Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
ColineCelia a lu
Newsletter
Publicité
ColineCelia a lu
Visiteurs
Depuis la création 237 180
Archives
Derniers commentaires
23 décembre 2012

Sylvain TESSON (1972) – Dans les forêts de Sibérie (2011)

Sylvain TESSON (1972) – Dans les forêts de Sibérie (2011)

     Dans les forêts de Sibérie est un essai autobiographique sous forme de journal de bord, dans lequel Sylvain TESSON relate six mois de vie solitaire dans le sud de la Sibérie, de février à juillet 2010, au bord du lac Baïkal, un lieu qui l’avait séduit lors de ses précédentes pérégrinations.

     Après avoir traversé à vélo le désert central de l’Islande, fait le tour du monde à bicyclette, traversé l’Himalaya, participé à des expéditions archéologiques, suivi à pied l’itinéraire des évadés du goulag, héros du récit controversé de Slavomir Rawicz¹, de Iakoutz en Sibérie jusqu’à Calcutta en Inde, Sylvain TESSON réalisait un projet qu’il souhaitait concrétiser avant l’âge de quarante ans : rechercher dans la solitude  sa propre vérité.

Sylvain_Tesson_en_2011-_P1160238

     Sylvain TESSON n’a pas posé à la légère ses bagages dans une cabane de rondins isolée entre lac et montagne, par -30°, à plusieurs jours de marche des premiers voisins et du village le plus proche. Il avait anticipé sa retraite dans l’immensité glaciale, d’une préparation matérielle minutieuse.

     « Le camion n’est plus qu’un point. Je suis seul. Les montagnes m’apparaissent plus sévères. Le paysage se révèle intense. Le pays me saute au visage. […] La solitude est cette conquête qui vous rend jouissance des choses. »

La perspective des jours :

     - la routine de survie quotidienne, évidemment : couper le bois ; fendre les bûches ; allumer et entretenir le feu ; faire fondre la neige ou la glace pour obtenir de l’eau ; préparer les repas ; plus tard, agrémenter ces derniers d’ombles du lac pêchés dans un trou de glace, ou de quelque proie capturée dans la taïga ; dormir ; ranger la cabane ; faire sa lessive

     - goûter la liberté en pleine nature en compagnie d’Aïka et Bêk, deux chiots offerts par ses amis russes : crapahuter raquettes aux pieds ; glisser sur le lac ; longer la rive ; escalader les pentes, tenter d’atteindre un sommet, remonter le lit des ruisseaux

     - ne rien faire ; laisser couler le temps ; goûter la solitude à la chaleur du poêle devant un thé fumant, une bière ou une vodka ; fumer un gros cigare ; lire ; écouter de la musique ; observer la nature au fil des jours et des saisons ; contempler la mobilité du panorama, s’extasier devant sa beauté sublime, les jeux de lumière ; apprivoiser une mésange ; méditer, philosopher, écrire…

     - Retenu dans la cabane, par le mauvais temps, broyer du noir ; se laisser happer dans un  vide intérieur ; souhaiter furtivement partager avec un ( ?), une ( ?) proche l’impression produite par un beau panorama ; regretter l’être cher qui n’a pas voulu suivre (12 mai) ; la pleurer à l’annonce de la rupture de leur liaison (16 juin) ; taper dans sa réserve de vodka et la siffler verre sur verre pour se consoler et, à tout propos, seul, ou en compagnie des rares riverains ou insulaires du Baïkal.

jeu de massacre 2

 Justification et auto-persuasion

     Vivre tout seul un semestre sabbatique sans tentation relationnelle et faire le point sur soi-même ne nécessitent pas de mettre autant de distance entre soi et son camp de base, ni de s’astreindre à une lutte vitale constante contre un froid extrême. Sylvain TESSON manquait-il à ce point de volonté ? À qui sont destinées toutes les affirmations péremptoires sur le bien fondé de sa décision, dont le récit est ponctué ?

On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre !

     « Les mouches de roche. […] Ces pauvres insectes sont offerts en pâture. Ils sont destinés à fournir l’énergie pendant les semaines de pénurie. […] Ils me plaisent tellement que je me tords les chevilles à tenter de les éviter sur les galets de la plage. » (p 222)

     Sylvain TESSON aurait pu faire preuve d’autant de prévenance envers ses lecteurs ! Que son séjour réponde à ses attentes misanthropiques ne justifie aucunement que, tout au long de son ouvrage, il assène des critiques péjoratives sur notre société, notre mode de vie, nos contraintes sociales, le matérialisme dans lequel nous sommes plongés et notre course perpétuelle après le temps. Qu’a-t-il fait dès son retour ? Une promotion bien orchestrée pour l’ouvrage qui rapporte son expérience d’isolement. La société matérialiste, l’intérêt et l’estime des pauvres citadins confinés dans le métro-boulot-dodo ont tout de même des avantages !

     Au fait, que sont devenus les petits chiens ? A-t-il rapporté ses détritus avec son équipement ? Voilà un sujet intéressant pour la survie de la planète.

     Notre néo-Robinson écrit avoir renoncé à figer sur une photographie l’image d’un panorama naturel féerie. Le petit cachottier préférait la filmer. Pourtant, parmi les soixante-sept lignes qui décrivent (p 27 à 29) le « Matériel nécessaire à six mois de survie dans les bois », point de caméra. Celle-ci se cache peut être sous le terme générique d’« Appareils électroniques » parmi d’autres appareils hit-tec un peu gênants à citer tant la complexité de leur conception  adaptée aux conditions météo est coûteuse. Il ne courait plus après le temps ! Il le faisait durer en le fixant successivement 24 fois par seconde. Que son journal ne soit qu’un procédé littéraire n’interdit pas la franchise.

La tête et les jambes en un seul

     Sylvain TESSON s’est mis en scène dans ce film, comme dans le livre. Se présentant comme un homme accompli, le héros/auteur/narrateur met en avant sa culture intellectuelle, son besoin de spiritualité, ses pensées philosophiques à coups de titres réputés inaccessibles au commun des lecteurs, de citations d’auteurs de haut vol, de postulats et d’aphorismes de son cru.

Le lac Baïkal

     Pourquoi se justifier et se poser en censeur pédant ? Amoureux de cette région de Sibérie orientale peu peuplée, aux hivers longs et particulièrement rigoureux, Sylvain TESSON désirait se faire plaisir tout en s’imposant des défis physiques et psychologiques qui satisfont son tempérament indépendant, son attirance pour les émotions fortes et sa recherche de l’insolite. Se lancer dans des expériences originales  exigeantes physiquement constitue sa raison de vivre.

     La vente de ses récits, ses tournées de conférences et les documentaires tirés de ses voyages lui en procure le financement ainsi que la source de ses revenus.

     Narrer ce long séjour solitaire de six mois réduit au périmètre de la cabane de rondins et de ses alentours était une gageure autrement plus ardue que relater une expédition enrichie à tout moment  de découvertes et de faits nouveaux. N’est pas Montaigne qui veut !

     Le film intitulé Bo Travail a été projeté sur les chaînes de télévision et est publié sur la toile (²). Les prises de vue et les images sont excellentes et les plans extérieurs sont magnifiques. Son montage par une société spécialisée est remarquable.  

    Sylvain TESSON a été récompensé par le Prix Médicis dans la catégorie essai en 2011.     

 1 – Slavomir Rawicz (1915~2004) est l’auteur The long Walk, paru en 2002 dans une traduction d’Éric Chedaille, dont le titre français est À marche forcée : À pied du Cercle polaire à l’Himalaya (1941-1942. Il s’agit d’un  récit rapportant une odyssée vécue par Rawicz en 1941et 1942 qui  défraya la chronique dès sa parution en 1956.

     En compagnie de six autres hommes évadés d’un camp du goulag en Sibérie,  Slavomir Rawicz serait arrivé en Inde après avoir traversé  le lac Baïkal, la Bouriatie, la Mongolie, le désert de Gobie, le Tibet, l’Himalaya. Des imprécisions concernant l’itinéraire, des erreurs géographiques manifestes, soulevèrent des critiques doutant de l’authenticité  du périple évoqué. Des invraisemblances éveillèrent des soupçons d’imposture chez certains, les incitant à enquêter sur la nature exacte des tribulations vécues par Slavomir Rawicz, au cours  cette période du conflit  mondial.

     Après la guerre froide, les archives soviétiques confirmèrent ces présomptions. Elles révélèrent les causes de l’arrestation de Rawicz en 1940, sa condamnation, son incarcération et l’origine de sa libération en 1942. Elles apportèrent aussi des informations concernant sa carrière dans l’armée polonaise de libération pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Bien avant la parution de L’Archipel du Goulag, le livre de Slavomir Rawicz a eu cependant le mérite d’alerter l’opinion sur le sort des prisonniers du goulag.

