte génétique), Eric-Emmanuel SCHMITT introduit un fait imprévisible (une rencontre ; le hasard ; une catastrophe naturelle ; un accident) qui place des couples dans des situations extrêmes dans lesquelles la complexité de chacun se révèle.

5 mai 2013

Milena AGUS – Mal de pierre (2007) - Mal di pietre (2006)

Milena AGUS – Mal de pierre (2007) - Mal di pietre (2006)

Traduction Dominique Vittoz   

    

Milena AGUS au salon du livre de Paris 2012

L’héroïne du roman est la grand-mère de la narratrice. Celle-ci est atteinte du « mal de pierre ». C’est elle qui a élevé la narratrice à qui elle racontera ses émotions, ses cheminements, tout en laissant des zones d’ombre.

     Son histoire est celle d’une enfant taciturne, imaginative, intelligente, manifestant des dons artistiques et douée à l’école, élevée dans un village paysan sarde où il ne fait pas bon sortir de la norme et se faire remarquer. Elle écrit ses pensées et des récits dans un cahier noir à tranche rouge qu’elle protège comme un trésor. La jeune fille a soif d’absolu, rêve d’un amour idéal. Ses excentricités et ses crises de désespoir suicidaire font fuir les prétendants. À trente ans, les siens la considèrent comme une vieille-fille folle.

     La Sardaigne connaît les tourments de la Seconde Guerre mondiale. La famille recueille un réfugié des bombardements de Cagliari. Ce dernier travaille à la ferme et demande la jeune femme en mariage. Cette union n’est qu’un mariage de raison. Les protagonistes n’éprouvent aucun amour l’un pour l’autre. L’amour, la jeune femme le rencontrera dans la personne du Rescapé sur le Continent, lors d’une cure thermale destinée à guérir ses calculs rénaux qui lui gâchent la santé et l’empêchent de mener ses grossesses à terme. Momentanément soulagée de son mal de pierre et de son mal d’amour, un fils unique naîtra. Elle fera tout pour faciliter l’accession de son fils à une carrière de pianiste concertiste international. Cette femme sans nom (ma grand-mère) introvertie, étrange « aux longs cheveux noirs et aux yeux immense » vit à contretemps toujours en décalage, en marge des autres et de sa propre vie. Ayant soif d’absolu, elle est incapable de saisir les petits instants de bonheur qui se présentent au fil des jours, ni de percevoir les attentions de son mari et de son entourage. Un mari, sans nom aussi. Son mari tolère et s’accommode des lubies de son épouse. C'est un homme sensuel, prévenant, bon père et beau-père qui est apprécié de tous. Plus tard, l’épouse ingrate se reprochera de ne pas avoir su lui manifester son affection.

     À la fin du livre, la narratrice trouve un élément qui lui permettra d’approcher la vérité de cette grand-mère, mais il faudrait encore bien d’autres clés pour découvrir tous les secrets que recèle cette  personne énigmatique.

     La peinture des autres personnages du roman est faite dans les moindres détails à petites touches précises et délicates. Le Rescapé, les parents de la narratrice, les voisines de la  rue Sulis, les grands-tantes et grands-oncles maternels, la grand-mère Lia, les demoiselles Doloretta et Fanni  mettent tous la grand-mère en valeur.

     Ce court roman de 124 pages ouvre de multiples réflexions sur la Sardaigne. Il aborde la conjoncture politique italienne pendant la Seconde Guerre mondiale, la déportation des marins italiens en Allemagne, les conséquences des bombardements, les maisons closes et leurs « prestations », les vagues migratoires vers le Continent, la vie des migrants dans les grandes villes, l’évolution des conditions de vie en un demi-siècle.

     La narratrice réalise surtout qu’elle ne connaissait pas vraiment cette grand-mère auprès de laquelle elle a vécu tant d'années.

Origine de la photo : http://fr.wikipedia.org/wiki/Milena_Agus

20 avril 2013

Jean-Christophe RUFIN (1952) – Le Grand Cœur (2011)

Jean-Christophe RUFIN (1952) – Le Grand Cœur (2011)

     « Je sais qu’il est venu pour me tuer. C’est un petit homme trapu qui n’a pas les traits phéniciens des gens de Chio. Il se cache comme il peut, mais je l’ai remarqué à plusieurs reprises dans les ruelles de la ville haute et sur le port. »

      Les galères du pape Calixte III, avec à bord le légat et les chevaliers en route pour la croisade contre les Turcs, avaient levé l’ancre sans lui. Convaincus par ses prétendues douleurs et flux de ventre, ils l’ont abandonné à son sort, dans une auberge de Chio. L’île, qu’il espérait quitter le moment venu, pour jouir enfin de sa liberté, est devenue, pour Jacques Cœur, le piège où ses poursuivants ne vont pas tarder à le débusquer. Sentant venir la fin d’une traque dont il connaît le dessein, il s’empresse d’écrire ses mémoires. 

      À Bourges, la maison, qu’on dit être le logis natal de Jacques Cœur, est située non loin de celle où Jean-Christophe RUFIN a passé son enfance. Le contraste de cette humble demeure avec le superbe palais témoin de l’ascension triomphante du grand Jacques Cœur, ne pouvait qu’exciter la curiosité et nourrir les rêves d’un jeune garçon imaginatif ?

     Fils d’un pelletier aisé établi à Bourges, après avoir épousé tout jeune Macé, la fille d’un important banquier de la ville, Jacques Cœur1, qui était né vers 1395, avait commencé sans entrain une carrière dans l’établissement de son beau-père, avant de s’associer  en 1418 avec un faux-monnayeur et être condamné à la prison, pour avoir fabriqué de la monnaie trop légère. Gracié en 1429, il entreprend un voyage en Égypte, d’où il  joint à une caravane jusqu’en en Syrie. Suite à cette découverte de l’Orient, il fonde en 1432 une société basée à Montpellier pour faire du commerce avec les pays du Levant. Il séjourne à Damas en Syrie en 1435. Il noue des relations régulières avec les ports espagnols, Gènes, Florence, et installe des agents à Avignon, Lyon, Limoges, Rouen, Paris, Bruges, tout en menant de front des entreprises de toutes sortes : banque, change, mines, métaux précieux, épices, draps2... En 1436, il est nommé maître des monnaies3, puis, en 1439, argentier du roi4. En 1441, il devient commissaire auprès des états du Languedoc, dont il sera aussi plus tard visiteur général des gabelles. Jacques Cœur fonde des comptoirs commerciaux en Turquie, Asie, Afrique. Il est anobli et entre au Conseil du roi Charles VII, en 1442. En 1447, il envoie son neveu par alliance, l’amiral Jean de Villages5, négocier un traité commercial avec le Soudan d’Égypte. Charles VII lui confie plusieurs missions diplomatiques, comme ambassadeur auprès des deux papes rivaux Félix V et Nicolas V de 1448 à 1449 entre autres.

