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20 janvier 2013

Philip ROTH (1933) – Nemesis (2010) – Némésis (2012)

Philip ROTH (1933) – Nemesis (2010) – Némésis (2012)

1ère partie : Newark équatorial

     Newark(1), dans l’état du New-Jersey aux États-Unis, en 1944, Eugène Cantor, 23 ans, est directeur du terrain de jeu des  garçons du quartier juif de Weequahic. Dès l’enfance, grâce à une grand-mère attentive, douce et aimante, sous la houlette d’un grand-père bienveillant, énergique et de grande rigueur morale, il a réussi à surmonter les handicaps que le sort lui avait réservés à la naissance : une mère morte en le mettant au monde, un père qu’on a écarté après son séjour en prison pour escroquerie. En raison de sa très forte myopie, l’armée l’a réformé. Il regrette de ne pouvoir participer à la guerre que mène l’Amérique sur deux Fronts depuis l’attaque de Pearl Harbour alors que ses deux meilleurs amis  combattent les Nazis en France. Celui que tous appelaient Bucky est devenu excellent gymnaste de sport de compétition, lanceur de javelot et haltérophile exceptionnel.

     Les garçons admirent et respectent Mr Cantor, envient sa carrure d’athlète et ses exploits sportifs. Ils apprécient l’attention qu’il leur porte, la patience avec laquelle il décompose les mouvements propres à chaque discipline sportive. Ils rêvent de lui ressembler tant ils sont impressionnés par les démonstrations magistrales de leur professeur.

Poliovirus image numérique

http://www.imaging.beckman.illinois.edu/areas/computational.html

     Dès le début de l’été, le virus de la poliomyélite(2), contre lequel il n’existe encore aucun vaccin, a contaminé de nombreux enfants, adolescents et jeunes gens de différents quartiers de Newark. D’abord minorée, la maladie se révèle particulièrement pernicieuse cette année. Elle atrophie, déforme, paralyse les membres, enferme les enfants dans cet horrible appareil nommé « poumon d’acier». Elle tue aussi. Jusque-là épargné, le quartier de Weequahic compte ses premières victimes et ses premiers morts parmi les enfants qui fréquentent le terrain de jeu. Sous l’emprise de la peur qui succède à leur inquiétude, les habitants accordent crédit aux rumeurs les plus folles concernant les facteurs de la contamination. Les phobies de toutes natures et les vieux démons ancestraux se réveillent.

     Mr Cantor ne perd pas son sang-froid, il estime de son devoir de protéger les enfants du quartier. Tout en leur dispensant maints conseils de préventions, il continue à les  accueillir malgré la chaleur accablante et sous le soleil implacable. Encore est-ce s’acquitter, à ses yeux, d’un courage bien mince comparé à celui dont doivent faire preuve les soldats expédiés sur le Front ! Inexorable, le fléau progresse. Faisant face à l’adversité, Bucky, rassure les inquiets, s’efforce de calmer les hystériques, visite les parents des enfants hospitalisés, partage la douleur des familles en deuil. Mais, secrètement, Bucky s’insurge : comment le Dieu du peuple élu peut-il imposer un tel destin à ses enfants ? quel est ce Dieu qui se plait à tuer des créatures innocentes ?

     Bucky se languit de Marcia qui l’aime et dont il est follement amoureux. Il refuse dans un premier temps d’abandonner les gamins de Weekahic afin de la rejoindre et respirer l’air pur de son camp de vacances en Pennsylvanie où un poste correspondant à ses capacités vient de se libérer. La jeune fille ayant accepté de se fiancer avec lui, il cède.

2ème partie : Indians Hills

      Mais la joie de retrouver Marcia, son plaisir de citadin découvrant pour la première fois la vie saine au grand air, les beautés de la nature, la magnificence du cadre des Poconos Montains, son admiration devant l'entousiasme naïf des jeunes jouant aux Indiens, ont, dès qu’il est seul à la tombée du jour et toutes les nuits, l’arrière-goût amer du remord d’avoir déserté l’enfer de la ville infestée, alors que son ami d’enfance Jack vient d’être tué dans un combat bien plus ardu en libérant la France. Le mal sournois qu’il avait cru fuir le rattrape. Atterré, Bucky Cantor découvre qu’il a apporté le virus avec lui dans le milieu protégé du camp.