  2 – réf web du film Bo Travail : http://www.youtube.com/watch?v=wCnGiztNOes

 Références des illustrations :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Sylvain_Tesson_en_2011-_P1160238.jpg

 http://www.musees-franchecomte.com/index.php?p=617&art_id=1465&args=Y29tcF9pZD0xMDExJmFjdGlvbj1wb3B1cCZpZD0mY29sbGVjdGlvbl9pZD0yMzd8

 http://www.terdav.com/Produit/Fiche/RUS015/magie-glaciale-lac-baikal

Publicité
Publicité
8 décembre 2012

William BOYD (1952) – Waiting for Sunrise – L’attente de l’aube (2012)

Image L'attente de l'aube

 

Pour accéder au document complet (3 pages) veuillez cliquer sur le lien

William_BOYD_1952___L_attente_de_l_aube

27 novembre 2012

David LODGE (1935) A Man of Part (2011) – Un homme de tempérament (2012)

David LODGE (1935)

A Man of Part (2011)Un homme de tempérament (2012)

Traduit de l’anglais par Martine AUBERT

     Surtout connu comme étant un maître  de la littérature d’anticipation : La Visite merveilleuse (1895) ; La Machine à explorer le temps (1895) ; L’Île du docteur Moreau (1896) ; L’homme invisible (1897) ; La Guerre de Mondes (1898) ; Les premiers hommes dans la Lune (1901), le journaliste et romancier britannique Herbert George WELLS (1866~1946) eut une existence hors du commun que David LODGE met en scène dans ce roman.

     Quelques escadrilles de chasseurs bombardiers se faufilent encore de jour, à basse altitude, sous l’écran radar qui protège la capitale anglaise, mais en ce printemps de 1944, ces raids éclairs atteignent rarement le centre de Londres. Sous le regard méprisant de Mr H. G. Wells qui avait refusé d’aller s’abriter à la campagne, les voisins de la maison n°13 Hanover Terrace, reviennent un à un. Bravant le Blitz de 1940-1941. Fidèle à ses habitudes, il était resté toute la guerre dans sa maison. Le vieil homme, malade, constate avec amertume que la plupart de ses œuvres tombent dans l’oubli, qu’on se moque de ses dernières anticipations. Lorsqu’il n’est pas dans un fauteuil dans le petit salon ou dans le solarium, une couverture sur les genoux tantôt lisant, tantôt somnolant, il lui arrive encore d’ajouter une note ça et là, d’apporter une correction au stylo-plume sur une page d’un des deux manuscrits en cours de composition. Alors qu’il sent sa vie s’éteindre lentement, ses proches distinguent parfois quelques mots marmonnés, bribes d’un dialogue ou d’un monologue intérieur du vieillard qui se remémore les détails de son itinéraire.

     Issu d’un milieu modeste marqué par de permanents soucis d’argent, H. G. dont les parents finirent par se séparer, a eu une enfance difficile. Autodidacte, après diverses expériences d’apprentissages, il obtint une bourse qui lui permit de faire des études scientifiques à l’université de Londres où il se lia avec son professeur Thomas Huxley, le célèbre physiologiste ami de Darwin. Il fut un membre actif influent des débats de l’école de pensées de la Fabian Society qui fut à l’origine du parti travailliste britannique. Mais, son impatience et son intransigeance concernant les réformes sociales et économiques de la société qu’il souhaite universelles, ses théories sur la nécessité d’instaurer un état mondial, ses plaidoiries prônant la libération de la femme par l’amour libre et une contraception efficace gratuite, heurtèrent ses meilleurs soutiens et les aristocrates socialistes anglais qui finirent par le rejeter.

     Wells enseigna quelques années et collabora à des revues, puis il se mit à publier des romans d’anticipation qui posaient les problèmes de la survie de l’humanité dans le contexte de la fin du XIXe siècle, commençant une œuvre prolifique (plus de cent livres publiés : romans, nouvelles, essais). H. G. qui avait un grand sens du comique, écrivait des articles et de courts essais divertissants sur des sujets de tous les jours pour des journaux humoristiques. Kipps (1905), dont le héros est un jeune commis de magasin, puis L’Histoire de Mr. Polly (1910), sont des œuvres imprégnées d’indignation dans lesquelles il transposa ses expériences de jeunesse.

     En 1916, il publia Mr. Britling commence à y voir clair, un roman dans lequel la Grande Guerre est vue comme « la guerre qui doit tuer la guerre ».

     Après l’optimisme originel, vint le temps des désillusions avec Le Monde de William Clissold (1926) dans lequel il propose l’instauration d’une république du monde.

    Il écrivit aussi des ouvrages de vulgarisation historiques ou scientifiques comme la trilogie  de La Science de la vie (1929) qui décrit tous les aspects majeurs de la biologie telle qu’on la connaît dans les années 1920.

    Dans Tentative d’autobiographie (1936), il apparaît comme un témoin de son époque. Bien que sans écho à l’époque, son idée de création d’un cerveau mondial qui aurait consisté en une mise à jour continuelle des connaissances humaines  vérifiables, universellement accessibles, fait de Wells un précurseur des encyclopédies libres du Web.

    Après le décès d’Isabel, une cousine qu’il avait épousée en premières noces, il se marie avec Amy Catherine Robbins dite Jane Austen qui fut une compagne particulièrement compréhensive, veillant sur son confort matériel, corrigeant et mettant en forme ses manuscrits. Jane fut une hôtesse parfaite qui lui donna un fils Gip et toléra quelques tentatives de ménage à trois.

 

Herbert_George_Wells_in_1943

    Insatisfait sexuellement dans le cadre du mariage, il met en pratique ses conceptions sur la liberté de la femme, multipliant les expériences sexuelles. Plutôt petit, porté à l’embonpoint, Wells n’a rien d’un séducteur, pourtant ses manières, ses théories, sa renommée plaisent aux femmes. Il eut une collection impressionnante d’aventures sans lendemain, de passades et de maîtresses - de belles jeunes femmes intelligentes, souvent très jeunes et vierges - étudiantes, journalistes, femmes de lettres, étrangères parfois.

    Certaines de ces relations intimes durèrent, d’autres firent scandale. Une fille naquit de sa liaison avec Amber Reeves, un fils, Anthony, de celle avec Rébecca West. Sa dernière passion fut pour Moura Budberg, son interprète lors d’un voyage en Russie en 1920. Une femme mystérieuse qui refusa de l’épouser. Fut-elle la maîtresse de Gorki ? Était-elle une espionne ? un agent double ?

    En bref, H. G. eut une vie privée, une vie sexuelle et des ambitions d’homme public, compliquées par « l’instinct vagabond » dont il se caractérisait lui-même.

    Tantôt David LODGE raconte à la troisième personne les évènements qui ont marqué la vie de son héros, tantôt le vieil homme dialogue avec lui-même : en réponse à un interlocuteur assez incisif qui l’interroge ou le critique, H. G. explique, précise, se justifie, convient, regrette parfois, tantôt ce sont des monologues intérieurs, tantôt l’auteur rapporte des extraits de correspondance. La construction habile du roman donne de la vie au texte et permet de relancer l’intérêt du lecteur sans le lasser.

David LODGE (1935) – Thérapie (1995 ;1996) Traduit de l’anglais par Suzanne V. Mayoux

David LODGE (1935) – Death sentence (2008) - La Vie en sourdine (2008) Traduit de l’anglais par Suzanne V. Mayoux

David LODGE (1935) – Thinks ...(2001) - Pensées secrètes (2002) Traduit de l’anglais par Suzanne V. Mayoux

11 novembre 2012

William FAULKNER (1897~1962) - The Sound and the Fury – Le Bruit et la Fureur (1929)

 William FAULKNER (1897~1962) - The Sound and the Fury – Le Bruit et la Fureur (1929)

Traduit de l’américain par Maurice Edgar COINDREAU (1972)

William_Faulkner

 Origine de la photo de William Faulkner

 http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Faulkner/119122

Cliquer sur les liens pour accéder aux fichiers au format PDF

 

William_FAULKNER_1897_1962___Le_bruit_et_la_fureur_1929

 

Composition_de_la_famille_COMPSON_de_1900_à_1910

 

Composition_du_foyer_COMPSON_de 1926_à_1928

 

Liens vers d'autres messages du blog de ColineCélia

William FAULKNER (1897~1962) – Les Palmiers sauvages (1952)     

WILLIAM FAULKNER (1897~1962) - BIOGRAPHIE - SES NOUVELLES - SES ROMANS 

14 octobre 2012

John STEINBECK (1902~1968)- À l’est d’Éden - East of Eden (1952)

John STEINBECK (1902~1968) - À l’est d’Éden - East of Eden (1952)

Traduction de l’anglais par J.-C.Bonnardot

     À l’est d’Eden raconte sur trois générations, des années 1860 à la fin de la Première Guerre mondiale, l’histoire de deux familles les Hamilton et les Trask, établies dans la vallée de Salinas en Californie, aux États-Unis.

 

Baja_California_Desert httpfr

    Dans les deux premières parties du roman, nous suivons séparément les deux familles avant que leurs destins se croisent.

Les Hamilton

        Arrivés sans le sou d’Irlande du nord, le jeune Samuel Hamilton et sa femme Liza s’installèrent vers 1870, à l’est de King City sur une terre aride et ingrate des collines qui bordent la vallée de la Salinas.

    Samuel était un homme cultivé, robuste, énergique, habile de ses mains, inventif, désintéressé, enjoué, ouvert et convivial, alors que son épouse, une petite femme sans attraits, sèche, effacée, excellente ménagère, inhibée par la religion, était dénuée du moindre humour.

     Ils eurent quatre fils : Georges, William, Tom Joseph, et cinq filles : Una, Lizzie, Dessie, Olive la mère de l’auteur et narrateur, et Molly.

     Les Hamilton ne furent jamais riches car Samuel n’avait aucun sens des affaires. Les fruits de ses inventions ingénieuses profitèrent à d’autres.

