LA GRANDE INONDATION DU MISSISSIPPI EN 1927
La littérature, le cinéma, des chansons perpétuent la mémoire de la grande inondation du Mississippi en 1927.
Ce déluge sert de cadre dans le récit intitulé Old Man du roman de William FAULKNER dans Les Palmiers sauvages (ou, suivant les éditions) Si je t’oublie, Jérusalem (1939) et du téléfilm qui en a été tiré en 1997, William Faulkner's Old Man, avec Jeanne Tripplehorn et Arliss Howard.
Il a inspiré le blues « When the Levee breaks » de Memphis Minnie et Joe McCoy et son titre a été repris dans le quatrième album du groupe de rock Led Zeppelin.
Randy Newman, en 1974, a écrit et sorti également une chanson sur ces inondations de 1927 dont le titre est « Louisana 1927 »
LA CATASTROPHE
La crue : Le Mississippi, déjà gonflé par la fonte des neiges précoces au Canada dans son cours supérieur, en raison du printemps chaud, reçut les flots des rivières gonflées par les pluies tombées dans le haut Middle-Ouest. L’afflux d’eau dans le Delta se heurtait au mascaret et à la houle qui coupaient l’accès au Golfe du Mexique, quand il s’est mis à pleuvoir dans le Sud.
Les cours d’eau et les lacs de l’Arkansas étaient saturés par les conséquences des précipitations exceptionnelles d’avril. L’Arkansas ne fut pas épargné par les eaux du Mississippi. Le mascaret et la houle refoulant le flot profondément à l’intérieur des terres, White River a même coulé vers l’amont à un moment donné.
Une première levée avait déjà cédé au Caire (Illinois), le 1er janvier. Après la rupture d’une digue aux Mounds Landing, les eaux coulaient dans le Mississipi avec la force des chutes du Niagara. Les levées entre Fort Smith (Comté de Sebastian) et Little Rock lâchèrent sous la pression de l’eau. Le Vendredi saint, le Mississippi a franchi les digues, une à une, à plus de 145 endroits et un mur d'eau s’épandit à travers les terres agricoles et les villes.
Les régions touchées : L’Arkansas, l’Illinois, le Kentucky, la Louisiane, le Mississippi, le Missouri, l’Oklahoma et le Tennessee ont été dévastés par les eaux. L’état la plus touché fut l’Arkansas où les terres inondées ont été plus nombreuses que la Louisiane et le Mississippi réunis.
La superficie couverte par les eaux a été évaluée à 73 000 km², soit une surface équivalente à celle de 11 départements français.
Les secours : Dans un premier temps, les moyens technologiques modernes de l’époque ont favorisé les secours. La radio diffusait des avertissements. Les avions repéraient les survivants réfugiés sur les toits ou accrochés aux branches d’arbres. Des canots à moteur procédaient à leur évacuation et les conduisaient vers des points de rassemblement. Les trains transportaient les sinistrés vers les terres émergées où des camps c’accueil étaient préparés.
La Croix-Rouge américaine et les citoyens ont réagit rapidement. Les secouristes affluaient par trains, par camions ou automobiles. En Arkansas, la Croix-Rouge a installé à la hâte cinquante camps de réfugiés, utilisant les tentes et les lits de l’armée. À Forest City (comté de Saint-François), l’un d’entre eux abritait plus de 15 000 réfugiés. Les victimes, malades, souffrant de froid et de faim, arrivaient de tout l’Arkansas. Certaines d’entre-elles avaient trouvé refuge dans des bâtiments publics ou des abris de fortunes. Tous se sont retrouvés sans eau, sans nourriture ni vêtements secs. Les terrains épargnés par l’eau avaient du mal à contenir ces villes de tentes.
Bon nombre des habitants déplacés de Louisiane ont cherché refuge dans la Nouvelle-Orléans. Quand le mur d’eau s’est approché, les responsables gouvernementaux ont décidé de faire exploser la digue de Caernarvon en Louisiane, inondant des paroisses pauvres et politiquement marginalisés de Louisiane, dans le but de guider le flot loin de la vulnérable Nouvelle-Orléans. L’effort de protection fut vain, le courant ayant détruit de nombreuses levées en amont.
Accès à une carte claire de l’étendue de l’inondation
http://www.classzone.com/books/earth_science/terc/content/investigations/es1308/es1308page05.cfm
ORIGINES DE LA CATASTROPHE :
Les origines naturelles : Dans la seconde moitié de l’année 1926, les pluies abondantes avaient saturé les sols et porté le niveau de tous les cours d’eau au-dessus de la normale pour cette époque de l’année, produisant déjà de grandes crues sur le Tennessee et le Cumberland à la fin décembre et au début janvier 1927. Après une accalmie, des pluies générales couvrirent les régions à l’est du Mississippi. En avril, les précipitations s’étendirent encore en augmentant d’intensité sur le bas de l’Arkansas et ailleurs, dépassant 400 mm. L’ensemble du bassin reçut de janvier à avril, une quantité moyenne de précipitations de 274 mm provoquant des écoulements qui atteignaient le débit record de 223 milliards de m³.
La configuration du terrain entre aussi en jeu. Après le confluent du Mississipi avec l’Ohio, la plaine alluviale s’élargit considérablement, atteignant jusqu’à 120 km, dans sa partie moyenne. Les méandres s’étalent, se recoupent, se déplacent vers l’aval. Le cours du fleuve s’éloigne peu à peu du lit principal et change soudain de direction. Des rivières comme la Rivière Saint-François traversent ainsi un lacis de lacs allongés qui sont d’anciens bras du fleuve. Le Sun Flower et la rivière Tensas empruntent des anciens lits du Mississippi. Des rivières, qui débouchent dans les alluvions de la plaine, trouvent une contrepente qui détourne leur cours à angle droit et les contraint à suivre les escarpements (les bluffs) qui limitent la vallée avant de se jeter plus tard dans le fleuve. Les bayous et tous ces cours d’eau présents dans la grande plaine du Mississippi sont autant de bassins d’inondation.