3ème partie : Réunion

     Le narrateur, Arnie Mesnikoff, s’adresse maintenant aux lecteurs. Il raconte comment, après l’avoir retrouvé fortuitement vingt-cinq ans plus tard, il a recueilli les confidences de Mrs Cantor. Deux destins se confrontent.

     À l’époque de la grande épidémie, Arnie venait retrouver ses camarades sur le terrain de jeu dont Mr Cantor était le directeur. Il était des joueurs les plus acharnés des parties de softball et avait été un des premiers enfants contaminés. La polio l’a laissé handicapé moteur. Arnie Mesnikoff a accepté son sort et s’est épanoui en mettant son expérience au service des entreprises qui aménagent les locaux destinés aux personnes handicapées. Il s’est marié, est père de deux enfants et a une vie sociale « normale ».

     Après la longue et douloureuse rééducation qui avait suivi la maladie de Bucky, son corps d’athlète gardait les stigmates de la polio : des membres atrophiés et déformés qui s’affaiblissaient encore et le faisaient de nouveau souffrir. Il avait sabordé son avenir avec la certitude irrationnelle d’avoir contaminé toutes les victimes, avait renoncé à se marier, en dépit des supplications d’une fiancée qui l’aimait véritablement au point d’envisager de partager sa vie avec un infirme. Mr Cantor, que Mr O’Gara, le directeur de la gestion des terrains de sport s’obstinait à appeler Mr Cancer, avait rompu tous les ponts avec son passé. Il vivait seul, rongé par le cancer de la honte, s’imposant une vie de solitude, s’efforçant d’éviter tout ce qui pourrait lui rappeler ce qui aurait pu être.

     « Tu n’as jamais su mettre les choses à bonne distance, jamais ! Tu penses toujours que tu es responsable, alors que tu ne l’es pas. Soit c’est dieu le Terrible qui est responsable, soit c’est Bucky Cantor le Terrible, alors que la responsabilité n’incombe ni à Lui ni à toi. Ton attitude vis-à-vis de Dieu ― elle est puérile, tout simplement idiote.» avait accusé Marcia le jour de leur rupture.

     Les capacités de raisonnement limitées de Bucky l’empêchaient de reconnaître les limites de sa responsabilité, de percevoir l’incohérence de ses griefs contre Dieu alors qu’il se prétendait agnostique et d’admettre la part du hasard dans le cours des évènements qui frappent l’humanité. Il lui fallait un coupable. Le coupable devait être châtié. Persuadé d’avoir apporté la maladie à toutes les victimes, par une interprétation empirique primitive des évènements qui ont traversé sa vie, Eugène Cantor s’était arrogé le rôle de bouc émissaire. Par orgueil, il s’était condamné à une existence solitaire concentrée sur son mal expiatoire et son amour volontairement perdu.

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     Le roman de Philip ROTH comporte de magnifiques descriptions alliant justesse, précision et concision.  Le récit d’Arnie relatant comment l'enfant qu'il était a vécu la survenue de sa maladie et de ses conséquences est particulièrement émouvant. En contrepartie, des effets de répétition de la chronique des mesures adoptées par les autorités, des listes de noms publiées dans la presse locale, des rumeurs colportées par la population, soulignent la virulence et l’extension exponentielle du mal. Incapable d’évoluer dans son raisonnement, Bucky ressasse tout au long du récit, les  arguments le culpabilisant de n’avoir pas su protéger les enfants des actions démoniaques de Dieu.  

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1) Voir la carte : 

2) Existant probablement depuis des temps très anciens, longtemps sporadique (cas isolés) et touchant surtout de jeunes enfants, la poliomyélite avait manifesté, depuis un peu plus d'un siècle, un génie épidémique inquiétant, n'épargnant aucun âge et apparaissant dans les années 1940-1950 comme un fléau des plus redoutables (jusqu'à 4500 cas, par an, en France). C'est dans la décennie 50 qu'est apparue la vaccination contre les trois types de virus reconnus, d'abord par un vaccin inactivé (Salk 1954, injectable), puis par un vaccin vivant atténué (Sabin 1957, prise orale). Source : http://www.med.univ-rennes1.fr/sisrai/art/poliomyelite_p._230-236.html