Les Trask

     Adam Trask avait acheté sa propriété plus tard dans la fertile vallée de Salinas. Adam était né en 1862 dans le Connecticut où Cyrus, son père, exploitait une ferme.

    Cyrus s’était enrôlé dans une milice régionale au cours de la guerre civile. Six mois avant la naissance de son fils, victime d’une blessure dès les premières minutes de confrontation avec les rebelles, Cyrus avait été amputé d’une jambe. Durant sa brève carrière militaire, la boisson, le jeu, la fréquentation des maisons closes, les troussages de jupons vaincus, complétaient agréablement les séances d’entraînement pour cet homme robuste, risque-tout au fort tempérament. Quelques temps après son retour, son épouse, ‘‘une femme incolore et refermée’’, repliée dans une mystique expiatoire, mettait fin à ses jours lui laissant l’entretien de la ferme et le bébé sur les bras.

    Cyrus s’était rapidement remarié avec la fille de fermiers voisins. Alice avait 17 ans, était laide et travailleuse. Elle fut rapidement engrossée et donna naissance à Charles.

Auprès de cette jeune femme minée par la tuberculose, crédule, effacée, qui l’écoutait en silence, le soldat de deuxième classe échafauda de fabuleux récits de campagne où il jouait un rôle de premier plan. Des lectures spécialisées et le temps aidant, d’affabulateur Cyrus devint mystificateur. Réputé être le meilleur spécialiste en stratégie, il était consulté par les hautes instances militaires de Washington et abusait même le Président.

    Les deux frères Trask étaient très différents : Charles, grand, fort, vigoureux, impulsif et teigneux, quoique plus jeune, protégeait Adam qui était intelligent, sensible, pacifique et doux. Cyrus soumit ses fils à une intense préparation militaire de son cru extrêmement précoce qui convint au tempérament bagarreur du cadet, mais dégoûta définitivement l’aîné de toute violence. Histoire d’endurcir Adam, Cyrus lui imposait des exercices d’endurance et de survie et le voua à la carrière militaire, tandis qu’il destinait Charles à reprendre la ferme. Ce dernier, ulcéré de l’attention que son père portait à Adam, dans une pulsion de jalousie meurtrière, avait sauvagement blessé son frère.

   Malgré lui, Adam participa donc à la chasse aux Indiens. En dépit de son manque de goût pour la vie militaire, il rempila à la fin de son contrat. Démobilisé après dix ans d’armée, Adam partit sur les routes, clochard vivant de petits larcins, errant au hasard à travers plusieurs États. Arrêté et condamné aux travaux forcés pour vagabondage, sa peine étant prolongée, il réussit à s’échapper et revint vivre à la ferme familiale où, sans nouvelles de lui, son frère l’attendait.

    L’amertume des rancœurs passées ressurgissait fréquemment, impromptue, au cours de moment de complicité fraternelle, rendant la cohabitation difficile entre les deux frères.

    Une cérémonie grandiose accompagna l’enterrement de Cyrus à Washington où ce dernier mourut laissant en legs à ses fils une fortune conséquente. D’où provenait l’argent de Cyrus ? Cette question obséda Charles. Jusqu’à la fin de ses jours, il se garda de toucher à sa part du magot.

    Adam, toujours indécis, cherchait toujours un sens à sa vie jusqu’à ce qu’il brave l’opposition de Charles en sauvant et soignant Cathy, une jeune femme rescapée d’une tentative d’assassinat, qui avait échoué gravement blessée devant leur porte. Subjugué par la beauté naturelle et l’étrange regard de sa protégée, il décida de l’épouser et d’aller s’installer en Californie dans la vallée de Salinas.

    Dans la troisième partie, Samuel, contacté pour un problème de forage, rencontre les Trask.

    Euphorique et enthousiaste, porté par son amour pour Cathy, Adam échafaude pour sa famille des projets d’avenir grandioses et emploie sa fortune à mettre en valeur toutes les ressources naturelles de son domaine. Adam chérit aveuglément Cathy. L’objet de son amour et de toutes ses attentions n’est hélas qu’un mirage, une créature imaginaire. La Cathy, celle que tous voient, ne l’aime pas, son amour la dégoûte. Pragmatique, enceinte, celle-ci, dont il ignore le passé sulfureux déjà très lourd, indifférente, passive, boudeuse, attend l’instant propice pour reprendre sa liberté.

    Aussitôt après avoir mis au monde des jumeaux, avant de s’enfuir et disparaître, Cathy tire sur Adam qui tente de la retenir, le blessant gravement. Après sa guérison, Adam, anéanti par une agression et une trahison qu’il ne comprend pas, perd tout goût de vivre et d’entreprendre. Le domestique chinois, élève les deux petits garçons, Aaron et Caleb. Lee assume le train de maison de la famille et s’efforce d’aider le maître des lieux à sortir de sa prostration en l’intéressant à la vie de ses fils.

    Dans la dernière et quatrième partie, une douzaine d’années se sont écoulées, les Trask habitent maintenant une maison de Salinas. Les faux jumeaux, Aaron et Caleb n’ont pas de ressemblance physique.  Comme Adam et Charles, leur tempérament et leurs goûts sont très dissemblables. Lee, qui a renoncé à son projet de monter une librairie à San Francisco, a repris son service et contribue à la cohésion familiale.

COMMENTAIRE

    John STEINBECK analyse si besoin le cadre géographique, le contexte historique, économique, social, ou  météorologique dans lesquels il situe chaque nouvelle phase du roman. Le propos du roman s’étend sur une soixantaine d’années, dans la vallée fertile de la Salinas entre les terres arides des collines du comté de Monterey, en Californie du nord. Aventuriers et opportunistes en quête de fortune y tentent leur chance. La Californie : une terre conquise ; un rêve de paradis pas toujours accueillant pour la dernière vague d’immigrants ou la confrontation des fermiers aux aléas pluviométriques saisonniers ou climatiques ; un État sorti de l’isolement avec le développement du chemin de fer, du téléphone et l’arrivée de l’automobile ; un État qui sut garder ses distances pendant la Guerre de Sécession, mais  contribua à la Première Guerre mondiale.

   Il précise l’état psychologique des personnages au fur et à mesure du déroulement de l’intrigue.

  La communication entre les êtres humains est au centre du roman. Ce sont des personnes incapables d’exprimer leurs sentiments et leurs désirs, inaptes à l’écoute et à la compréhension de l’autre. Leurs actions sont souvent le fruit de leurs pulsions conflictuelles d’amour et de haine. Ces êtres imprégnés de manichéisme, s’interrogent sur leur hérédité et leur prédestination au bien ou au mal.

   Les références bibliques fourmillent dans le roman : la citation de versets bibliques ; le choix des prénoms des protagonistes ; l’exploitation du thème de Caïn et Abel illustré par la jalousie entre les demi-frères Adam et Charles, puis la rivalité entre les jumeaux d’Adam prénommés Aaron et Caleb. Le titre East of Eden est tiré d’une citation de la Bible, c’est à l’est de l’Eden que Caïn court se réfugier après avoir tué son frère Abel.

   John STEINBECK se sert des échanges entre deux personnages particulièrement attachants : Samuel immigré irlandais et Lee sino-américain de la deuxième génération, qui se démarquent des précédents par leur originalité, leur écoute des autres, leur abnégation, leur capacité d’adaptation, leur curiosité du monde, leur soif de culture, leur sagesse. La place de l’individu dans la société occupe une grande part de leurs discussions. Se limitant aux apparences, les groupes sociaux attendent d’autrui des actes fondés sur des préjugés intangibles. Adam et Charles puis d’Aaron et Caleb, sont ravagés par l’anxiété de se faire accepter tels qu’ils sont et de s’assurer une part d’amour paternel. Ils sont victimes de déductions dualistes arbitraires basées sur leurs goûts, leurs capacités et leur apparence physiques. STEINBECK démonte les aprioris d’innocence et de pureté prêtés à Cathy/Kate, fondés sur sa beauté : sous un visage d’ange, se dissimule un être pervers diabolique.

    Il apporte aussi des points de vue personnels dans l’exposé du récit sur les capacités d’invention et de création de l’individu par rapport au groupe. Il précise sa vision de la part prise par l’un et l’autre dans les processus d’invention et de création.

   À l’est d’Eden mêle fiction et réalité. John est le fils d’Olive Hamilton. Samuel est son grand-père maternel, un personnage hors normes, haut en couleur, entré dans la légende familiale. Auteur/narrateur, STEINBECK se fait acteur dans le roman, en y introduisant une part d’autobiographie : son apparition enfant avec Mary la plus jeune de ses sœurs, tous deux témoins, lui rapporteur de certaines scènes.

   À l’heure de la mondialisation de l’économie et des moyens de communication, de l’information instantanée, du brassage des cultures et des groupes sociaux, des flux professionnels, touristiques ou migratoires, l’individu est amené à s’interroger sur son identité et sa place dans une société de plus en plus mouvante. Les problèmes de la connaissance de soi, de la reconnaissance et de l’acceptation de l’autre, d’écoute et de tolérance, déjà rapportés par la tradition biblique et repris au milieu du XXe siècle par John STEINBECK, ont un caractère intemporel et universel.

   À l’est d’Eden estécrit dans un style fluide, simple et précis. Sa lecture est agréable et captivante.

   John STEINBECK a reçu Le prix Pulitzer en 1942 et le Prix Nobel de Littérature pour l’ensemble de son œuvre en 1962.

