Philip ROTH (1933) – Nemesis (2010) – Némésis (2012)
Philip ROTH (1933) – Nemesis (2010) – Némésis (2012)
1ère partie : Newark équatorial
Newark(1), dans l’état du New-Jersey aux États-Unis, en 1944, Eugène Cantor, 23 ans, est directeur du terrain de jeu des garçons du quartier juif de Weequahic. Dès l’enfance, grâce à une grand-mère attentive, douce et aimante, sous la houlette d’un grand-père bienveillant, énergique et de grande rigueur morale, il a réussi à surmonter les handicaps que le sort lui avait réservés à la naissance : une mère morte en le mettant au monde, un père qu’on a écarté après son séjour en prison pour escroquerie. En raison de sa très forte myopie, l’armée l’a réformé. Il regrette de ne pouvoir participer à la guerre que mène l’Amérique sur deux Fronts depuis l’attaque de Pearl Harbour alors que ses deux meilleurs amis combattent les Nazis en France. Celui que tous appelaient Bucky est devenu excellent gymnaste de sport de compétition, lanceur de javelot et haltérophile exceptionnel.
Les garçons admirent et respectent Mr Cantor, envient sa carrure d’athlète et ses exploits sportifs. Ils apprécient l’attention qu’il leur porte, la patience avec laquelle il décompose les mouvements propres à chaque discipline sportive. Ils rêvent de lui ressembler tant ils sont impressionnés par les démonstrations magistrales de leur professeur.
http://www.imaging.beckman.illinois.edu/areas/computational.html
Dès le début de l’été, le virus de la poliomyélite(2), contre lequel il n’existe encore aucun vaccin, a contaminé de nombreux enfants, adolescents et jeunes gens de différents quartiers de Newark. D’abord minorée, la maladie se révèle particulièrement pernicieuse cette année. Elle atrophie, déforme, paralyse les membres, enferme les enfants dans cet horrible appareil nommé « poumon d’acier». Elle tue aussi. Jusque-là épargné, le quartier de Weequahic compte ses premières victimes et ses premiers morts parmi les enfants qui fréquentent le terrain de jeu. Sous l’emprise de la peur qui succède à leur inquiétude, les habitants accordent crédit aux rumeurs les plus folles concernant les facteurs de la contamination. Les phobies de toutes natures et les vieux démons ancestraux se réveillent.
Mr Cantor ne perd pas son sang-froid, il estime de son devoir de protéger les enfants du quartier. Tout en leur dispensant maints conseils de préventions, il continue à les accueillir malgré la chaleur accablante et sous le soleil implacable. Encore est-ce s’acquitter, à ses yeux, d’un courage bien mince comparé à celui dont doivent faire preuve les soldats expédiés sur le Front ! Inexorable, le fléau progresse. Faisant face à l’adversité, Bucky, rassure les inquiets, s’efforce de calmer les hystériques, visite les parents des enfants hospitalisés, partage la douleur des familles en deuil. Mais, secrètement, Bucky s’insurge : comment le Dieu du peuple élu peut-il imposer un tel destin à ses enfants ? quel est ce Dieu qui se plait à tuer des créatures innocentes ?
Bucky se languit de Marcia qui l’aime et dont il est follement amoureux. Il refuse dans un premier temps d’abandonner les gamins de Weekahic afin de la rejoindre et respirer l’air pur de son camp de vacances en Pennsylvanie où un poste correspondant à ses capacités vient de se libérer. La jeune fille ayant accepté de se fiancer avec lui, il cède.
2ème partie : Indians Hills
Mais la joie de retrouver Marcia, son plaisir de citadin découvrant pour la première fois la vie saine au grand air, les beautés de la nature, la magnificence du cadre des Poconos Montains, son admiration devant l'entousiasme naïf des jeunes jouant aux Indiens, ont, dès qu’il est seul à la tombée du jour et toutes les nuits, l’arrière-goût amer du remord d’avoir déserté l’enfer de la ville infestée, alors que son ami d’enfance Jack vient d’être tué dans un combat bien plus ardu en libérant la France. Le mal sournois qu’il avait cru fuir le rattrape. Atterré, Bucky Cantor découvre qu’il a apporté le virus avec lui dans le milieu protégé du camp.