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6 janvier 2013

Irène FRAIN (1950) – Beauvoir in love (2012

Irène FRAIN (1950) – Beauvoir in love (2012)

     En 1929, sa deuxième place derrière Jean-Paul SARTRE au concours de l’agrégation de philosophie la consacrait aux yeux de ses pairs. Bien que Simone de Beauvoir ait été réintégrée dans l’Éducation Nationale à la Libération, pendant la guerre, les relations amoureuses homosexuelles qu’elle entretenait avec certaines de ses élèves lui valurent une mesure de suspension de son poste de professeur, puis un renvoi en 1943. Le succès de son premier roman « L’Invitée » publié la même année l’avait révélée au milieu littéraire. Cependant, nous précise Irène FRAIN, en 1947, ce n’était qu’en tant que mythique compagne de Sartre, dont elle dépendait encore financièrement à cette époque, qu’elle était connue du public.

     Intriguée par la lecture des lettres1 de Simone de Beauvoir à son amant américain Nelson ALGREN, Irène FRAIN est partie en Amérique sur les traces de la figure de proue du féminisme, laudatrice de l’existentialisme, de l’athéisme et du communisme. Elle a assemblé les pièces d’un puzzle glanées dans les courriers que Simone a adressés à Sartre à l’époque de leur liaison, les a recoupées avec celles contenues dans ses quelque trois cent lettres à Nelson. Elle a confronté ces informations avec les récits des témoins et les évocations explicites incluses dans ses romans et ses Mémoires.

     Les courriers de Nelson à Simone étant toujours inaccessibles, elle a décrypté dans des  nouvelles, des poèmes et des romans de l’écrivain nord-américain les indices qui pouvaient apporter le  point de vue de ce dernier sur certains faits.


      La confrontation de cette documentation avec le carnet-journal rédigé à deux l’année suivante, les photos prises par ALGREN et par son ami le photographe Art Shay(3) à l’époque, qu’il avait soigneusement conservés, ont permis d’éclairer l’enquêtrice sur la nature de leur lien.

      En s’inspirant des faits réels, s’appuyant le plus fidèlement possible sur les documents et les archives qu’elle a pu consulter, Irène FRAIN retrace sous forme d’un récit romancé l’histoire d’amour entre l’intellectuelle parisienne et l’écrivain de l’univers sordide des oubliés de l’essor américain.

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     Le récit commence alors que Simone de Beauvoir était en tournée aux États-Unis. Depuis que Sartre lui avait annoncé son chassé-croisé au-dessus de l’océan avec Dolorès, sa dernière conquête partie le rejoindre à Paris, entre les conférences dans les universités et les entretiens avec des journalistes new-yorkais, cette révélation la hantait : qu’en était-il du pacte entre Sartre et elle ? leur union ne reposait-elle pas sur la fusion des esprits, la mise en commun des ambitions, leur serment d’assistance pour le meilleur et pour le pire ? n’étaient-ils pas liés l’un à l’autre par l’amour nécessaire, les amours « contingentes » avec les autres ? ne se disaient-il pas tout ?... Enfin, …presque ! Cette femme superbe allait-elle la supplanter ? La contingente prenait trop de place !

     « Sartre ne la touchait plus depuis près de douze ans. », précise Irène FRAIN et « il rêvait d’épouser la métisse italo-éthiopienne franco-américaine ».

     Pour voir l’envers de la grandeur américaine, il fallait aller à Chicago. Là-bas, Nelson ALGREN serait un guide idéal, lui avait affirmé  une connaissance commune. Rendez-vous fut pris. L’écrivain américain la plongea dans la vie réelle, aux antipodes des théories élaborées au sein du milieu protégé de son cercle d’intellectuels germanopratins. Dans les bas-fonds de Chicago fréquentés par les ivrognes, les proxénètes, les prostituées, les drogués, les voyous, les fripouilles de tout acabit, il la traîna par des rues malfamées refuges de clochards, passant d’un bar douteux à une boîte louche ou un club de Jazz équivoque. Simone tira de cette expérience de quoi alimenter le récit qu’elle fit paraître en 1948, l’Amérique au jour le jour. Ses conversations avec Nelson l’aidèrent à peaufiner Le deuxième sexe (1949). La même année vit la parution du livre de Nelson ALGREN, The Man with the Golden Arm(2)récompensé par le National Book Award en 1950.