La maison natale de Jacques Coeur à Bourges - Cher

      Jacques Cœur, devenu en fait le ministre des Finances de Charles VII, contribua à l’assainissement monétaire du royaume réalisé par les ordonnances de 1435 et 1451. Il avait accumulé une fortune colossale, qui en faisait l’homme le plus riche de France. Il avait acquis de grands domaines dans le Berry, en Bourbonnais et en Beaujolais et avait entrepris, de 1442 à 1453, à Bourges, l’édification de l’hôtel somptueux. Cet Hôtel Jacques Cœur, que nous admirons encore aujourd’hui, construit entre deux façades si différentes, symbolise le passage entre deux époques de civilisation. Jacques Cœur subventionna la reconquête de la Normandie en 1449.

     De ses observations de grand voyageur, de l’examen d’une carrière protéiforme qui l’a plongé dans l’horreur des guerres civiles, de son expérience de conseiller ministériel et de diplomate, passionné d’histoire, Jean-Christophe RUFIN, qui vit lui aussi dans un monde en pleine mutation, a tiré la matière du roman biographique d’un autre Berruyer de naissance, Jacques Cœur, qui vécut à la charnière du Moyen Âge et de la Renaissance. S’il a respecté les faits historiques et s’est appuyé sur les éléments indiscutables de la biographie de ses personnages, il les a mis en scène dans sa narration et en a imaginé les manques.  Pour s’être frotté aux gens de pouvoir, il s’est senti en mesure de guider la plume de son héros dans un récit, dont il a privilégié l’interaction psychologique des caractères des acteurs.

      Plus qu’un commerçant habile, audacieux, guidé par le sens des affaires et le goût du lucre, plus qu’un bourgeois parvenu aux plus hautes fonctions, jouissant des honneurs et de ses titres, Jean-Christophe RUFIN met en valeur chez Jacques Cœur les qualités que l’on souhaite à tout homme politique. Son héros perçoit la décadence du monde médiéval sclérosé, englué dans ses traditions féodales et ses certitudes religieuses. Grâce à sa curiosité et à son ouverture d’esprit, il pressent l’émergence d’un monde ouvert, de lumière, d’échange, de paix, de plaisir, créatif et prospère, où naîtrait un homme nouveau, le monde de la Renaissance.

Portrait de Charles VII au Louvre

     Dès sa première entrevue, avec le petit roi de Bourges, Jacques Cœur fut intrigué par le comportement de ce roi contrefait, chargé d’une lourde hérédité, à la personnalité mal définie, soumis à l’influence de conseillers médiocres, voire dangereux. Un souverain apathique lorsqu’il lui exposa que l’Orient n’était pas qu’une terre d’infidèles à massacrer au cours de croisades, mais un monde cultivé et prospère, où circulaient toutes les richesses du monde. Un monarque impénétrable quand il lui expliqua que sa puissance serait renforcée en enrichissant l’État par le commerce plutôt que par la guerre. Un roi intelligent cependant, qui tint compte de ses suggestions. Cette attitude lui permit de reconstituer ses forces pour créer une armée nouvelle capable d’emporter la victoire à la reprise de la guerre et de rétablir les frontières de son royaume. En les exécutant, Charles VII put asseoir son pouvoir grâce à l’essor commercial incarné par l’activité de Jacques Cœur. Mais le monarque, introverti, passif, indolent, qui fut long à s’affirmer, était aussi un personnage retors et sans scrupule. 

Est-ce Jacques Coeur qui observe la rue d'une fausse fenêtre de son palais

     Conscient pourtant du danger d’avoir pour débiteur un roi ingrat, qui n’avait rien fait pour sauver Jeanne d’Arc, à qui il devait sa couronne, Jacques Cœur ne connut plus de limites à ses ambitions. Créancier de nombreux courtisans incapables de rembourser leur dette, jalousé pour son immense fortune, il fut victime d’une cabale qui provoqua sa chute. Convaincu à juste titre de malversations, les motifs d’accusation s’accumulèrent. Ayant perdu son principal soutien à la cour à la mort de la principale maîtresse de Charles VII, Agnès Sorel6, la Dame de Beauté, dont il fut un des trois exécuteurs testamentaires, il fut arrêté en 1451, condamné à la prison, à une amende énorme et à la confiscation de ses biens. Au  bout de trois ans, il réussit à s’évader de la prison de Poitiers, grâce à Jean de Villages. Il trouva d’abord refuge à Beaucaire, puis auprès du pape. Alors qu’il commandait une expédition montée par Calixte III contre les Turcs, son périple s’arrêta à Chio7.

 

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     Jean-Christophe RUFIN et Jean-François DENIAUX ont renoncé à rapatrier la dépouille de Jacques Cœur à Bourges, faute d’en avoir retrouvé la trace.

     L’auteur du livre Le Grand Cœur a imaginé Jasques en train de rédiger et terminer ses mémoires, avant d’être rattrapé par des nervis chargés de l’exécuter. 

Notes

1 -        - Des articles sur le site des Amis de Jacques Cœur, des articles sur la vie de Jacques Cœur

http://www.jacques-coeur-bourges.com/vie_de_Jacques_Coeur.htm

2 –        - D’après Michel Mourre Jacques Cœur aurait aussi pratiqué la traite des belles Circassiennes (Dictionnaire d’histoire universelle en 1 volume – Jean-Pierre Delarge – Bordas), d’autres historiens affirment qu’il a fait la traite des esclaves dont des Circassiennes réputées pour leur beauté.

- On peut lire au sujet de la participation de Jacques Cœurà propos du trafic des esclaves à la page 150 de l’ouvrage suivant :

Livi Ridolfo. L'esclavage domestique au moyen âge et son importance en anthropologie. In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, V° Série, tome 10, 1909. pp. 438-447.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bmsap_00378984_1909_num_10_1_8104

 « Des traces assez importantes se trouvent aussi dans la vie de Jacques Cœur. Non seulement il prenait avec ses galères une part active au commerce des esclaves dans les mers d’Orient, mais il paraît qu’il fit prendre de force des citoyens dans les rues de Montpellier pour les revendre en Égypte. » (citation de Heid :- Histoire du commerce du Levant au moyen âge. traduction française par Raynaud – Leipzig 1885-86)

- Et dans [« Esclaves », Olivier Grenouilleau (dir.)]

[ISBN 978-2-7535-1798-1 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr]

Olivier GRENOUILLEAU précise p 14 dans l’article publié sous la référence suivante :

http://www.pur-editions.fr/couvertures/1331720543_doc.pdf

« Dans le monde musulman, les Abyssines et les circassiennes étaient demandées comme concubines. »

- Lire aussi l’article de Clio sur http://clio.revues.org/419#tocto1n1 concernant la pratique de l’esclavage à Florence et à Gènes au XVe siècle.

3 - maître des monnaies : directeur des Monnaies de Paris

4 - argentier du roi : directeur des services financiers

5 – Dans sa postface, Jean-Christophe RUFIN indique qu’il a pris quelques libertés en ce qui concerne le personnage de Jean de Villages.