    Le réalisateur américain Elia Kazan s’est inspiré de la quatrième partie du roman de John STEINBECK pour son film en couleur et en Cinémascope qui porte le même titre que le roman, sorti en 1955. L’acteur James Dean interprétait le personnage de Cal (Caled) Trask.

 

James Dean dans A l'est d'Eden Photo Elia Kazan

    Le film a été récompensé par le Golden Globe du meilleur film dramatique en 1956. Les Oscars ont attribué les titres de Meilleur réalisateur à Elia Kazan et de Meilleur second rôle masculin (à titre posthume) à James Dean.

John STEINBECK (1902~1968) - Lune noire (1994) – The Moon is Down (1942)

John STEINBECK (1902~1968) – La Perle ; The Pearl (1945) 

Source des images 

http://fr.wikipedia.org/wiki/John_Steinbeck

http://www.allocine.fr/film/fichefilm-1944/photos/detail/?cmediafile=18429305

 

Publicité
Publicité
4 octobre 2012

John STEINBECK (1902~1968) - Lune noire (1994) – The Moon is Down (1942)

John STEINBECK (1902~1968)

Lune noire (1994) – The Moon is Down (1942)

Traduction de l’anglais par Jean Pavans ¹

     L’action du roman de John STEINBECK se déroule dans les premières années de la Seconde Guerre mondiale, au nord de la Scandinavie², où une mine de charbon d’intérêt stratégique est exploitée près d’une petite ville côtière jusque là épargnée par les remous des bouleversements de l’échiquier politique européen. L’envahisseur était entré dans la cité sans peine et l’avait rapidement occupée un dimanche matin. S’étant manifestés dès l’abordage des premiers navires, le facteur et le policier étaient faits prisonniers. Un peu plus tard dans la matinée, six membres des  troupes locales gisaient sans vie, criblés de balles. Il faut dire que Mr Corell, le commerçant si populaire, avait bien fait les choses pour éloigner les fonctionnaires locaux, les premiers pêchaient en mer à bord du voilier prêté par ledit Mrs Corell, tandis que les autres se mesuraient là haut, dans les collines, dans un concours de tir généreusement doté par le même Mrs Corell, qui les laissait disposer de son terrain pour l’occasion et leur offrait aussi le déjeuner.

13 avril 1940 le port de Narvik bombardé par les Anglais

     De l’hôtel de ville où il a établi ses quartiers, L’État-major de l’envahisseur s’organise pour multiplier les rendements de la mine et faire construire d’une voie ferrée, afin d’évacuer vers le port, la production charbonnière annexée.

     D’abord hébétés, face aux occupants, les habitants protègent d’un mur d’indifférence hostile leur liberté de penser et d’agir. La ville est conquise, mais ne se soumet pas. Sans se concerter, chaque citoyen fait comprendre à l’envahisseur l’inopportunité de sa présence. Bien avant le verdict d’une parodie de procès, Alexander Morden, le mari de Molly, est condamné à être fusillé. En homme libre, il refusait d’obtempérer aux injonctions menaçantes de l’ennemi. Le mineur s’était rebellé, faisant du capitaine Bentick, le premier Allemand assassiné. Première sentence prononcée pour l’exemple qui s’appliquera sur beaucoup d’autres.

Troupes allemandes traversant un village au cours de l'invasion de la Norvège pendant la guerre

 

     Au fil du temps, chaque lendemain de nuit sans lune, les occupants constatent qu’au port, à la faveur de  la marée, des barques ont levé les amarres et que la neige nocturne a déjà effacé dans les collines les traces de jeunes hommes qui ne se présenteront plus à la mine. Des incidents inopinés ralentissent sans cesse l’extraction du charbon, des accidents détruisent la voie en construction imposant des remaniements incessants aux plans et au tracé du chemin de fer. L’hostilité s’amplifie de part et d’autres. Aux meurtres et aux actions de résistance décuplés, répondent l’intensification des représailles et l’exécution d’otages par les oppresseurs.

     La passivité affichée par la population de la petite cité avait réjoui les occupants dans les premiers temps. Mais, au fil des jours, dans l’accomplissement de la routine quotidienne, ceux-ci perçoivent l’hostilité des autochtones. Omniprésente, une menace invisible filtre sous l’inertie des habitants de la ville figée. Isolés, cernés par la haine de la communauté et l’abondante neige hivernale, point de surhommes d’airain sous le vert de gris, mais tout simplement des êtres nostalgiques, inquiets pour leur famille et leurs amis, des jeunes gens qui voudraient rire, s’amuser, aimer, être aimés, des hommes rongés par la méfiance et la peur de ces citadins pourtant sans armes, des soldats qui se sentent incompris. Ils s’interrogent : les aurait-on oubliés ? Les plus fragiles perdent la raison.

     Le colonel Lanser commande les troupes allemandes. Après quelque vingt-cinq ans, ce vétéran de la Première Guerre mondiale revit une expérience dont il connaît déjà les inévitables conséquences. Officier issu de l’ancien régime, c’est un homme réfléchi et cultivé. Il sait que sous la tranquillité apparente de la ville, couve une révolte sournoise. Son ingéniosité perpétuellement sollicitée, accroché à sa planche à dessin, stimulé par chaque nouveau défi à surmonter, le commandant Hunter, reprend inlassablement les plans de la voie ferrée qu’il a mission de concevoir. Hitlérien endoctriné, sanglé dans son uniforme, abrité derrière les articles du Règlement, le capitaine Loft applique et fait exécuter les ordres, avec une rigueur aveugle, sans états d’âme. Les jeunes lieutenants Tonder et Prackle découvrent sur le terrain que les réalités de la guerre n’ont pas le romantisme qui leur fut distillé au cours de leur formation.

     Ignorant le mépris de ses concitoyens comme des occupants, le fameux Corell, l’homme qui a su si bien préparer l’arrivée des troupes allemandes, refuse les offres de protection du colonel dont il attend la juste récompense de ses services. Pour ce zélé converti, peu importe les conséquences de ses prétentions et les moyens employés pour les assouvir.

     L’apparence modeste, conscient de ce qu’implique son refus de collaborer avec l’ennemi, Orden, le maire, oppose calmement, mais fermement aux dictats d’un pouvoir totalitaire, les limites de son statut de magistrat mandaté par des hommes libres. Il est soutenu par l’amitié et la complicité morale du docteur Winter. Autour d’eux, gravitent, Annie la cuisinière revêche qui saura imposer sa loi à l’office, avant d’élargir son terrain d’action ; Joseph, le majordome qui utilisera les prérogatives de sa fonction pour collecter des renseignements ; l’épouse du magistrat inconsciente du drame qui se joue, tant elle est obsédée par d’infimes détails futiles d’ordre matériel et la mise en valeur des attributs de représentation de son mari.

*****

     The Moon is Down (qu’on pourrait traduire par la lune est couchée), est paru en 1942³ alors que s’amorce sur le front russe, le tournant de la guerre en Europe. La diffusion du livre fut interdite par l’occupant, cependant des traductions publiées clandestinement circulèrent sous le manteau  dans les milieux résistants des pays occupés.

     Lune noire est un roman court : (175 pages, chez Jean-Claude Lattès, 1994), dont les huit chapitres se présentent comme autant d’actes d’une œuvre dramatique. Dans chacun d’eux, STEINBECK décrit d’abord les lieux, fait le point sur l’ambiance qui règne dans la ville et l’état d’esprit des personnages. Les dialogues mettront ensuite en lumière l’évolution psychologique des acteurs du drame.

     La ville conquise n’a pas de nom. La nationalité des envahisseurs ne sera évoquée qu’assez tard, comme incidemment, l’hypothèse de la folie du Führer aussi, encore a-t-elle l’invraisemblance comique d’un délire onirique.  Ces imprécisions ou ces suggestions à peine esquissées, élargissent la portée du propos vers tout régime totalitaire ou porteur d’idéologie  universelle qui s’impose au détriment de la liberté individuelle. Quel que soit le cynisme, quelle que soit la noblesse des raisons d’intervention invoquées, l’adhésion d’un peuple ne se conquiert pas par les armes et la négation de l’individu.

     John STEINBECK a reçu Le prix Pulitzer en 1942 et le Prix Nobel de Littérature pour l’ensemble de son œuvre en 1962.

     Une version française allégée du texte fut publiée en 1943 à Lausanne sous le titre Nuits sans Lune. Les parties supprimées concernaient les allusions aux nations impliquées par la guerre en cours. 

Origine des photos

1- La Seconde Guerre mondiale tome 1er 1939-1942 Raymond Cartier Larousse – Paris-Match Attaque du port de Narvik le 13 avril 1940 par les navires anglais p 64 (photo scannée) Soldats allemands traversant un village norvégien en 1940

2 - — National Archives and Records Administration, College Park, Md.

http://www.ushmm.org/wlc/fr/media_ph.php?ModuleId=208&MediaId=1408

*****

1) Jean PAVANS est traducteur de l’œuvre de Henry JAMES dont l’Intégrale thématique des Nouvelles  en quatre tomes (le dernier est paru en 2006) aux éditions La Différence. Il traduit aussi des œuvres d’auteurs classiques anglo-saxons : Edith WHARTON, Virginia WOOLF, Gertrude STEIN, Harold PINTER, John STEINBECK pour de nombreuses maisons d’édition.