     Dès leur rencontre, Simone fut séduite par le charme de Nelson. De leur coup de foudre réciproque naquirent trois années de liaison amoureuse érotique, accompagnées de flots d’alcool, parcourue d’épisodes de complicité, d’attrait mutuel, d’élans passionnés, de déchirements tragiques, de rancœurs amères. Le souhait de Nelson de garder la femme qu’il aimait auprès de lui en Amérique fut contrecarré par l’emprise de Sartre sur sa maîtresse. Tiraillée entre son amour auprès d’un écrivain encore méconnu et son ambition, « Le Castor » misa sur la célébrité auprès du philosophe engagé. Elle trouva d’autres amours contingentes(4) auprès de son amour nécessaire, pourvoyant aux angoisses causées par ses contradictions à coups d’amphétamines.

Lui continua à dépenser son argent au poker, tout en se battant contre les maisons d’édition. Ce n’est que trois mois avant sa mort d’une crise cardiaque en 1981, que son talent fut officiellement reconnu par son élection à l’American Academy and Institute of Arts and Letters.

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     Si elle le rendit furieux en réduisant l’importance de leur relation à un simple amour « contingent » dans Les Mandarins, en 1954, un échange de quatorze  années de correspondance subsista cependant entre Simone de Beauvoir et Nelson ALGREN et l’anneau inca offert par Nelson le lendemain de leur première nuit d’amour accompagna Simone jusqu’à son dernier jour et, sur sa demande, fut mêlé à ses cendres.

     Dans son récit, Irène FRAIN met en valeur la dualité de la féminité et du féminisme de Simone de BEAUVOIR. Promouvoir ses conceptions féministes s’est fait au prix de sacrifices douloureux. Concilier vie privée et activité professionnelle est une lutte quotidienne vécue par les femmes contemporaines. Simone de BEAUVOIR reste une femme de notre temps.

*****

Notes :

1) La correspondance en anglais de Simone de BEAUVOIR avec Nelson ALGREN (environ 300 lettres) a été traduite et publiée en 1997 par sa fille adoptive Sylvie Lebon-Beauvoir.

 2) L’ouvrage fut traduit en français par Boris VIAN sous le titre de L’Homme au bras d’or (1950) qui obtint le National Book Award en 1950, et inspira le scénario du film éponyme d’Otto Preminger (1955).

 Art_Shay_Photographer_20003) Art SHAY est un photographe-reporter américain né en 1922 dans le Bronx à New-York. Il travaillé sur Chicago à partir de 1948. Il se consacre au photojournalisme à temps plein, produisant des tirages régulièrement pour Time, Life, Fortune et le New-York-Time Magazine. Shay s’est établi une réputation mondiale par les portraits insolites qu’il a réalisé de Marlon Brando, Nelson Algren, Liz Taylor, Simone de Beauvoir, JFK et les centaines d’autres photos sur des personnes moins connues. Dans ses clichés, il favorise l’humanité du personnage plutôt que sa célébrité.

Il a publié de nombreux ouvrages parmi lesquels : Nelson Algren’s Chicago (Université de l'Illinois, 1988), Album for an Age (Ivan R. Dee, 2000), Animals (University of Illinois, 2002) and Couples (University of Illinois, 2003).

4) De 1952 à 1959, Claude LANZMANN devient le compagnon de Simone de BEAUVOIR et l’ami du couple SARTRE-BEAUVOIR et le restera jusqu’à leur mort. Il entre au comité de rédaction de la revue Les Temps Modernes. Il en est le directeur actuel.

Claude LANZMANN (1925) Le Lièvre de Patagonie (Mémoires) (2009)

Sources des photos:

 http://www.stephendaitergallery.com/dynamic/artwork_display.asp?ArtworkID=804 

http://24.media.tumblr.com/tumblr_m28490uClw1r79v1io1_500.jpg 

http://en.wikipedia.org/wiki/File:Art_Shay_Photographer_2000.jpg

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