Le site des Amis de Jacques Cœur s’est intéressé à Jean de Villags :

http://www.jacques-coeur-bourges.com/jeandevillage.htm

6 – Sur le même site on peut lire quelques articles sur Agnès Sorel :

http://www.jacques-coeur-bourges.com/agnes.htm

Un dossier sur la mort d’Agnès Sorel :

http://www.jacques-coeur-bourges.com/agnesdossier.htm

7 – Sur la mort de Jacques Cœur :

http://www.jacques-coeur-bourges.com/dernier_voyaget1.htm

http://www.jacques-coeur-bourges.com/mort1.htm

 

30 mars 2013

Magda SZABO (1917~2007) - LA BALLADE D’IZA (2005)

Magda SZABO (1917~2007) - LA BALLADE D’IZA (2005)

Traduction de Tibor Tarda 

     Vince ne la reconnaît plus ! Le désarroi de la vieille dame est immense.   Le mari d’Etelka Sköcs meurt d’un cancer à l’hôpital. Après l’enterrement, Etelka doit quitter sa ville natale, sa maison, ses objets familiers, ses occupations quotidiennes, ses relations. Iza a tout organisé pour son repos. Elle vivra désormais à Budapest dans l’appartement moderne et confortable de leur fille bien aimée. Désemparée, ayant perdu ses repères, se sentant inutile, la vieille dame se pétrifie dans sa non-existence jusqu’à son retour au village où elle doit faire ériger la tombe de son époux décédé.

     Certains personnages de ce roman sont fidèles aux traditions ancestrales. Ils sont respectueux de leurs origines, de la religion luthérienne et des valeurs d’un passé révolu. Ces personnes survivent ou résistent à leur manière aux bouleversements politiques qui succèdent à défaite de la Première Guerre mondiale.

     Vince a subi 23 ans de destitution professionnelle et de mise au ban de la société pour avoir refusé de condamner sur ordre, en tant que juge, des ouvriers agricoles qui s’étaient révoltés dans les années 20. Il a résisté pendant la guerre et a sauvé un juif lors d’une rafle en 1944. Il a été réhabilité en 1945.

     Passée de l’autorité bourgeoise et sectaire de la tante Emma à sa vie d’épouse de réprouvé politique et de mère d’Andrus, leur fils mort à 9 ans, puis d’Iza, son épouse Etelka, n’a jamais été maîtresse de son destin. Elle a toujours déployé des trésors d’imagination, d’économie, de débrouillardise pour faire face aux difficultés financières de la famille. L’aisance retrouvée, Etelka a conservé ces qualités qui sont devenues son moyen d’exprimer son amour et son utilité.

     Le docteur Dekker, professeur de médecine était un ami de jeunesse fidèle de Vince. Il fut nationaliste et résistant pendant la guerre. « …ce doyen qui mettait sa toque à l’envers les jours de manifestations publiques et, les jours de grande victoire allemande… »

     Guitza, la voisine du couple survit chichement dans une société athée en brodant toujours des robes de pasteurs.

     Tout en adoptant la modernité, l’ex-mari d’Iza, Antal, revendique ses origines modestes. Il a craint de se perdre en restant dans le mouvement que conduit Iza. C’est lui qui achètera la maison et le mobilier d’Etelka. Il essaiera de rendre leur chaleur compatible avec le confort moderne. Antal, qui s’est attaché au vieux couple Sköcs, sera prêt à accueillir la vieille dame chez lui, pour qu’elle entretienne sa maison.

     La destinataire de la photo du moulin est Lidia, l’infirmière dévouée qui a su écouter et éclairer les derniers jours de Vince agonisant.

     Toutes ces personnes accordent une grande importance à leur origine sociale.

     D’autres personnages sont les représentants de l’esprit de modernité effrénée voulue par le régime communiste totalitaire en place. Le credo est faire table rase du passé, en vue d’un avenir meilleur.

     Iza, la fille très aimée de Vince et d’Etelka, représente la femme nouvelle créée par le communisme totalitaire qui dirige la Hongrie depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. La jeune femme est adulée par ses parents. Elle est belle et intelligente et a réussi ses études de médecine dans d’excellentes conditions. Iza exerce son métier avec compétence, passion et dévouement total. Dès l’enfance, elle a fait preuve d’un caractère affirmé et combatif. Plus tard, elle a participé activement à la résistance antinazie. Cest une femme moderne, athée, libérée des traditions « bourgeoises » que sont les fiançailles, le mariage, les rites. Elle va de l’avant, refuse de s’épancher sur ce qui n’est plus. Dans tous les aspects de sa vie, elle rompt avec le passé, au profit de la modernité. Iza aime ses parents, mais ses manifestations d’amour sont matérielles, soumises à un calendrier. Si elle organise elle-même la vie de sa mère à Budapest, c’est pour lui épargner des soucis matériels, c’est pour son bien, pense-t-elle. Mais la vie ordonnée, structurée, qui ne laisse aucune place  au désordre, à l’imprévu, qu’elle offre à Etelka, lui apporte-t-elle pour autant le bonheur ? Quand elle s’en inquiète, Iza est incapable de l’exprimer.

     Domokos est amoureux et amant d’Iza, malgré la réserve de la jeune femme. Écrivain officiellement reconnu, il craint les entraves à sa liberté et à sa carrière. À la fois acteur et spectateur des événements qui se déroulent sous ses yeux, craignant d’être happé dans le sillage d’Iza, lui aussi fuira.

     Le lapin apprivoisé, Kapitany,  symbolise une forme de résistance de ses propriétaires. Pour ces derniers, posséder un animal de compagnie était une des rares formes de liberté dont ils pouvaient profiter dans un régime communiste totalitaire où tout était réglementé et contrôlé.

 

lapin

 

     Ce livre est traduit du hongrois. Son écriture est agréable, le vocabulaire est riche et imagé. La psychologie des personnages est fouillée. L’histoire est conduite avec habileté. Tous les personnages sont attachants. L’attention des lecteurs est soutenue constamment.

     Ce roman nous concerne tous. Il décrit des situations et des sentiments que nous avons tous éprouvés en tant qu’enfant de nos parents, que nous vivons en tant que parents ou auxquelles nous seront confrontés un jour. Il nous remémore des situations vécues. À travers le point de vue et le ressenti des personnages du récit, il nous amène à remettre en cause certaines options ou attitudes que nous avons pu avoir dans des circonstances comparables.

     Magda SZABO met en scène des personnages qui se laissent conduire par de fortes personnalités, Emmerence dans La Porte (2003), Vince puis Iza dans La Ballade d’Iza. Dans les deux romans, un animal de compagnie, le chien Viola pour le premier, Kapitany dans le second occupent une place symbolique dans le déroulement du récit.

     Le livre est publié par les Editions Viviane Hamy. Une précédente traduction du roman est parue en 1967.

roman du même auteur :

Le Faon (2008)

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9 mars 2013

Toni MORRISON (1931) - HOME (2012)

Toni MORRISON (1931) HOME (2012)

Traduit de l’anglais des États-Unis par Christine LAFERRIÈRE (1)

     Avant les premières lueurs de l’aube, serrant le col de sa veste militaire contre sa gorge, Frank court pieds nus dans la neige le long des pâtés de maisons et se présente à la porte du presbytère de l’église méthodiste africaine épiscopale. Profitant de la torpeur narcotique nocturne qui règne dans l’hôpital psychiatrique voisin, il vient de s’en évader. Comment y était-il arrivé ? Il ne s’en souvient plus. « J’étais peut-être mêlé à une bagarre ? » « J’ai dû mal me conduire. », estime-t-il, incertain. Deux jours plus tôt, il s’était retrouvé là, sanglé sur un lit, émergeant d’un sommeil médicamenteux.

