Dominique FERNANDEZ (1929) - Porporino ou Les Mystères de Naples (1974)
Dominique
FERNANDEZ (1929)
Porporino ou Les
Mystères de Naples (1974)
Le comte de S..., propriétaire du château en amont
du Neckar, confie un manuscrit de la fin du XVIIe siècle à un éditeur français
de passage à Heidelberg. Son ancêtre avait entretenu une « chapelle » selon la coutume de
cette époque en Allemagne. Ce sont des Mémoires d’un des derniers castrats
napolitains mort très âgé à la cour de cet ancêtre. Le texte est consigné dans
trois gros cahiers constituant autant de parties du récit.
La première
partie, San
Donato, est consacrée à l’enfance de Vincenzo Del Prato dans ce petit
village de Calabre. Les habitants y vivent misérablement du fruit de la culture
d’une terre ingrate, sous l’autorité des intendants du propriétaire de la région,
le prince de Sansevero.
Une menace imprécise pèse sur Vincenzo, perçue par
diverses observations, des propos saisis dont il être l’objet, l’embarras de
son père, son agressivité envers lui. [Finalement,
il se déchargeait sur moi du poids qui l’oppressait. Il ne se contentait plus
de me dire : « Bon à rien ! » en me rudoyant au hasard avec
les premiers mots qui lui venaient à l’esprit. « Tu ne seras jamais bon à rien ! » s’écriait-il maintenant, et
le froncement prolongé de ses sourcils, la lenteur avec laquelle il détachait
ses paroles, comme s’il prenait le temps de les choisir et de les peser
mûrement, le soin qu’il mettait pour les articuler, la brièveté cinglante du
dernier mot qui tombait comme le verdict après une délibération, toutes ces
circonstances transformaient une injure machinale à laquelle j’étais depuis
longtemps habitué, en une sinistre prophétie qui me remplissait d’épouvante.]
Les plaidoiries de don Sallusto et la promesse de beaucoup d’argent feront
céder le père de l’enfant qui a la plus belle voix du village et sera placé sous
la protection du prince.
Don Sallusto se plait à visiter ses paroissiens en
compagnie du jeune garçon qui s’imprègne ainsi de la pauvreté des paysans du
Mezzogiorno de leurs coutumes archaïques souvent surprenantes. L’auteur du
manuscrit se remémore ses premiers émois amoureux avec Luisilla son amie
d’enfance.
La deuxième
partie a pour titre Les Pauvres de Jésus-Christ. Porporino - C’est le nom que s’est choisi Vincenzo après sa castration - évoque l’adolescence « différente » des jeunes castrats de
l’école napolitaine instruits chez Les
Pauvres de Jésus-Christ, leur quotidien, leurs études générales et
musicales, leurs servitudes, les sorties gourmandes à la pâtisserie Startuffo, l’amitié admirative et amoureuse
avec Feliciano, jeune prodige au physique angélique promis à un brillant
avenir. Il raconte sa vie dans le palais du prince de Sansevero (1710~1771),
personnage exceptionnel alchimiste, inventeur génial autant qu’original, érudit,
franc-maçon. Fasciné par la voix des castrats, celui-ci conçoit l’émasculation
comme un maintien de l’indifférenciation des sexes originelle et un défit au
vieillissement imposé par la nature.
Porporino
raconte la ville, ses ruelles, ses palais. Il fait revivre la cité napolitaine
rivale des autres capitales européennes autour des princes mécènes de cet âge
baroque et leurs intrigues de cour. Il fréquente les amateurs d’art et les
esprits éclairés dans les salons de la haute société où se tiennent des échanges
sur les artistes, les compositeurs, les querelles musicales. Il y croise
Casanova (1725~1798) entre deux aventures, la superbe lady Hamilton (1765~1815),
le baron de Breteuil (1730~1807) ambassadeur de Louis XV, le franc-maçon
nationaliste Antonio Perocades, le jeune Mozart (1758~1791) et la belle
intrigante Sarah Goudar. Tous ces personnages ayant réellement existé donnent
de la vraisemblance à cette autobiographie fictive.
La troisième
partie, Naples,
vit sous le règne des Bourbons
d’Espagne depuis 1735. Le jeune roi Ferdinand IV (1751~1816), époux de
Marie-Caroline gouverne en despote. La cité est partagée entre les influences
italiennes et espagnoles. L’esprit rationaliste des Lumières se heurte aux
traditions héritées du passé antique et baroque. L’art lyrique est en mutation :
les goûts du public évoluent sous l’impulsion de Scarlatti (1660~1725), de
Métastase (1698~1782) et Pergolèse (1710~1736). « L’opera seria », spécialité napolitaine qui traite de sujets mythiques en utilisant
des voix de sopranos et l’aigu des castrats affublés de costumes extravagants, des
effets de mises en scènes avec des machineries compliquées, cohabite maintenant
avec « l’opera buffa »
traitant de sujets comiques avec des personnages évoluant dans des situations
quotidiennes, s’exprimant dans les dialectes locaux et excluant les castrats au
profit de voix de basse.
Porporino est témoin impuissant de l’amour sans
espoir du comte Manuele Carafo pour son ami Feliciano qui fait ses débuts dans
le rôle d’Achille au San Carlo dans la reprise du drame de Métastase Achille à Scyro. C’est le prétexte pour Dominique Fernandez d’une
reconstitution grotesque et imagée de l’ambiance d’une représentation lyrique
napolitaine. Don Raimondo de Sansevero conçoit la décoration et l’aménagement
de la chapelle de son palais et entreprend des expériences de plus en plus
audacieuses. Horrifié, Porporino constate que son protecteur s’enfonce dans la
folie jusqu’à ce que...
Dominique FERNANDEZ analyse en profondeur le
problème psychologique des castrats. Porporino, par la blessure sexuelle qui
lui a été infligée est entré dans la marginalité. La société n’aime pas les
marginaux qui, par leur existence même, représentent la contestation de l’ordre
établi, de la norme. Porporino en souffre, mais il en jouit aussi. N’appartenant
à aucun sexe, tout en ayant une attitude soumise, les castrats se sentent
libres et portent un regard critique sur la société qui les a éloignés de la
vie normale. Porporino et Feliciano sont vus comme marginaux à la fois rejetés
comme « différents », mais
intriguent les gens « normaux ».
D’aucuns leur prêtent certains pouvoirs occultes. Leur androgynéité
éveille chez d’autres une attirance sexuelle (Don Manuele, Sarah Goudar). Leur
voix et leur talent font pâmer les foules de l’époque.
Le thème de l’homosexualité est effleuré
discrètement. Ce n’est pas vraiment l’objet du livre.
Amoureux du sud de l’Italie, et particulièrement de
Naples, Dominique FERNANDEZ nous plonge dans cette époque fastueuse que fut le XVIIIe siècle pour
Naples qu’il fait revivre magistralement.
Le roman de Dominique FERNANDEZ a obtenu le Prix Médicis en 1974.
Pour en savoir plus vous trouverez dans ce blog le résultat de mes recherches sur :
LE
ROYAUME DE NAPLES AU XVIIIe SIÈCLE :
LES
CASTRATS:
et un message que j'ai trouvé sur ce site à propos du prince de Sansevero :