Auteur de publications littéraires (récits, romans, nouvelles, théâtre, essais, pastiches) parus pour la plupart aux éditions La Différence depuis 1980, il a fait paraître chez Gallimard en 2007, une biographie de Marlene Dietrich.

Adaptateur de pièces de H. PINTER (Le scénario Proust et Célébration) pour Roger Planchon, il a aussi adapté pour la scène des nouvelles de  H. JAMES (Les Papiers d’Aspern, L’auteur de Beltrafio, la Leçon du Maître). Il a travaillé au livret d’un opéra créé en 2011, inspiré de La Bête dans la Jungle d’Henri JAMES, pour le compositeur Arnaud Petit.

Sources : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Pavans

http://www.franceculture.fr/personne-jean-pavans

 2) On peut imaginer que cette ville se situe en Norvège

 L’invasion de la Norvège

     La Norvège proclama sa neutralité au début de la Seconde Guerre mondiale. Durant l’hiver 1939-40, elle refusa aux Britanniques et aux Français le droit d’utiliser son territoire pour faire parvenir du matériel à la Finlande en guerre contre l’URSS. Mais l’importance de ses côtes  pour la guerre sous-marine et le rôle du port de Narvik qui, relié à la Suède par une voie ferré, était un débouché de la route du fer suédois, firent d’elle un enjeu pour les belligérants. Dès l’hiver 1939-40, la Grande-Bretagne et l’Allemagne étudiaient des projets d’intervention.

     Le gouvernement travailliste au pouvoir depuis 1935 avait complètement négligé la politique militaire. L’armée norvégienne était dans un état lamentable : les troupes mal instruites ; l’armement désuet ; une aviation composé d’une centaine d’appareils dont seulement 8 chasseurs. Le fjord d’Oslo n’était même pas miné. Des militants du Nasjonal Samling de Quiling (cinquième colonne) qui étaient nombreux dans l’armée et l’administration étaient favorables à l’Allemagne.

          Le Reich occupa la Norvège, devançant ses adversaires en avril 1940. Au début d’avril 1940, les alliés annonçaient qu’ils avaient mouillé des mines dans les eaux norvégiennes. Mais l’attaque allemande était déjà en cours. Dans la nuit du 8 au 9 avril, les navires allemands réussirent à déjouer la surveillance de la flotte britannique et à l’aube du mardi 9 avril, des débarquements simultanés eurent lieu dans les six principaux ports norvégiens accompagnés en plusieurs endroits de débarquement de parachutistes : Oslo, Kristiansand, Stavanger, Bergen, Trondheim et Narvik. La résistance norvégienne fut désorganisée par la surprise et les faux ordres lancés par la cinquième colonne. Tout en proclamant qu’ils allaient apporter une aide totale à la Norvège, les alliés réagirent avec retard et de façon improvisée. Manquant d’aviation, de chars et de DCA, la tentative franco-britannique de contre-offensive ne put empêcher la jonction des forces allemandes du Nord et du Sud. Les alliés reportèrent tous leurs efforts sur Narvik pendant six semaines qu’ils conquirent le 28 mai. La capitulation de la Belgique, l’évacuation de Dunkerque eurent pour conséquence le rappel du corps expéditionnaire au début juin. Toute la Norvège était aux mains de la Wehrmacht. Les Allemands installèrent un gouvernement de collaboration National Socialiste  dirigé par Quiling. Cependant, les Norvégiens engagés dans la collaboration furent minoritaires, la masse du pays milita activement dans la Résistance.

Source : Michel Mourre Dictionnaire d’histoire universelle – Jean-Pierre Delarge - Bordas

 

3) Le tournant de la guerre

Les États-Unis

     Jusqu’en 1938, les tâches du redressement économique (New Deal) et la persistance d’un puissant courant isolationniste dans l’opinion américaine réduisaient considérablement la marge de manœuvre du Président des États-Unis d’Amérique, le démocrate Franklin D. Roosevelt (de 1933 à 1945), en politique étrangère. Bien qu’il eût dénoncé la menace que représentaient les régimes totalitaires dans le discours de Chicago du 5 octobre 1937, le Président ne put obtenir qu’en octobre 1939 le vote par le Sénat de la loi Cash and Carry, qui permettait de fournir des armes américaines aux deux puissances maritimes, la France et la Grande-Bretagne.

     Lors de l’effondrement français de juin 1940, il ne put répondre à l’appel qui fut lancé in extremis par Paul Raynaud. Il fit cependant adopter par le Congrès un programme de réarmement et la conscription de tous les hommes entre vingt et un à trente-cinq ans.

       Roosevelt, réélu à la Présidence pour la troisième fois en novembre 1940, plaida l’obligation pour les États-Unis d’aider les nations en lutte pour la démocratie. Le 11 mars 1941, il obtint la loi prêts-bails qui fit de l’Amérique l’arsenal de tous les ennemis de l’Axe. Il établit avec Churchill la Chartre de l’Atlantique en août 1941 et fit bénéficier l’URSS de la loi prêts-bails.

            Le 7 décembre 1941, l’attaque japonaise contre Pearl Harbor décida de l’entrée en guerre du peuple américain contre le Japon, le 8 décembre, puis contre l’Allemagne et l’Italie, le 11 décembre.

            Le front Russe

     L’attaque hitlérienne du 22 juin 1941 surprit l’URSS qui connut d’abord de terribles revers. Au cours des campagnes 1941-42, les Allemands conquirent les pays Baltes, la Biélorussie, l’Ukraine, la Crimée, la région industrielle du Donbass, une partie des bassins pétrolifères du Caucase. Ils atteignirent au nord Leningrad qui fut encerclée, au sud, la boucle de la Volga. Cependant au cours de l’hiver 1941-42, ils furent repoussés devant Moscou.

     Les dirigeants hitlériens considéraient indistinctement les Slaves comme une race inférieure, et leur politique d’exploitation systématique et de terreur contribua à rallier le peuple tout entier autour de Staline qui donna à la guerre une tournure plus patriotique que révolutionnaire. La propagande exaltait les héros et les grands chefs de guerre du passé et n’hésitait pas à mettre une sourdine au mouvement des « Sans-Dieu », afin de mobiliser même la religion.

     Grâce à son étatisation, l’industrie soviétique repliée en Oural et en Sibérie se convertit rapidement vers la production de guerre. Parallèlement, les États-Unis et l’Angleterre firent parvenir du matériel via l’Iran qui était occupé depuis juillet 1941 par les Anglais et les Soviétiques. Un traité anglo-soviétique d’assistance mutuelle avait été signé en juillet 1941 et sa durée allongée  à vingt ans en mai 1942 D’autre part, le Président Roosevelt étendit la loi prêts-bails à l’URSS. Le peuple soviétique se ressaisit et se mit à lutter avec acharnement, soit au front, soit dans les unités de partisans, à l’arrière par l’intensification de la production des usines. La défense victorieuse de Stalingrad de septembre 1942 à mars 1943, fut le tournant décisif de la guerre.

Source : Michel Mourre Dictionnaire d’histoire universelle – Jean-Pierre Delarge - Bordas

 

20 septembre 2012

John STEINBECK (1902~1968) – La Perle ; The Pearl (1945)

John STEINBECK (1902~1968) – La Perle ; The Pearl (1945)

Traduction de l’anglais par René VAVASSEUR et Marcel DUHAMEL (1)

     Au centre de ce roman, est une perle, une perle magnifique, énorme, la plus grosse perle du Monde. Un Indien, Kino l’avait trouvée dans le golfe de Californie. Le prix qu’il pourrait tirer de sa vente permettait maintenant à ce pauvre pêcheur de perles de formuler à haute voix ses rêves les plus fous, de faire le bonheur de sa femme Joana et de son bébé Coyotito. Il pourrait enfin savoir ce qui était écrit dans les livres, car son fils irait à l’école. Mais la perle merveilleuse est aussi une malédiction pour le propriétaire d’un tel trésor. Source d’envie, de jalousie, de cupidité, Kino est devenu l’ennemi à anéantir de toute une société.

     Ce court roman, servi par un style sans fioriture, direct, une écriture fluide, est accessible à tous. Les descriptions fabuleuses abondamment détaillées des différentes phases de l’histoire dynamisent le récit. Le cadre serein et poétique de la grève, contrasté des quartiers de la ville, aride et abrupte de l’arrière pays, renforce les impressions de paix ou d’hostilité et de danger ressenties par le héros. La lumière diffuse des brumes matinales sur la baie de La Paz crée une ambiance fantastique. Les variations symphoniques, selon la teneur des chants traditionnels intérieurs de Kino et de Joana, enrichissent l’évocation dramaturgique, dont le suspens est maintenu jusqu’au dénouement.

 

JohnSteinbeck_crop

   John STEINBECK écrit dans sa préface : « Si cette histoire est une parabole, peut-être chacun en tirera-t-il sa propre morale et y découvrira-t-il le sens de sa propre vie. »

     S’il laisse le lecteur libre de choisir la morale à tirer de la tragédie vécue par Kino, la formule de la fable permet àl’auteur-conteur d’orienter celui-ci vers sa vision de la société et la nature humaine. Le point de vue de John STEINBECK est terriblement pessimiste : il souligne les perversions de l’une et les noirceurs de l’autre.

     John STEINBECK a reçu Le prix Pulitzer en 1942 et le Prix Nobel de Littérature pour l’ensemble de son œuvre en 1962.

