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6 novembre 2011

Mustapha TLILI (1937) Un Après-midi dans le désert (2008)

Mustapha TLILI (1937) - Un Après-midi dans le désert (2008)

     Le vieil autocar poussif qui dessert, depuis la capitale lointaine, chaque semaine en principe, le village de La Montagne du Lion, apporte dans ses soutes le gros sac gris du courrier. C’est aujourd’hui qu’arrivent les nouvelles et les mandats de fin de mois adressés par les enfants exilés à leurs vieux parents restés au pays. Sam, le facteur, a devant lui tout cet après-midi caniculaire de juillet 1992 pour préparer, dans la pénombre du bureau de poste, la tournée qu’il n’entamera qu’à la fraîcheur du soir. Parmi toutes ces lettres, une d’elles lui est adressée, à lui, Sam. Une lettre de « Petit-Frère », son ami d’enfance, le fils cadet d’Horïa El-Gharib, « Tête Brûlée » que tous croyaient disparu ! Sam a tout de suite reconnu sa petite écriture fine, appliquée, sous le timbre pakistanais. Il n’est pas pressé d’ouvrir l’enveloppe qui protège « la vérité », un message attendu, mais dont il redoute les révélations.

     Grillant cigarette sur cigarette, Sam se remémore l’amitié qui le liait autrefois à « Petit-Frère ».  Il a tant changé depuis. Ne lui a-t-il pas tenu des propos blasphématoires lors de sa dernière visite ? Et que penser de son comportement envers lui, son ami, cette nuit-là en traversant le cimetière ! Et voilà que pour tous, lui, l’apostat, est devenu « Tête-Brûlée », combattant l’Occident par le monde, au service des causes extrémistes !

     Sam laisse défiler dans l’atmosphère sombre et enfumée du bureau de poste les péripéties des quinze années qui ont précédé le départ des Français, et les grands évènements qui ont bouleversé le village les trois décennies suivantes.

     Au pied des Montagnes Bleues, village désolé, tantôt proie d’une chaleur d’enfer, de la sécheresse de la steppe et de la poussière du Sahara, tantôt ravagé par les éléments déchaînés, abandonné de tous, perdu à la lisière du désert, la Montagne du Lion a bien changé aussi ! Les riches jardins, les arbres ployant sous les fruits, les fleurs exubérantes, la végétation luxuriante ont dépéri depuis que la petite rivière a été détournée. Les aléas climatiques, les errements économiques, politiques et maintenant la menace islamiste, ont eu raison du village de son enfance, du temps des Français, avant la catastrophe. Les squelettes secs des magnifiques peupliers du quartier européen de La Source en restent les seuls témoins.

     En ce temps là, dès l’heure de l’apéritif, la clientèle des habitués se présentait à l’Hôtel des Peupliers tenu d’une main de fer par Mathilde, la veuve Garnier. Le jeune Bédouin rescapé de l’enfer du désert, Hafnawi, promu gigolo de la patronne servait au bar cochant scrupuleusement sur une ardoise les consommations des légionnaires. Souvent ces derniers ne rentraient à leur base qu’au lever du jour. Une partie importante de la vie sociale des expatriés français, des fonctionnaires pour la plupart, se déroulait dans la grande salle du bar et sous la véranda.

     Perplexes, les autochtones, employés, domestiques, observaient avec un intérêt discret l’évolution des amours, des tensions, des jalousies, des espoirs, des déceptions des habitants de La Source. Le narrateur nous rapporte les confidences d’Hafnawi sur cette époque d’avant la grande catastrophe. Témoin d’abord muet, le Bédouin prendra place petit à petit dans le microcosme des initiés jusqu’à en devenir un élément privilégié avec l’irruption dans la vie du groupe de la nouvelle épouse de l’instituteur Monsieur Bermann, Ursula.

 *****

     Sous couvert d’un roman anodin d’amour et d’adultère, le récit de Mustapha TLILI est une chronique subtile de cinquante ans d’un village qu’on peut imaginer se situer dans le sud-est algérien.

    Une succession de cultures ont tenté de s’imposer en Algérie depuis l’origine des temps. Horïa El-Gharib, descendante de savants-guerriers venus d’Andalousie, le sait bien elle, qui a hérité de riches manuscrits de ses ancêtres fondateurs de La Montagne du Lion.

      Les habitants de l’Algérie française se concentrent en communautés bien distinctes. Les Européens vivent à La Source. Les Indigènes habitent le village ancien au-delà des cimetières.