Coree_guerre

 

     L’histoire se déroule dans les années 1950. Sa participation à la guerre de Corée terminée, de retour aux États-Unis, le soldat noir Frank Money ne souhaitait plus rentrer dans le village de son enfance en Géorgie. Unique survivant du trio de copains qui s’étaient engagés dans l’armée pour s’en aller loin, loin du pire endroit du monde, où il n’y avait pas d’avenir, Lotus, où il s’était promis de ne plus revenir s’y retrouver face aux proches de Mike et Stuff, morts au combat. Depuis son retour, hanté par les horreurs des affrontements avec l’ennemi, Frank Money errait, incapable de garder un travail, ni de maintenir une relation durable avec Lily, la jeune femme rencontrée à Seattle et avec qui il vivait. A la réception d’une lettre le priant de venir au plus vite au secours de sa sœur Cynthia (Cee), en danger de mort, il se lança dans un long périple rempli d’embûches, de Seattle vers Atlanta.

 

     Toni MORRISON a structuré ce court roman en alternant deux modes narratifs différenciés par leur typographie : tronçonnant le récit proprement dit, dans lequel ils s’insèrent, de courts chapitres en italique portent sur la nature de la névrose de Frank. Ce dernier y raconte ses obsessions à la narratrice : son enfance malheureuse stigmatisée par les sévices ségrégationnistes des années 30 qui l’ont chassé tout enfant avec sa famille de son Texas natal ; sa jeune sœur Cee, exutoire des ressentiments haineux de l’épouse de leur grand-père ; son besoin de fuir Lotus ; Cynthia, dont il était le seul protecteur, restée seule là-bas, incapable de se défendre ; les images insoutenables des atrocités de la guerre, compagnes de ses crises de démence. Tout au long de cette confession, des souvenirs précis se réveillent, l’auto-culpabilisation se fait jour, les secrets refoulés remontent à la surface, le récit s’éclaire.

 

     À travers les dialogues et les situations vécues par les personnages, dans un style direct, simple, concis, pudique, Toni MORRISON restitue, dans le récit proprement dit, la multitude d’obstacles qu’imposent au quotidien les lois ségrégationnistes confinant les Noirs dans la misère et l’insécurité. Elle met en évidence le dualisme des manifestations de délinquance et des phénomènes d’entraide et de partage au sein de la communauté noire, dans ce contexte de précarité de chaque instant.

 

selma

 

Home, simple roman ? ou plutôt, conte philosophique ?

 

     Où trouver un avenir, quand on habite Lotus ? Pour le frère comme pour sa sœur l’avenir était ailleurs. Ailleurs, la découverte de la part abjecte de sa personnalité a rendu Frank « cinglé ». D’ailleurs, Cee rapporte un cœur meurtri et un corps mutilé, fruits de son ignorance sociale et de sa naïveté. De retour à Lotus, grâce à l’abnégation, la solidarité, la stimulante force de caractère et la volonté de survie digne partagées par un groupe de femmes laissées-pour-compte de la communauté du village, l’un et l’autre réaliseront que c’est en eux que se trouvent les clés de leur avenir, au foyer familial (Home). Libérés du poids de leur passé et de leurs erreurs, les personnages se préparent à assumer leur destin.

La version française de Home est parue chez Christian Bourgeois en 2012.

 

1 - Christine LAFERRIÈREa fait des études de latin et de grec au lycée. Elle a choisi la spécialité du Moyen-Âge et est titulaire d’une agrégation d’anglais et d’une licence de droit. Christine LAFERRIÈRE est professeur d’anglais en banlieue parisienne. Passionnée d’étymologie, elle a appris en autodidacte, la langue tchèque, dont elle traduit des romans de fiction contemporaine.

 

Parmi ses traductions, elle a à son actif la traduction de divers textes pour des revues (Centre National de la Danse, textes juridiques, parfois philosophiques…), un recueil d’essais de John Ronald Reuel TOLKEIN (1892~1973), (The Legend of Sigurd and Gudrún, parution posthume en anglais, en 2009), La Légende de Sigurd et Gudrún l’œuvre poétique en vieil anglais du même auteur (Christian Bourgeois, parue en édition bilingue en 2010) ; Le chapeau de M. Briggs deKate SUMMERSCALE (Christian Bourgeois, 2012)

 

http://www.k-libre.fr/klibre-ve/index.php?page=auteur&id=2568

 

http://www.tolkiendil.com/tolkien/portraits/interviews/sigurd

 

Guerre de Corée :

 

http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Cor%C3%A9e/114672

 

http://www.universalis.fr/encyclopedie/guerre-de-coree/

 

http://www.ina.fr/histoire-et-conflits/autres-conflits/video/CAA8000996501/la-guerre-de-coree-a-30-ans.fr.html

 

Source des photos :

 

http://www.histoire-en-questions.fr/reportage/marche/selma.html

 

http://usasegregation.unblog.fr/files/2010/03/arretdebusphotojackdelanocarolinedunord1940.jpg

 

22 février 2013

Gérard MORDILLAT (1949) – Rue des Rigoles (2003)

Gérard MORDILLAT (1949) – Rue des Rigoles (2003)

     Gérard MORDILLAT évoque dans Rue des Rigoles les vingt premières années de son existence. Souvenirs et itinéraire d’une vie partagée entre ses parents et ses copains de toujours.

     Issu de plusieurs générations de Parisiens du côté paternel, Gérard est né dans le XXe arrondissement de Paris, treize ans après son frère aîné. L’origine familiale était cosmopolite du côté de Madeleine, sa mère. Celle-ci, née à Vancouver, escale temporaire de la troupe du cirque Barnum dans laquelle son père et ses oncles étaient musiciens, avait passé sa jeunesse aux États-Unis avant de rencontrer Jojo Père sur une plage du Tréport... Avec leurs deux fils, Madeleine et Jojo Père partageaient un deux-pièces, au sixième étage sans ascenseur du 222 rue des Pyrénées, avec cabinets à la turque sur le palier et vue sur la Sacré-Cœur. Dans cet arrondissement populaire du Paris des années d’espoir d’un avenir meilleur de l’après-guerre à 1968, tout le monde était du même milieu. Si, les Mordillat n’étaient pas riches, ils ne manquaient de rien : la mère de Gérard était professeur d’anglais chez Berlitz, tandis que son père était serrurier à la SNCF.

      Gérard MORDILLAT fait renaître, un Paris disparu au fil des ans, ses petits commerces, ses cafés, ses ateliers, ses cinémas de quartier d’avant le téléphone pour tous, un Paris convivial, d’amitié, de solidarité. Depuis, les automobiles ont colonisé les rues, privant les gamins de leurs terrains de jeu. La frénésie financière sur l’immobilier a délogé les gens modestes du centre des villes et l’automatisation des tâches a anéanti le monde ouvrier. Peu importaient alors les diplômes, le désir de travailler et la débrouillardise suffisaient pour gagner sa vie. « Seuls ceux qui ramenaient leur paye à la maison avaient le droit de la ramener en société ». Une culture autodidacte, une formation « sur le tas », des rencontres opportunes, associées à l’ambition et au goût du risque révélaient des vocations inconscientes.