1) Georges DUHAMEL (1884~1966) est un écrivain français. Il fut membre du groupe de l’Abbaye, Il participa comme médecin à la Première Guerre mondiale. Il fut auteur de poésie, de théâtre, de nouvelles, de nombreux romans, de mémoires et fut critique littéraire au Mercure de France, chroniqueur littéraire à Candide, au Figaro.

Georges DUHAMEL était membre de l’Académie de Médecine (1937). Il est entré en 1944 à l’Académie des Sciences morales et politiques et fut Président de l’Alliance française de 1937 à 1940.

Élu à l’Académie française en 1936, il en fut Secrétaire perpétuel de 1944 à 1946.

Il était Grand Croix de la Légion d’honneur.

Source de l'image :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:JohnSteinbeck_crop.JPG

 

6 septembre 2012

Lyonel TROUILLOT (1956) – La belle amour humaine (2011)

Lyonel TROUILLOT (1956) – La belle amour humaine (2011)

      À la recherche du passé d’un père trop tôt disparu, Anaïse vient séjourner quelques jours en Haïti. La jeune fille est accueillie par Thomas que son oncle a chargé de la conduire à Anse-à-Fôleur. Sept heures de voyage les séparent de leur destination, un petit village de pêcheurs au nord-est de l’île, où enfant et adolescent, le père d’Anaïse passait les vacances d’été avec ses parents et son parrain.

     Dès le départ, Thomas se lance dans un long monologue. Plusieurs thèmes s’enchevêtrent dans ses propos : une vision lucide, réaliste et réservée à la fois, de la vie en Haïti et du rapport de son pays au monde ; un catalogue humoristique et caricatural des touristes en visite ou en séjour dans l’île ; une enquête criminelle non élucidée sur la disparition dans un incendie de deux personnages emblématiques des fléaux qui ont touché la société haïtienne ; une réflexion sur le sens de l’existence, la solidarité et la convivialité au sein du village.

     Anaïse sera bien reçue à Anse-à-Fôleur, le mieux qu’il est possible dans un village privé des éléments du confort moderne, prévient son chauffeur. N’est-elle pas un peu une des leurs ? Comme le petit monsieur de la capitale venu enquêter dans ce trou perdu, vingt ans plus tôt, il lui faudra  renoncer à apprendre ce qui s’est passé la nuit de l’embrasement qui a détruit les Belles Jumelles, causant la mort de leurs propriétaires, deux crapules, deux prédateurs que rien n’arrêtait. Les victimes : Pierre André Pierre, une brute despotique, démoniaque, d’une cruauté sans bornes pour faire plier autrui à ses exigences ; son ami, le machiavélique homme d’affaires véreux, Robert Montès,  grand-père d’Anaïse. Au village,  personne n’a rien vu ni entendu cette nuit là. « Laissez les choses à leur mystère ». « Voilà ce qu’ils te diront ».

     Anaïse logera chez l’oncle de Thomas, le célèbre portraitiste Frantz Jacob. Devenu aveugle, lui, qui avait toujours vécu dans le bruit et l’agitation de la capitale, goûte le calme et le dénuement du village, méditant face à l’océan tout en s’entretenant peinture avec Solène. Le vieil homme  est à l’agonie. Peut être sera-t-il déjà mort quand ils arriveront ? Elle verra. Il lui faudra aussi rencontrer Justin, le législateur autodidacte.

     Paradoxalement, par son écoute, la jeune fille, quoique silencieuse, est une interlocutrice active. Thomas parle, s’arrête, s’assure qu’elle prête toujours l’oreille, poursuit son discours, la teste. Ses propositions de modifications d’itinéraires n’ont pas d’écho, il reprend la parole. La passagère somnole, il se tait. Les mots coulent à nouveau… « Au fait, je ne sais ni qui tu es ni ce que tu veux, Mais j’ai aimé faire la route avec toi. Seulement, au retour, c’est toi qui parleras. ».

     Les trois quarts du roman de cette première partie, ont pour titre « Anaïse ». Dans la deuxième partie intitulée « Thomas », la jeune fille parle enfin, Thomas écoute. Le contenu de son intervention révèle la sincérité de leur échange. Les coupures de l’écrit en chapitres plus ou moins courts, les fins de page vides de mots, une page tournée sur une autre entièrement vierge entre deux chapitres rendent crédible ce dialogue étrange entre les deux personnages. On imagine sans peine que pendant ces temps de silence, le conducteur a l’attention retenue par la conduite du véhicule sur une route accidentée, que dans la traversée d’un paysage monotone, il laisse vagabonder ses pensées et mûrit sa prochaine intervention.  

     Dans la troisième partie, « la belle amour humaine », la communication entre eux sera si profonde que les mots seront superflus. Anaïse, a trouvé sa place parmi les habitants d’Anse-à-Fôleur, participe à la fête rituelle du passage vers l’au-delà du vieux peintre. Sa place, elle la trouve aussi dans le tableau allégorique de « la belle amour humaine » de Frantz Jacob, de Solène et de Thomas.

*****

     Dans son entretien avec le journaliste de RFI, Pascal Paradou (1), Lyonel TROUILLOT confirme s’être inspiré du colonel tristement célèbre dans l’histoire haïtienne, Albert Pierre, ancien directeur de la police politique de la dictature de Jean-Claude Duvalier(2), et avoir assemblé les traits de quelques hommes d’affaires haïtiens bien réels  de la bourgeoisie mulâtre pour créer le personnage de Robert Montès.

     La situation du pays  est présentée du point de vue d’un Haïtien par la voix de Thomas vers Anaïse, venue d’un pays du nord. Un appel est lancé aux occidentaux : écoutez-nous ! Ne venez pas chez nous seulement pour assouvir vos fantasmes, réaliser vos rêves d’exotisme, jouir de nos plages paradisiaques et entretenir vos certitudes ! Imaginons ensemble les remèdes à la situation économique et sociale en Haïti. Gardez vos solutions en kit inadéquates !

     Un message d’espérance est adressé aux haïtiens eux-mêmes à travers la petite communauté d’Anse-à-Fôleur. Débarrassée de ses oppresseurs, celle-ci refuse le ressassement de ses malheurs, la quête de victimes expiatoires. Elle reste sourde aux chants séduisants des sirènes de l’exil, à l’attrait du superflu, aux artifices du factice. Isolée, oubliée, tournée vers le futur, elle prend en charge son destin, applique les préceptes de convivialité et d’entraide de « la belle amour humaine », concoctés par Justin, son législateur bénévole. Chacun a une place unique, est irremplaçable, respecte le sage, l’artiste, le vieillard, l’enfant. Une utopie ? Peut être !  Mais quel message d’espoir en l’humanité!

Notes :

1 – Pascal Paradou présente avec le concours de Pascal Pons, chaque jour « Culture Vive » sur RFI, un rendez-vous culturel sur l’activité artistique dans les capitales du monde et raconte la culture telle qu’elle se vit en France. Source : http://www.rfi.fr/emission/culture-vive

2 – La dictature de Jean-Claude Duvalier (né en 1951), dit Bébé-Doc, a duré de 1971 à 1986. Jean-Claude Duvalier avait succédé à la Présidence de la République haïtienne à la mort de son père surnommé « Papa-Doc.

2 août 2012

Carole MARTINEZ (1966) – Du Domaine des Murmures (2011)

Carole MARTINEZ (1966) – Du Domaine des Murmures (2011)

Carole Martinez 14 septembre 2012 5

 

     Le domaine des Murmures domine la falaise léchée par les eaux vertes de la Loue. Le château de Hautepierre, cerné sur trois côtés par quelques ruines de vieilles courtines de remparts caressées par le vent, se dresse encore de nos jours sur l’horizon noir des forêts. Un long chuchotement semble s’échapper des vieilles pierres de la tour seigneuriale. Sortant de huit siècles d’oubli, une voix domine ces murmures : Esclarmonde conte son histoire au visiteur.

   « Mon père, pourtant, était doux pour moi parmi les gens de guerre. Il s’opposait juste obstinément à m’envoyer là où Dieu me réclamait. Il me refusait le couvent qui m’aurait arrachée à lui plus sûrement qu’un mariage. »

   Son unique fille chérie épouserait Lothaire, le benjamin du seigneur de Montfaucon, son puissant voisin, ainsi en a décidé le seigneur de Hautepierre. Le galant venait faire sa cour à la demoiselle des Murmures tout auréolé de sa fougue, son habileté et ses victoires dans les tournois. Esclarmonde ne voyait en ce jeune chevalier qu’un être capricieux, violent, noceur, trousseur et violeur des filles des vilains et des serfs des environs.

   Ce jour de mai 1187, le tonnerre  avait grondé dans la vallée, les éclairs d’un orage sec avaient d’abord sillonné le ciel du royaume de Bourgogne, puis des trombes d’eau s’étaient abattues sur l’église  des Franches Montagnes où Thierry II « l’archevêque était venu en personne marier son neveu à la fille de l’un de ses vassaux ». Au grand scandale de tous, la jeune fille a dit « non », s’est tranché une oreille, a déclaré s’être offerte au Christ. « C’est alors qu’un agneau est entré dans l’église. […] Dans le silence qui s’est fait, son bêlement aigrelet est venu magnifier mon geste, sceller l’accord céleste, et nul n’a songé à me traiter d’hérétique 

   Suivant le vœu d’Esclarmonde, une chapelle dédiée à Sainte-Agnès fut construite dans la cour du château. La jeune fille, emmurée dans une cellule attenante, pouvait suivre la messe par l’hagioscope percé dans le mur de la chapelle dont elle apercevait l’autel. Une fenestrelle garnie de barreaux était désormais sa seule ouverture sur la vie terrestre.