 « ...il y avait à l’époque, à la Montagne du Lion, trois centres de pouvoir : la poste et monsieur Ménard, la gendarmerie et Monsieur Faure, l’hôtel des Peupliers et la « veuve Garnier » ; il y avait aussi, mais à part, la mosquée et l’imam Sadek. »

    Les groupes ne sont pas complètement étanches : les gens de la Montagne descendent des douars et les  bédouins nomades du désert échangent leurs produits au marché hebdomadaire et animent les grandes fêtes régulières où les Françaises achètent de magnifiques bijoux artisanaux et de superbes tenues traditionnelles bédouines. Le personnel de l’exploitation apprécie l’humanité du colonel Garnier le propriétaire pied-noir et se réjouit de son retour des camps nazis. Mathilde et le régisseur corses sont au contraire les modèles des abus tyranniques de certains colons. La vigilance et la sagesse du vieux Mokthar en font le médiateur entre les employés et la patronne de l’Hôtel des Peupliers. Ses interventions prudentes calmeront les angoisses et les fureurs de Mathilde dans sa relation avec le jeune Bédouin. Des élèves indigènes, les fils d’Horïa, sérieusement préparés par l’instituteur, Monsieur Bermann, ont été reçus premiers au concours d’entrée en sixième, ce qui lui vaut la confiance et le respect de toute leur communauté.

     La société des expatriés français n’a pas plus d’unité. Du brouhaha des conversations entremêlées émergent des bribes d’entretiens, des réflexions inquiètes ou critiques sur la politique de Mendès, un juif comme Bermann, qu’on n’aime guère semble-t-il. Pour ce dernier, Hafwani n’est qu’«un indigène aux origines pittoresques».  Certains comme Monsieur Ménard, le receveur des postes et Monsieur Faure, le chef de la gendarmerie, apprécient la culture ancestrale, la richesse morale d’Horïa, le courage et la ténacité de  Sââd, le Nubien mutilé dans les combats de Monte Cassino ainsi que la sagesse de Mokhtar avec lesquels ils aiment s’entretenir. Lucides, ces deux hommes perçoivent la fin inéluctable de la présence française. Ils imaginent que ces gens de valeur auront une place majeure dans la construction de leur nation. Hélas, l’Histoire évoluera différemment !

     Depuis l’Indépendance de l’Algérie, un discours manichéen exclusivement négatif est répandu sur la période coloniale française. Autant cette dépréciation est compréhensible en Algérie où les jeunes pouvoirs successifs ont eu besoin de trouver une assise, autant surprennent, le dénigrement systématique de cette époque de l’histoire de France et la « repentance » globale affichés par les instances politiques et relayés auprès du public par les milieux intellectuels et médiatiques français. Cette attitude « officielle » couvre-t-elle, sous cette simplification extrême, une complicité tacite pour les uns qu’éclairera dans encore nombre d’années, l’ouverture de dossiers classés secrets¹ ou pour les autres une ignorance de la complexité des faits et de la société algérienne aussi bien européenne qu’autochtone de la fin de la Seconde Guerre Mondiale à l’Indépendance du pays? Mustapha TLILI a le mérite de nous présenter ce passé avec plus de distance et de sérénité.

*****

 L’AUTEUR :

     Mustapha TLILI est né en Tunisie  en 1937. Il est parti très tôt à l’étranger après ses études secondaires. Sa carrière professionnelle s’est déroulée entre Paris et New York où il était fonctionnaire aux Nations Unies. Il est  chercheur à l’Université de New York et fondateur du Centre pour le Dialogue de l’Université de New York. 

 

    Sa carrière littéraire a commencé avec la parution en 1975 de La Rage aux tripes puis s’est poursuivie avec Le Bruit dort en 1978 et Gloire des sables (1982) qui fait une description prémonitoire de l’instrumentalisation d’un Américain d’origine algérienne tout à fait intégré aux États-Unis, son pays d’adoption, et sa transformation en terroriste.

     Il participe aux collectifs Pour Nelson Mandela en 1986.

     La Montagne du Lion sort en 1988. En 2008, vingt ans plus tard la Montagne du lion servira à nouveau de cadre au roman Un Après-midi dans le désert qui a été récompensé la même année par le Comar d’Or en langue française.

     Un Après-midi dans le désert a été traduit en langue arabe par Slaheddine Boujeh, puis paraissait l’année suivante en Tunisie la traduction de Gloire des sables par le Centre National de la Traduction.

Note :

¹Voir à ce sujet l’article d’Arnaud Folch n° 3910 du 3 au 9 novembre 2011 du magazine « Valeurs Actuelles » à propos de l’ouvrage d l’historien Jean-Jacques Jordi Un silence d’État, les disparus civils européens de la guerre d’Algérie paru en 2011, chez Soteca-Belin (200 pages, 25€)

Lien:

http://www.afrik.com/article14877.html

 

 

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