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8 février 2013

GAYATRI DEVI (1918~1998) - A Princess Remembers (1976) ; Une princesse se souvient (1996)

GAYATRI DEVI (1918~1998)

A Princess Remembers (1976) ; Une princesse se souvient (1996)

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Les mémoires de la Maharani de Jaipur recueillies par Santha Rama Rao

Traduction de l’anglais par Élisabeth Chayet

 

     Contemporaine des bouleversements radicaux qui ont marqué l’histoire politique, économique et sociale de l’Inde au cours du XXesiècle, Gayatri Devi représentait à la fois les fastes orientaux d’un passé révolu et la modernité du cheminement démocratique qui a suivi l’indépendance du pays après la Seconde Guerre mondiale.

Indira Devi 1

     Gayatri Devi, « Ayesha » était la quatrième enfant du Souverain de la principauté du Cooch Behar(1), Jitendra Nârâyan et de la princesse Indira Gaëkowar  dBaroda (2). À la mort prématurée de son époux, cette dernière fut chargée d’assumer la régence du Cooch Behar auprès de son fils aîné Jagaddipendra Nârâyan, « Bhaiya » qui n’avait que sept ans. La beauté d’Indira, son charme, sa grâce, sa vitalité, son souci des autres, ses opinions avancées, sa vie mondaine en avaient  fait un personnage légendaire. Tous l’appelait Ma. Intelligente et cultivée, Ma avait donné à ses cinq enfants une éducation éclectique, sélectionnant des établissements et des maîtres réputés pour leur ouverture d’esprit. Ayesha avait fait des études à Londres, en Suisse, en Inde, était passionnée d’équitation, pratiquait le polo, le golf, le tennis, la natation et aimait piloter de puissantes voitures de sport.

    En dépit des réticences de Ma et de ses frères, Bhaiya et Indrajit, Ayesha fait un mariage d’amour en 1940 avec le séduisant Maharadja de Jaipur, Sawai Man Singh II (Jai), devenant ainsi la troisième Maharani de la Principauté de Jaipur, le plus important des 18 états princiers de la région du Rajputana(3). Les deux premières épouses, choisies par la famille du prince pour des raisons dynastiques étaient des princesses de Jodhpur, l’État rajput voisin. Ces dernières, « Son Altesse Première » et «Jo Didi », vivaient dans le purdah(4) au zénana du palais de Rambagh. Déjà père de quatre enfants, Jai  eut un troisième fils avec Ayesha, Jagat Singh.

 

Gayatri Devi 2

 

     Au Rajputana, la vie de la troisième Maharani n’était guère différente de celle qu’elle connaissait au Cooch Behar, si ce n’est que tout, dans cette cour, était bien plus grand et qu’elle y était à demi soumise au purdah. Ayesha circulait librement dans les palais et les jardins, mais était obligée de se faire accompagner quand elle souhaitait franchir les limites de ces derniers. Cependant, elle passait les étés avec son mari en Europe, continuait à pratiquer ses sports favoris et recevait les invités de marque dans les résidences indiennes et les palaces rajputs du Maharajah. Loin d’être une jolie potiche, la princesse s’intéressa à l’émancipation et à l’éducation des filles en créant, finançant et supervisant plusieurs écoles. Elle s’attacha aussi à sauvegarder l’artisanat traditionnel.

    Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, les forces armées de la Principauté de Jaipur, aux côtés de la Grande-Bretagne, apportèrent leur contribution aux Alliés contre le nazisme. Durant quelques mois, tant que leur présence à proximité de la frontière nord-ouest de l’Inde, où Jai fut affecté, ne fut pas une menace pour sa sécurité, Ayesha y résida avec son époux et se réjouit de  vivre plus simplement comme n’importe quelle épouse d’officier. De retour à Jaipur, elle participa à l’effort de guerre : sous les auspices de la Croix-Rouge, elle se mêla aux réunions de travail tenues dans le club de femmes appartenant à d’autres milieux que le sien ; Jo Didi et Ayesha occupèrent à des travaux d’aiguilles pour l’organisation humanitaire, les nombreuses femmes qui vivaient au palais.

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    La vie de Gayatri Devi changea de manière radicale après la guerre. Le gouvernement anglais, qui souhaitait précipiter le processus d’indépendance, nomma lord Mountbatten Vice-roi des Indes en 1947. L’Indian Independence Bill(5) entra en vigueur le 15 août 1947 au prix d’une sécession d’une partie du pays qui forma l’État islamique du Pakistan. Le Maharajah de Jaipur se vit allouer une confortable liste civile et le titre honorifique de rajpramukh(6) sans réel pouvoir, en compensation de l’intégration de l’État du Jaipur au sein de la République indienne, dans le groupement administratif de l’Union du grand Rajasthan qui fusionnait la plupart des États rajputs.    

     Gayatri Devi entra en politique en 1962. Elle fut élue député du parti Swatantra, opposé au parti du Congrès, avec un score de suffrages exceptionnel au Parlement indien (Lok Sabha). Elle fut réélue en 1967, puis en 1971. De 1964 à fin 1968, Jai fut ambassadeur de l’Inde en Espagne. Durant cette période, Gayatry Devi mena de front ses responsabilités d’épouse de diplomate et ses activités parlementaires entre l’Espagne  et le Parlement indien.

    En 1970, alors qu’il arbitrait un match de polo en Angleterre, Sawai Man Singh II s’écroula, mortellement frappé par une crise cardiaque.

    La même année, Indira Gandhi, Premier ministre, décida la déposition d’un amendement à la constitution pour supprimer des listes civiles des anciens princes(7) et dans la foulée, une grande partie des États provinciaux passa sous l’autorité centrale. Aux prises avec une disette, une inflation galopante, un déficit commercial dramatique, des grèves, des manifestations d’étudiants, des accusations de manœuvres électorales frauduleuses, Mme Gandhi déclara l’État d’urgence, brisa les grèves sans ménagement, fit arrêter plusieurs milliers de personnes ainsi que les dirigeants de l’opposition. C’est dans ce contexte que Gayati Devi fut arrêtée en 1975 sous prétexte du maintien de la sécurité nationale(8) et détention illégales de devises étrangères et activités de marché noir(9). Elle passa cinq mois à la prison de Tihar à New Dehli.

     Après sa libération, malade, très affectée par de nouveaux deuils familiaux, Gayatri Devi se retira de la vie politique, se consacra à sa famille et ses amis, participa aux réunions des conseils d’administration des différents établissements scolaires qu’elle a fondées.

*****

    Ce livre rapporte la vie d’une femme hors du commun qui a su concilier tradition et modernité. Gayati Devi y relate son enfance heureuse, la liberté dont jouissaient des enfants princiers du Cooch Behar, mais aussi les contraintes auxquelles ils devaient se soumettre. Sur les pas de la princesse, les forts visités aujourd’hui par les touristes et les palais-hôtels où ils logent retrouvent leur faste et leur animation d’antan, les objets figés des musées leur utilité. Tels les dames du Purdah, à travers les murs percés des zénanas, les lecteurs aperçoivent le déploiement de richesses fabuleuses des fêtes somptueuses, les cortèges colorés de centaines d’éléphants, de cavaliers, de musiciens, de danseuses… Ils suivent les hôtes prestigieux du Maharajah dans une chasse à dos d’éléphant ou traquent le tigre prédateur du bétail des paysans. La Princesse explique les règles de savoir vivre, la signification des fêtes locales, l’origine des rites traditionnels et religieux.