   À l’aube de sa mort au monde, pensant que tous dormaient encore au château, Esclarmonde sortit discrètement du logis, contempla une dernière fois la Loue qui léchait la falaise et l’immense forêt au pied du domaine des Murmures... Son vœu de clôture perpétuelle prononcé solennellement, elle quitta le monde des vivants.

   Esclarmonde, qui croyait trouver la solitude, découvrit qu’elle n’était pas entrée seule dans sa cellule. De tout le royaume, on vit alors affluer des foules de pèlerins et pécheurs repentants venus confier leurs prières, chercher conseil auprès de la recluse qui leur imposait sa volonté. La rumeur colportait partout le récit de ses intercessions bénéfiques, voire ses interventions miraculeuses. Dans le noir du reclusoir, mortifiée par le jeûne et la soif, hors du temps, la jeune femme s’absorbait dans la prière, la méditation, l’adoration, des élans mystiques extatiques et la grâce de suivre les croisés en Terre-Sainte.

*****

   Du Domaine des Murmures est le deuxième roman de Carole MARTINEZ. L’auteur a tenté d’éviter le piège de la redite, après la réussite de son premier roman. En choisissant de situer le propos à une époque, pendant laquelle, miracles, maléfices, superstitions et légendes se conjuguaient au quotidien, où la misère, les famines, les épidémies, les guerres et la religion mettaient les vivants à proximité constante avec la mort et avec l’interprétation du sens de leur passage sur terre, Carole Martinez a pu mettre en œuvre ses capacités à jouer avec le fantastique, l’irrationnel, l’inattendu des situations.

   Des portraits féminins sont attachants : la vieille nourrice pleine de bon sens, sa sagesse, sa discrétion et sa clairvoyance contrebalance une Bérangère anticonformiste, sensuelle, complice, ingénieuse. Quant aux portraits d’hommes, ils ne sont guère reluisants : oppresseurs, violents, violeurs, possessifs, égoïstes, roublards. Lothaire ne devient fréquentable que dépourvu de sa virilité, versifiant sur son amour inaccompli et ses erreurs passées. Seul Pierre, le bâtisseur prétendant de Jehanne est épargné.

   Malgré le plaisir de la lecture et la bienveillance complice des lecteurs qui avaient tant apprécié l’originalité de son livre « Le Cœur cousu », le charme n’opère pas pleinement : comment donner du crédit à la profondeur de la foi d’Esclarmonde lancée dans des explications didactiques des mœurs de son époque et des considérations sur la société avec un regard du XXIe siècle occidental forcément réducteur ?

   Sortie de la nuit des temps, la voix de la narratrice semble mettre en garde les adolescentes contre l’égoïsme et le machisme de la gente masculine et les décisions irréversibles quant à l’orientation de leur avenir.

   En dépit des objections ci-dessus, la fluidité, la qualité d’écriture, la documentation, le suspens et le choix du propos sur une période méconnue hors du champ de l’édition actuelle, font Du Domaine des Murmures un roman de bonne facture qui ouvre des terrains de recherches pour qui s'intéresse à l'histoire.

   Du Domaine des Murmures a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens en 2011.

Lien vers le diaporama présentation du roman à Courtenay le 14 septembre 2012

Le cœur cousu (2007) de Carole MARTINEZ

Pour en savoir plus :

À propos de la tradition des recluses

http://www.reclusesmiss.org/rm_traditionr.php

http://fr.wikipedia.org/wiki/Reclusoir

http://www.mouzon.fr/Images/Produits/9BE928F2-5002-4b2d-9883-CE45A9259E4A.PDF

 

des hagioscopes :

figure 27 sur

http://www.cr-champagne-ardenne.fr/edifices_religieux_52/PA00079045.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Hagioscope

 

 à propos des Royaumes de Bourgogne

22 juillet 2012

Emmanuel CARRÈRE (1957) – Limonov (2011)

Emmanuel CARRÈRE (1957) – Limonov (2011)

   Si certains, poursuivis par la fatalité, subissent une destinée inéluctable, celui qui prendra le pseudonyme de Limonov, Édouard Veniamovitch Savenko, n’en fait pas partie. Fils d’officier vivant dans le quartier militaire de Kharkov, le garçon bercé par les chants patriotiques à la gloire d’une révolution chargée de promesses, l’enfant élevé dans le culte du Petit Père des Peuples, le gamin émerveillé par les récits des combats héroïques de valeureux officiers au prestige renforcé par les bottes luisantes, les boutons dorés, les poitrines de capote cuirassées de médailles, les épaules étoilées et les larges casquettes galonnées, le lecteur de Jules Verne et d’Alexandre Dumas ne pouvait ambitionner qu’un destin exceptionnel vers le sommet d’une carrière militaire, évidemment.

*

   Ambition contrariée à dix ans, à cause de sa myopie. Qu’à cela ne tienne ! Il sera bandit ! Avec les petites frappes d’un quartier pauvre de la banlieue de Kharkov, où la famille habite désormais au lendemain de la guerre, l’adolescent aguerri par les conceptions éducatives de sa mère, participe activement aux mauvais coups et aux bagarres entre bandes rivales. L’argent tiré du butin finance l’ivresse comateuse de cuites carabinées (zapoï). Leurs délits s’achèvent souvent en garde à vue. Malgré lui, la situation de son père le protège de la prison et de sanctions plus éprouvantes. L’emprisonnement d’un camarade et l’entrée à l’usine de pistons de son copain obligé de se marier après qu’il a mis enceinte sa petite amie, disloque la bande de voyous.

*

   Changement de cap : son ami Kostia l’entraîne à la librairie 41 où le milieu bohème de Kharkov se retrouve autour de la grosse Anna, l’égérie du lieu, qui deviendra sa maîtresse. Le groupe recopie, échange et fait circuler, sous le manteau, les écrits interdits. Il découvre Anna Akhmatova, Marina Tsvetaieva et Joseph Brodsky, le futur lauréat du Prix Nobel de littérature 1986. Le voilà poète ! Ses amis, surpris par le non-conformisme et la qualité de ses poèmes l’encouragent. Mais bientôt, Édouard Savenko s’ennuie, il estime qu’il n’y a plus rien à apprendre auprès d’eux. Pour être connu, il faut aller à Moscou.

*

   N’ayant pu obtenir l’indispensable propiska (1), c’est en clandestins qu’ et Anna se rendront et vivront sept ans à Moscou, toujours à la merci d’un contrôle. Chargés de quelques vêtements, de la machine à écrire et de la machine à coudre dont Édouard se sert à confectionner les pantalons qui leur permettent la survie, ils mènent une vie de bohème, déménagent souvent, louant de petites chambres en périphérie. Ils fréquentent le milieu intellectuel non reconnu par le régime, où les poèmes d’Édouard rencontrent un certain succès. Mais Anna perd la raison. Quand Limonov est expulsé d’Union soviétique, c’est accompagné d’Elena, sa jeune et ravissante épouse qu’il émigre en Amérique.

*

   En 1974, la découverte du monde occidental est un enchantement pour ces jeunes soviétiques. Tout les étonne et les émerveille. En dissidents « qui ont choisi la liberté », ils sont acclamés. Édouard entre un temps à la rédaction d’un quotidien d’émigrés russes, commence à écrire des romans, tente vainement de placer des articles dans des journaux new-yorkais renommés. Le couple mène une vie de misère : la maigre pension versée par les services d’immigration suffit à peine à le loger dans un hôtel miteux. Le rêve de mannequinat d’Elena a son revers sordide. La jeune femme s’absente de plus en plus souvent. Les disputes, les manifestations d’amour charnel effrénées, les concessions d’Édouard, les retrouvailles copieusement arrosées ne parviennent pas à la retenir. Déprimé, Limonov commet des larcins, traîne dans les bas-fonds de la ville avec les sans-abris, connaît avec eux des relations homosexuelles qu’il racontera dans Le poète russe préfère les grand nègres. Puis il rentre au service d’un millionnaire. Il tirera de ses expériences américaines deux ouvrages autobiographiques, Journal de son serviteur et Journal d’un raté. Son cynisme et sa violence choquent les éditeurs américains, même les plus ouverts. L’éditeur français sulfureux Jean-Jacques Pauvert propose de l’éditer en France.

*

       En 1982, il s’installe à Paris avec sa machine à écrire et sa nouvelle compagne Natalia Medvedeva, chanteuse de rock alternatif (2). Il collabore au journal communiste L’Humanité, au journal nationaliste Le choc du mois et au journal pamphlétaire L’Idiot international de Jean-Édern Hallier. Le dandy fasciste et bolchevique est la coqueluche de la coterie intellectuelle « branchée » de Saint-Germain-des-Prés. La chute du mur de Berlin le sidère. Il s’en prend à l’image libérale de Gorbatchev que les politiques et les intellectuels occidentaux  répandent dans les médias. Il accuse les États-Unis de le manipuler à leur profit.

*

     La frénésie éditoriale qui accompagnait la perestroïka(3), proposait aux lecteurs soviétiques une profusion de traductions d’ouvrages d’auteurs occidentaux et s’intéressait à la production des écrivains émigrés. C’est ainsi qu’Édouard Limonov qui venait d’achever un livre qui portait sur son enfance, fut invité à Moscou en décembre 1989, pour la présentation de La grande Époque. Ce fut aussi l’occasion, après vingt ans d’absence de revoir ses parents à Kharkov.