3ème partie : Réunion
Le narrateur, Arnie Mesnikoff, s’adresse maintenant aux lecteurs. Il raconte comment, après l’avoir retrouvé fortuitement vingt-cinq ans plus tard, il a recueilli les confidences de Mrs Cantor. Deux destins se confrontent.
À l’époque de la grande épidémie, Arnie venait retrouver ses camarades sur le terrain de jeu dont Mr Cantor était le directeur. Il était des joueurs les plus acharnés des parties de softball et avait été un des premiers enfants contaminés. La polio l’a laissé handicapé moteur. Arnie Mesnikoff a accepté son sort et s’est épanoui en mettant son expérience au service des entreprises qui aménagent les locaux destinés aux personnes handicapées. Il s’est marié, est père de deux enfants et a une vie sociale « normale ».
Après la longue et douloureuse rééducation qui avait suivi la maladie de Bucky, son corps d’athlète gardait les stigmates de la polio : des membres atrophiés et déformés qui s’affaiblissaient encore et le faisaient de nouveau souffrir. Il avait sabordé son avenir avec la certitude irrationnelle d’avoir contaminé toutes les victimes, avait renoncé à se marier, en dépit des supplications d’une fiancée qui l’aimait véritablement au point d’envisager de partager sa vie avec un infirme. Mr Cantor, que Mr O’Gara, le directeur de la gestion des terrains de sport s’obstinait à appeler Mr Cancer, avait rompu tous les ponts avec son passé. Il vivait seul, rongé par le cancer de la honte, s’imposant une vie de solitude, s’efforçant d’éviter tout ce qui pourrait lui rappeler ce qui aurait pu être.
« Tu n’as jamais su mettre les choses à bonne distance, jamais ! Tu penses toujours que tu es responsable, alors que tu ne l’es pas. Soit c’est dieu le Terrible qui est responsable, soit c’est Bucky Cantor le Terrible, alors que la responsabilité n’incombe ni à Lui ni à toi. Ton attitude vis-à-vis de Dieu ― elle est puérile, tout simplement idiote.» avait accusé Marcia le jour de leur rupture.
Les capacités de raisonnement limitées de Bucky l’empêchaient de reconnaître les limites de sa responsabilité, de percevoir l’incohérence de ses griefs contre Dieu alors qu’il se prétendait agnostique et d’admettre la part du hasard dans le cours des évènements qui frappent l’humanité. Il lui fallait un coupable. Le coupable devait être châtié. Persuadé d’avoir apporté la maladie à toutes les victimes, par une interprétation empirique primitive des évènements qui ont traversé sa vie, Eugène Cantor s’était arrogé le rôle de bouc émissaire. Par orgueil, il s’était condamné à une existence solitaire concentrée sur son mal expiatoire et son amour volontairement perdu.
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Le roman de Philip ROTH comporte de magnifiques descriptions alliant justesse, précision et concision. Le récit d’Arnie relatant comment l'enfant qu'il était a vécu la survenue de sa maladie et de ses conséquences est particulièrement émouvant. En contrepartie, des effets de répétition de la chronique des mesures adoptées par les autorités, des listes de noms publiées dans la presse locale, des rumeurs colportées par la population, soulignent la virulence et l’extension exponentielle du mal. Incapable d’évoluer dans son raisonnement, Bucky ressasse tout au long du récit, les arguments le culpabilisant de n’avoir pas su protéger les enfants des actions démoniaques de Dieu.
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1) Voir la carte :
2) Existant probablement depuis des temps très anciens, longtemps sporadique (cas isolés) et touchant surtout de jeunes enfants, la poliomyélite avait manifesté, depuis un peu plus d'un siècle, un génie épidémique inquiétant, n'épargnant aucun âge et apparaissant dans les années 1940-1950 comme un fléau des plus redoutables (jusqu'à 4500 cas, par an, en France). C'est dans la décennie 50 qu'est apparue la vaccination contre les trois types de virus reconnus, d'abord par un vaccin inactivé (Salk 1954, injectable), puis par un vaccin vivant atténué (Sabin 1957, prise orale). Source : http://www.med.univ-rennes1.fr/sisrai/art/poliomyelite_p._230-236.html