 

Inde 453

    Ayesha raconte aussi le plaisir de l’anonymat : circuler librement dans les rues de Londres, prendre le métro. En Europe elle participe aux mondanités qui font les choux gras des journaux-people.

    Viennent ensuite : les conséquences de la partition du pays, les millions de personnes déplacées, les réfugiées à accueillir, la protection de ceux qui restent ; l’exaltation de la démocratie naissante, sa fragilité, les errements et les dérives des élus ; l’amorce de l’émancipation des femmes ; la nécessité de préserver le patrimoine historique fabuleux du pays de l’abandon et de la décrépitude et de mettre en valeur l’habileté et le savoir-faire des artisans.

    Ce livre complète agréablement les guides touristiques destinés aux touristes étrangers visitant le Nord de l’Inde

     Gayatri Devi a légué les droits d’auteurs d’Une Princesse se souvient à l’organisme créé par son mari « Sawai Man Singh Benevolent Trust » pour venir en aide aux défavorisés de Jaipur.

Notes

1 – La principauté de Cooch Behar se trouvait sur les pentes de l’Himalaya, au Nord-Est de l’Inde à quelque 400 km au nord de Calcutta  au confluent du Brahmapoutre et de la Tîsta. Après la partition de l’Inde en 1947, celle-ci (Koch Bihar) fut intégrée au Bengale occidental. 

2 - La principauté du Baroda (Vadodara) se trouvait au bord de la mer d’Oman dans l’état du Gujarat au Nord-Ouest de l’Inde. Baroda se trouve au bord du fleuve Vishwamitri, c’est la capitale culturelle du Gujarat.

3 – Le terme de Rajputana a été remplacé par celui de Rajasthan dans la  Constitution de 1949. La ville de Jaipur en est la capitale

4 – Probablement introduit en Inde par les musulmans, le purdah prend des formes différentes suivant les communautés. Pendant la domination britannique, le purdah était largement pratiqué aussi bien chez les musulmans du sous-continent indien que dans les communautés indoues où il s’était répandu. Purdah signifie littéralement « rideau ». C’est à la fois une ségrégation physique et l’obligation faite aux femmes de voiler leur corps et de cacher leurs formes en public. La partie de l’habitation réservée aux femmes est le zénana. À l’intérieur d’un bâtiment, le purdah peut se concrétiser par des murs, des rideaux ou des écrans. Les activités des femmes restent confinées à l’intérieur de l’habitation. Les femmes des classes les plus favorisées sont les plus susceptibles d’appliquer le purdah.

5 - L’Indian Independence Bill  fut voté par le Parlement britannique en juillet 1947.

6 – Rajpramukh « Chef de l’État » de la nouvelle union, responsable de l’administration de la province entière

7 – Cet amendement fut déposé en septembre 1970.

8 – M.I.S.A. “ Maintenance  of International Security Act”

9 – C.O.F.E.P.O.S.A. “Conservation Of Foreign Exchange and Prevention Smuggling Activities”

Source des photos:

http://www.noblesseetroyautes.com/nr01/2009/07/deces-de-la-maharani-gayatri-devi-de-jaipur/

http://www.google.fr/imgres?q=gayatri+Devi&start=185&um=1&hl=fr&sa=N&tbo=d&biw=1280&bih=631&tbm=isch&tbnid=pczZagf76BeSSM:&imgrefurl=http://www.anaisevents.com/2012/05/maharani-style/&docid=wqakVpBH7LUbAM&imgurl=http://www.anaisevents.com/wp-content/uploads/2012/05/gayatri.jpg&w=720&h=480&ei=mmMFUcOcFuq40QW76oEo&zoom=1&iact=hc&vpx=200&vpy=293&dur=662&hovh=184&hovw=276&tx=133&ty=135&sig=104387838239172399856&page=7&tbnh=142&tbnw=216&ndsp=32&ved=1t:429,r:11,s:200,i:37

Source de la carte

http://www.google.fr/imgres?imgurl=http://www.larousse.fr/encyclopedie/data/images/1011370-LInd%C3%A9pendance_et_la_partition_de_lInde.jpg&imgrefurl=http://www.larousse.fr/encyclopedie/image/Laroussefr_-_Article/1011370&h=627&w=580&sz=279&tbnid=qOQj8lWP5bQ6LM:&tbnh=90&tbnw=83&prev=/search%3Fq%3Dl'ind%25C3%25A9pendance%2Bde%2Bl'Inde%2Bcarte%26tbm%3Disch%26tbo%3Du&zoom=1&q=l'ind%C3%A9pendance+de+l'Inde+carte&usg=__bn8J1ecRDtP1joPSQfuAxy_GM40=&docid=bX04U5I6WQafEM&hl=fr&sa=X&ei=EmQFUeg0xZXRBazUgcgM&sqi=2&ved=0CDIQ9QEwAQ&dur=520

À voir aussi

http://www.youtube.com/watch?v=BHuCHpq9tPg&NR=1

20 janvier 2013

Philip ROTH (1933) – Nemesis (2010) – Némésis (2012)

Philip ROTH (1933) – Nemesis (2010) – Némésis (2012)

1ère partie : Newark équatorial

     Newark(1), dans l’état du New-Jersey aux États-Unis, en 1944, Eugène Cantor, 23 ans, est directeur du terrain de jeu des  garçons du quartier juif de Weequahic. Dès l’enfance, grâce à une grand-mère attentive, douce et aimante, sous la houlette d’un grand-père bienveillant, énergique et de grande rigueur morale, il a réussi à surmonter les handicaps que le sort lui avait réservés à la naissance : une mère morte en le mettant au monde, un père qu’on a écarté après son séjour en prison pour escroquerie. En raison de sa très forte myopie, l’armée l’a réformé. Il regrette de ne pouvoir participer à la guerre que mène l’Amérique sur deux Fronts depuis l’attaque de Pearl Harbour alors que ses deux meilleurs amis  combattent les Nazis en France. Celui que tous appelaient Bucky est devenu excellent gymnaste de sport de compétition, lanceur de javelot et haltérophile exceptionnel.

     Les garçons admirent et respectent Mr Cantor, envient sa carrure d’athlète et ses exploits sportifs. Ils apprécient l’attention qu’il leur porte, la patience avec laquelle il décompose les mouvements propres à chaque discipline sportive. Ils rêvent de lui ressembler tant ils sont impressionnés par les démonstrations magistrales de leur professeur.

Poliovirus image numérique

http://www.imaging.beckman.illinois.edu/areas/computational.html

     Dès le début de l’été, le virus de la poliomyélite(2), contre lequel il n’existe encore aucun vaccin, a contaminé de nombreux enfants, adolescents et jeunes gens de différents quartiers de Newark. D’abord minorée, la maladie se révèle particulièrement pernicieuse cette année. Elle atrophie, déforme, paralyse les membres, enferme les enfants dans cet horrible appareil nommé « poumon d’acier». Elle tue aussi. Jusque-là épargné, le quartier de Weequahic compte ses premières victimes et ses premiers morts parmi les enfants qui fréquentent le terrain de jeu. Sous l’emprise de la peur qui succède à leur inquiétude, les habitants accordent crédit aux rumeurs les plus folles concernant les facteurs de la contamination. Les phobies de toutes natures et les vieux démons ancestraux se réveillent.