 *

   Presque deux ans plus tard, ses amis journalistes, écrivains, cinéastes français soutenaient les peuples des états de l’ex-Yougoslavie qui revendiquaient leur indépendance. Indignés, ceux-ci découvrirent qu’il était aussi sur le terrain, mais … dans le camp d’en face. Il avait même prêté son concours au réalisateur d’un documentaire produit par la BBC. Le film passa à la télévision française. Sur les hauteurs de Sarajevo, dans les grondements des mortiers serbes, on l’y voyait interviewer Radovan Karadžić. Un autre plan le montrait, encouragé par un artilleur, vidant le magasin d’une mitrailleuse en direction de la ville assiégée. Cette scène était suivie par, ce qui semblait à première vue, un contre-champ dans lequel des passants tombaient sous les tirs (4). Édouard Limonov n’est plus fréquentable et n’est plus éditable en France. Ceux qui le connaissaient en Occident l’oublient. Les autres ne perdent rien, ils n’en ont jamais entendu parler.

*

   Après Vukovar et Sarajevo, Limonov partage son temps entre des séjours dans les Balkans, en Russie où il se rapproche des nostalgiques de l’Empire soviétique et des tenants de théories nationalistes fumeuses, encourage les combats contre les Roumains pour une Transnistrie russe.

*

   Avec Alexandre Douguine (1962), il soutient la rébellion de la Douma contre sa dissolution illégale par le Président Elsine, pour son opposition à la poursuite des réformes, en octobre 1993. Limonov, candidat aux  élections de la nouvelle Douma, bat la campagne, essuie un échec humiliant, rentre à Paris, retourne faire un petit tour dans les Balkans avant de revenir définitivement en Russie en 1994, où ses livres sont connus maintenant.

*

    Il fonde avec Douguine le Parti national-bolchevique et crée le journal Limonka (la grenade) qu’il compose dans une espèce de salle polyvalente d’un sous-sol insalubre, le bunker, ouvert à tous les nasbol (les jeunes militants du parti). Des jeunes en veine de marginalité, des délinquants, des artistes, y venaient dormir, faire la fête, discuter, préparer leurs manifestations. Tous étaient séduits et sidérés, précise Emmanuel CARRÈRE, par la nouveauté de « cette maquette criarde, ces dessins dégueulasses, ces titres provocateurs. [...], il était moins question dans Limonka de politique que de rock, de littérature et surtout de style. »  Le style punk (5), ajoute-t-il.

*

   La vie privée d’Édouard est compliquée : Natalia est atteinte de nymphomanie. Insatiable, elle fugue parfois plusieurs semaines jusqu’à l’épuisement. Son ami la récupère abattue, dépressive dans les endroits les plus répugnants. Sa santé allant se détériorant, la jeune femme le quittera définitivement et mettra plus tard fin à ses jours. En 1996, au moment des élections présidentielles, Natacha vient de le quitter, Édouard est effondré. Tous pensent qu’il déraille, ses consignes sont incohérentes. Il doit être protégé par des nasbol lors de ses déplacements, après avoir été agressé dans la rue.

*

   Nouveau changement de cap, il s’agit de faire une tournée au Kazakhstan, au Turkménistan, au Tadjikistan et en Ouzbékistan afin d’attiser, avec les nasbol, des foyers d’insurrection auprès des Russes débris de l’Union soviétiques, afin de favoriser la création de républiques séparatistes, dans les territoires abandonnés par Gorbatchev. À défaut d’y réussir, il sera séduit par ces peuples farouches.

*

   L’air de Moscou devient malsain pour les idéalistes qui se mêlent de politique avec l’arrivée de Poutine au pouvoir. En cette fin d’été 2000, le regard de Limonov se porte sur les possibilités de déstabiliser le Kazakhstan. Il combine un voyage d’études sur place avec l’installation d’un stage de survie pour quelques nasbol qui passeront l’hiver dans les montagnes voisines de l’Altaï. Il est impressionné par la personnalité de Zolotarev, leur guide. À son retour, le printemps venu, il s’y fait cueillir par le FSB (5), avec le petit groupe de nasbol et leurs deux fusils de chasse.

*

   Limonov est soumis à un isolement rigoureux durant quinze mois à Lefortovo où l’on met les plus dangereux ennemis de l’État. Au moment de son procès, il est transféré à Saratov, plus proche du Kazakhstan. Là, sept ou huit prisonniers de droit commun condamnés à de lourdes peines sont entassés dans des cellules prévues pour quatre. Puis condamné à 14 ans de prison, il se retrouve à la colonie pénitentiaire de Engels où il s’astreint à des tâches mentales afin d’échapper à la rêverie engendrée par les occupations répétitives fastidieuses et absurdes qui annihilent. L’épreuve cessera deux ans plus tard en raison de la pression du Pen club international (7).  Sur l’expérience de cette période, il écrira quatre livres.

******

   À Moscou, en décembre 2009, lors de la préparation de son reportage, Emmanuel CARRÉRE s’est trouvé face à un écrivain reconnu dans son pays, « un guérillero mondain, bon client pour la presse people », depuis son alliance avec Kasparov, un opposant politique fréquentable. L’opposant viscéral a créé un nouveau mouvement, Stratégie 31, en référence à l’article 31 de la Constitution qui garantit le droit de manifester. Avec quelques dizaines de manifestants, il passe régulièrement quelques jours en prison suite aux arrestations qui marquent invariablement ses réunions avec d’une centaine de ses adeptes, tous les 31 du mois, sur la place Triomphalnaïa. Il écrit des articles pour des magazines people, et publie toujours des recueils de poésie et des livres à tirages confidentiels. Limonov est père de deux enfants qu’il a eu avec une actrice qui l’a quitté, a des maîtresses de plus en plus jeunes. Il est toujours subjugué par l’Asie centrale. Rien de bien folichon en somme !

*

   Emmanuel CARRÈRE cumule, dans son livre Limonov, une biographie romancée consacrée à un personnage dont les livres fournissent la plupart des éléments à la disposition des biographes ; les témoignages ou les avis de quelques personnes qui l’ont approché ou l’ont fréquenté à un moment de ses tribulations ; des entretiens avec son héros qu’il a suivi trois semaines à Moscou pour une enquête de journalisme. Parallèlement, l’auteur développe tout au long de l’ouvrage, le contexte politique, culturel, économique, social et l’état de l’opinion des époques concernées. À tous ces éléments, il mêle des considérations personnelles et confronte des faits avec son propre parcours. Ces aspects hétéroclites de l’ouvrage d’Emmanuel CARRÈRE en font un livre inclassable.

*

   Les personnes, qui ont eu l’occasion d’être en immersion quelques temps au cours de séjours en Russie après la chute du mur de Berlin, disent que Limonov est le prototype du Russe moyen amateur d’alcools forts, de vodka et de poésie, qui évoque l’ancien régime communiste et Staline avec nostalgie et décrit Gorbatchev se laissant manipuler par l’Occident, auquel une l’oligarchie cupide et sans scrupule s’est ralliée.

*  

   Le style et la construction du livre, réussissent à maintenir l’attention des lecteurs sur le personnage douteux qu’est Limonov. L’auteur, descendant d’une famille d’aristocrates russes ruinés par la Révolution bolchevique, élevé dans un milieu intellectuel bourgeois, révèle une fascination pour la canaille et le provocateur, utilise avec complaisance un langage cru et ordurier de caïd de la pègre, même s’il dénonce les dérives, l’orgueil démesuré, l’égocentrisme et l’ambiguïté de son héros. Le livre d’Emmanuel CARRÈRE paru chez P.O.L. a été récompensé par le Prix Renaudot en 2011.

******

Notes :

1 La propiska  est le statut administratif que le citoyen russe acquiert lorsqu’il enregistre son lieu de résidence. Cette inscription dûment tamponnée dans son passeport intérieur est l’unique clé à une existence bureaucratique et aux droits qu’elle procure. Source : http://www.suissesolidaire.org/fr/main/la_propiska

 2 Le rock alternatif

http://fr.wikipedia.org/wiki/Rock_alternatif

 3 la perestroïka, en russesignifie la reconstruction, la restructuration, c’est le nom donné à la réorganisation du système économique et social et à la modification des mentalités dans un but d’efficacité et de meilleure circulation de l’information  menées par Mikhaïl Gorbatchev en URSS d’avril 1985 à décembre 1991.

 4  On peut voir cet extrait sur Youtube : 1992 Édouard Limonov à Sarajevo

http://www.youtube.com/watch?v=tH_v6aL1D84

5 Le style punk: http://fr.wikipedia.org/wiki/Mode_punk

 6 Le FSB russe est le service fédéral de sécurité de Russie ( Federalnaïa sloujba bezopasnosti Rossiyskoï Federatsii) est un service secret de la Russie chargé des affaires de sécurité intérieures. Le FSB est le principal successeur du KGB, dissout en novembre 1991, après le pursch de Moscou. Le siège du FSB est situé dans la Loubianska, à Moscou.

7 Pen club international: http://www.penclub.fr/spip.php?rubrique17

Autre vidéo sur Limonov

21/11/2011 Édouard Limonov candidat à la présidentielle

http://www.youtube.com/watch?v=XmpH9kDbCLY

 

Publicité
Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>
Publicité