     Mr Cantor ne perd pas son sang-froid, il estime de son devoir de protéger les enfants du quartier. Tout en leur dispensant maints conseils de préventions, il continue à les  accueillir malgré la chaleur accablante et sous le soleil implacable. Encore est-ce s’acquitter, à ses yeux, d’un courage bien mince comparé à celui dont doivent faire preuve les soldats expédiés sur le Front ! Inexorable, le fléau progresse. Faisant face à l’adversité, Bucky, rassure les inquiets, s’efforce de calmer les hystériques, visite les parents des enfants hospitalisés, partage la douleur des familles en deuil. Mais, secrètement, Bucky s’insurge : comment le Dieu du peuple élu peut-il imposer un tel destin à ses enfants ? quel est ce Dieu qui se plait à tuer des créatures innocentes ?

     Bucky se languit de Marcia qui l’aime et dont il est follement amoureux. Il refuse dans un premier temps d’abandonner les gamins de Weekahic afin de la rejoindre et respirer l’air pur de son camp de vacances en Pennsylvanie où un poste correspondant à ses capacités vient de se libérer. La jeune fille ayant accepté de se fiancer avec lui, il cède.

2ème partie : Indians Hills

      Mais la joie de retrouver Marcia, son plaisir de citadin découvrant pour la première fois la vie saine au grand air, les beautés de la nature, la magnificence du cadre des Poconos Montains, son admiration devant l'entousiasme naïf des jeunes jouant aux Indiens, ont, dès qu’il est seul à la tombée du jour et toutes les nuits, l’arrière-goût amer du remord d’avoir déserté l’enfer de la ville infestée, alors que son ami d’enfance Jack vient d’être tué dans un combat bien plus ardu en libérant la France. Le mal sournois qu’il avait cru fuir le rattrape. Atterré, Bucky Cantor découvre qu’il a apporté le virus avec lui dans le milieu protégé du camp.

3ème partie : Réunion

     Le narrateur, Arnie Mesnikoff, s’adresse maintenant aux lecteurs. Il raconte comment, après l’avoir retrouvé fortuitement vingt-cinq ans plus tard, il a recueilli les confidences de Mrs Cantor. Deux destins se confrontent.

     À l’époque de la grande épidémie, Arnie venait retrouver ses camarades sur le terrain de jeu dont Mr Cantor était le directeur. Il était des joueurs les plus acharnés des parties de softball et avait été un des premiers enfants contaminés. La polio l’a laissé handicapé moteur. Arnie Mesnikoff a accepté son sort et s’est épanoui en mettant son expérience au service des entreprises qui aménagent les locaux destinés aux personnes handicapées. Il s’est marié, est père de deux enfants et a une vie sociale « normale ».

     Après la longue et douloureuse rééducation qui avait suivi la maladie de Bucky, son corps d’athlète gardait les stigmates de la polio : des membres atrophiés et déformés qui s’affaiblissaient encore et le faisaient de nouveau souffrir. Il avait sabordé son avenir avec la certitude irrationnelle d’avoir contaminé toutes les victimes, avait renoncé à se marier, en dépit des supplications d’une fiancée qui l’aimait véritablement au point d’envisager de partager sa vie avec un infirme. Mr Cantor, que Mr O’Gara, le directeur de la gestion des terrains de sport s’obstinait à appeler Mr Cancer, avait rompu tous les ponts avec son passé. Il vivait seul, rongé par le cancer de la honte, s’imposant une vie de solitude, s’efforçant d’éviter tout ce qui pourrait lui rappeler ce qui aurait pu être.

     « Tu n’as jamais su mettre les choses à bonne distance, jamais ! Tu penses toujours que tu es responsable, alors que tu ne l’es pas. Soit c’est dieu le Terrible qui est responsable, soit c’est Bucky Cantor le Terrible, alors que la responsabilité n’incombe ni à Lui ni à toi. Ton attitude vis-à-vis de Dieu ― elle est puérile, tout simplement idiote.» avait accusé Marcia le jour de leur rupture.

     Les capacités de raisonnement limitées de Bucky l’empêchaient de reconnaître les limites de sa responsabilité, de percevoir l’incohérence de ses griefs contre Dieu alors qu’il se prétendait agnostique et d’admettre la part du hasard dans le cours des évènements qui frappent l’humanité. Il lui fallait un coupable. Le coupable devait être châtié. Persuadé d’avoir apporté la maladie à toutes les victimes, par une interprétation empirique primitive des évènements qui ont traversé sa vie, Eugène Cantor s’était arrogé le rôle de bouc émissaire. Par orgueil, il s’était condamné à une existence solitaire concentrée sur son mal expiatoire et son amour volontairement perdu.

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     Le roman de Philip ROTH comporte de magnifiques descriptions alliant justesse, précision et concision.  Le récit d’Arnie relatant comment l'enfant qu'il était a vécu la survenue de sa maladie et de ses conséquences est particulièrement émouvant. En contrepartie, des effets de répétition de la chronique des mesures adoptées par les autorités, des listes de noms publiées dans la presse locale, des rumeurs colportées par la population, soulignent la virulence et l’extension exponentielle du mal. Incapable d’évoluer dans son raisonnement, Bucky ressasse tout au long du récit, les  arguments le culpabilisant de n’avoir pas su protéger les enfants des actions démoniaques de Dieu.  

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1) Voir la carte : 

2) Existant probablement depuis des temps très anciens, longtemps sporadique (cas isolés) et touchant surtout de jeunes enfants, la poliomyélite avait manifesté, depuis un peu plus d'un siècle, un génie épidémique inquiétant, n'épargnant aucun âge et apparaissant dans les années 1940-1950 comme un fléau des plus redoutables (jusqu'à 4500 cas, par an, en France). C'est dans la décennie 50 qu'est apparue la vaccination contre les trois types de virus reconnus, d'abord par un vaccin inactivé (Salk 1954, injectable), puis par un vaccin vivant atténué (Sabin 1957, prise orale). Source : http://www.med.univ-rennes1.fr/sisrai/art/poliomyelite_p._230-236.html

6 janvier 2013

Irène FRAIN (1950) – Beauvoir in love (2012

Irène FRAIN (1950) – Beauvoir in love (2012)

     En 1929, sa deuxième place derrière Jean-Paul SARTRE au concours de l’agrégation de philosophie la consacrait aux yeux de ses pairs. Bien que Simone de Beauvoir ait été réintégrée dans l’Éducation Nationale à la Libération, pendant la guerre, les relations amoureuses homosexuelles qu’elle entretenait avec certaines de ses élèves lui valurent une mesure de suspension de son poste de professeur, puis un renvoi en 1943. Le succès de son premier roman « L’Invitée » publié la même année l’avait révélée au milieu littéraire. Cependant, nous précise Irène FRAIN, en 1947, ce n’était qu’en tant que mythique compagne de Sartre, dont elle dépendait encore financièrement à cette époque, qu’elle était connue du public.

     Intriguée par la lecture des lettres1 de Simone de Beauvoir à son amant américain Nelson ALGREN, Irène FRAIN est partie en Amérique sur les traces de la figure de proue du féminisme, laudatrice de l’existentialisme, de l’athéisme et du communisme. Elle a assemblé les pièces d’un puzzle glanées dans les courriers que Simone a adressés à Sartre à l’époque de leur liaison, les a recoupées avec celles contenues dans ses quelque trois cent lettres à Nelson. Elle a confronté ces informations avec les récits des témoins et les évocations explicites incluses dans ses romans et ses Mémoires.

     Les courriers de Nelson à Simone étant toujours inaccessibles, elle a décrypté dans des  nouvelles, des poèmes et des romans de l’écrivain nord-américain les indices qui pouvaient apporter le  point de vue de ce dernier sur certains faits.


      La confrontation de cette documentation avec le carnet-journal rédigé à deux l’année suivante, les photos prises par ALGREN et par son ami le photographe Art Shay(3) à l’époque, qu’il avait soigneusement conservés, ont permis d’éclairer l’enquêtrice sur la nature de leur lien.

      En s’inspirant des faits réels, s’appuyant le plus fidèlement possible sur les documents et les archives qu’elle a pu consulter, Irène FRAIN retrace sous forme d’un récit romancé l’histoire d’amour entre l’intellectuelle parisienne et l’écrivain de l’univers sordide des oubliés de l’essor américain.

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     Le récit commence alors que Simone de Beauvoir était en tournée aux États-Unis. Depuis que Sartre lui avait annoncé son chassé-croisé au-dessus de l’océan avec Dolorès, sa dernière conquête partie le rejoindre à Paris, entre les conférences dans les universités et les entretiens avec des journalistes new-yorkais, cette révélation la hantait : qu’en était-il du pacte entre Sartre et elle ? leur union ne reposait-elle pas sur la fusion des esprits, la mise en commun des ambitions, leur serment d’assistance pour le meilleur et pour le pire ? n’étaient-ils pas liés l’un à l’autre par l’amour nécessaire, les amours « contingentes » avec les autres ? ne se disaient-il pas tout ?... Enfin, …presque ! Cette femme superbe allait-elle la supplanter ? La contingente prenait trop de place !

     « Sartre ne la touchait plus depuis près de douze ans. », précise Irène FRAIN et « il rêvait d’épouser la métisse italo-éthiopienne franco-américaine ».

     Pour voir l’envers de la grandeur américaine, il fallait aller à Chicago. Là-bas, Nelson ALGREN serait un guide idéal, lui avait affirmé  une connaissance commune. Rendez-vous fut pris. L’écrivain américain la plongea dans la vie réelle, aux antipodes des théories élaborées au sein du milieu protégé de son cercle d’intellectuels germanopratins. Dans les bas-fonds de Chicago fréquentés par les ivrognes, les proxénètes, les prostituées, les drogués, les voyous, les fripouilles de tout acabit, il la traîna par des rues malfamées refuges de clochards, passant d’un bar douteux à une boîte louche ou un club de Jazz équivoque. Simone tira de cette expérience de quoi alimenter le récit qu’elle fit paraître en 1948, l’Amérique au jour le jour. Ses conversations avec Nelson l’aidèrent à peaufiner Le deuxième sexe (1949). La même année vit la parution du livre de Nelson ALGREN, The Man with the Golden Arm(2)récompensé par le National Book Award en 1950.

     Dès leur rencontre, Simone fut séduite par le charme de Nelson. De leur coup de foudre réciproque naquirent trois années de liaison amoureuse érotique, accompagnées de flots d’alcool, parcourue d’épisodes de complicité, d’attrait mutuel, d’élans passionnés, de déchirements tragiques, de rancœurs amères. Le souhait de Nelson de garder la femme qu’il aimait auprès de lui en Amérique fut contrecarré par l’emprise de Sartre sur sa maîtresse. Tiraillée entre son amour auprès d’un écrivain encore méconnu et son ambition, « Le Castor » misa sur la célébrité auprès du philosophe engagé. Elle trouva d’autres amours contingentes(4) auprès de son amour nécessaire, pourvoyant aux angoisses causées par ses contradictions à coups d’amphétamines.

Lui continua à dépenser son argent au poker, tout en se battant contre les maisons d’édition. Ce n’est que trois mois avant sa mort d’une crise cardiaque en 1981, que son talent fut officiellement reconnu par son élection à l’American Academy and Institute of Arts and Letters.

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     Si elle le rendit furieux en réduisant l’importance de leur relation à un simple amour « contingent » dans Les Mandarins, en 1954, un échange de quatorze  années de correspondance subsista cependant entre Simone de Beauvoir et Nelson ALGREN et l’anneau inca offert par Nelson le lendemain de leur première nuit d’amour accompagna Simone jusqu’à son dernier jour et, sur sa demande, fut mêlé à ses cendres.

     Dans son récit, Irène FRAIN met en valeur la dualité de la féminité et du féminisme de Simone de BEAUVOIR. Promouvoir ses conceptions féministes s’est fait au prix de sacrifices douloureux. Concilier vie privée et activité professionnelle est une lutte quotidienne vécue par les femmes contemporaines. Simone de BEAUVOIR reste une femme de notre temps.

*****

Notes :

1) La correspondance en anglais de Simone de BEAUVOIR avec Nelson ALGREN (environ 300 lettres) a été traduite et publiée en 1997 par sa fille adoptive Sylvie Lebon-Beauvoir.

 2) L’ouvrage fut traduit en français par Boris VIAN sous le titre de L’Homme au bras d’or (1950) qui obtint le National Book Award en 1950, et inspira le scénario du film éponyme d’Otto Preminger (1955).

 Art_Shay_Photographer_20003) Art SHAY est un photographe-reporter américain né en 1922 dans le Bronx à New-York. Il travaillé sur Chicago à partir de 1948. Il se consacre au photojournalisme à temps plein, produisant des tirages régulièrement pour Time, Life, Fortune et le New-York-Time Magazine. Shay s’est établi une réputation mondiale par les portraits insolites qu’il a réalisé de Marlon Brando, Nelson Algren, Liz Taylor, Simone de Beauvoir, JFK et les centaines d’autres photos sur des personnes moins connues. Dans ses clichés, il favorise l’humanité du personnage plutôt que sa célébrité.

Il a publié de nombreux ouvrages parmi lesquels : Nelson Algren’s Chicago (Université de l'Illinois, 1988), Album for an Age (Ivan R. Dee, 2000), Animals (University of Illinois, 2002) and Couples (University of Illinois, 2003).

4) De 1952 à 1959, Claude LANZMANN devient le compagnon de Simone de BEAUVOIR et l’ami du couple SARTRE-BEAUVOIR et le restera jusqu’à leur mort. Il entre au comité de rédaction de la revue Les Temps Modernes. Il en est le directeur actuel.

Claude LANZMANN (1925) Le Lièvre de Patagonie (Mémoires) (2009)

Sources des photos:

 http://www.stephendaitergallery.com/dynamic/artwork_display.asp?ArtworkID=804 

http://24.media.tumblr.com/tumblr_m28490uClw1r79v1io1_500.jpg 

http://en.wikipedia.org/wiki/File:Art_Shay_Photographer_2000.jpg

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