Les origines humaines :
La gestion des crues : Jusqu'en 1927, la stratégie du (US Army Corps of Engineers) consistait à contrôler les inondations seulement par des levées. L’aménagement de canaux secondaires, d’exutoires fermés, de réservoirs étanches en amont étaient évités en faveur de remblais gigantesques séparant le lit du fleuve de sa plaine d'inondation.
À la fin des années 1920, les progrès technologiques accompagnaient la croissance économique. D’énormes moyens de financements ont été consacrés pour la construction d’un vaste système de digues, pour retenir les cours d’eau. Ces travaux étaient facilités par la mise en œuvre d’énormes engins de terrassement. Des drainages ouverts ont été réalisés sur les basses terres forestières laissées à nu par l’industrie du bois.
Protégés par les digues, les agriculteurs ont mis en culture les basses terres de leurs propriétés. Des terres fertiles, jadis inondables ont été mises en valeur. Les récoltes se vendaient d’autant mieux que de nouveau marché étaient accessibles grâce au développement des moyens de transport (rail, route, voies maritimes). Les banques, en plein essor, encourageaient cette expansion en accordant facilement des prêts financiers pour la mise l’aménagement des terres et l’équipement des exploitations.
LES CONSÉQUENCES
Les conséquences humaines: Une grande partie de l’Arkansas est restée noyée sous les eaux boueuses d’avril à la fin du mois de septembre 1927. L’eau envahissait les villes, recouvrait les terres et les routes rendant tout déplacement impossible.
Les moustiques, vecteurs de la malaria avaient trouvé dans les eaux stagnantes les conditions idéales de reproduction. Des épidémies de dysenterie, de typhoïde se répandaient dans les camps surpeuplés. On appréhendait l’apparition de la variole. Les carences alimentaires provoquaient la pellagre chez les réfugiés.
La Croix-Rouge a estimé le nombre de morts à 246 dont 127 dans le seul Arkansas. On évalue à environ 750 000 le nombre de personnes sinistrées, dont 300 000 Afro-Américains qui se sont retrouvées sans nourriture, ni eau, sans vêtements, ni travail.
L’effort de secours a été massif, mais inégal, en grande partie exercé sur des critères raciaux, priorité étant donnée aux Blancs. Les secouristes extérieurs étaient en conflit avec les autorités sanitaires locales et les grands planteurs sur l'ampleur et les types d'aide et à qui cette aide devait aller. Dans certains endroits, la Croix-Rouge distribuait une aide directement aux victimes. Dans d’autre elle chargeait les planteurs de l’organiser.
Accès à un film d’archive présentant l’organisation des secours et la vie dans les camps (On peut constater que la ségrégation raciale était appliquée pour dresser les camps de réfugiés. Le film est intéressant, malgré la qualité très médiocre dans la première partie particulièrement.)
http://www.archive.org/details/mississippi_flood_1927
Les conséquences économiques :
Les camps de réfugiés ont été maintenus par la Croix-Rouge jusqu’au 15 septembre 1927. De très nombreux réfugiés (des Noirs et des Blancs) ont pu alors retrouver leurs terres dévastées avec pratiquement rien pour survivre à l’approche de l’hiver.
Les semis avaient été emportés ou étaient enfouis dans la boue. Toute plantation nouvelle était impossible. Le bétail était décimé. Des milliers d’animaux pourrissaient dans les eaux stagnantes.
Les ponts et les routes avaient été emportés par les flots.
Après le retrait des eaux, les planteurs n’avaient plus de main d’œuvre pour remettre les champs en culture. Beaucoup de métayers blancs et noirs, profondément endettés, ne pouvaient retourner chez eux depuis les camps. Un accord permit aux métayers, particulièrement des Noirs, de partir des camps, sous la supervision de leurs planteurs. Dans ce cas, c’étaient les planteurs qui distribuaient les moyens de secours que la Croix-Rouge leur donnait.
Les Noirs devaient présenter un laissez-passer pour entrer et sortir des camps. Certains ont été contraints par la force publique d’y rester indéfiniment et furent réquisitionnés sous la menace des baïonnettes pour les secours ou le renforcement les digues.
Après le déluge, il y avait peu de travail dans les fermes, les propriétaires des plantations ont réduit considérablement les salaires de la main d’œuvre noire. Un grand nombre d’entre eux souhaitaient partir vers le Nord chercher un emploi. Beaucoup de propriétaires ont essayé de retenir de force leurs travailleurs agricoles. En dépit de leur pression, des dizaines de milliers d’Afro-Américains ont migré vers le Nord, se faire embaucher dans les usines, à Chicago et Detroit principalement.
Les conséquences politiques : La catastrophe s’est produite alors que le pays était en pleine prospérité économique. À Washington, le Président républicain Calvin Coolidge est un partisan convaincu du « laisser faire » et de la libre concurrence. Par un seul dollar n’est allé, en aide directe, de la part du gouvernement fédéral aux victimes des inondations dans le Sud.
Mesures adoptées en vue d’éviter une nouvelle catastrophe :
Remaniement de la politique d’aménagement des cours d’eaux : Le Corps des ingénieurs de l’armée des États-Unis a imaginé la réalisation de l’élargissement, du renforcement et du revêtement des levées dans la mesure où leur surélévation n’aggravait pas le danger pour les riverains. Trois grands chenaux de dérivation parallèles au fleuve ont été établis en dehors des levées. Des réservoirs ont été prévus en amont. La partie inférieure des bassins d’inondations est réservée pour recevoir une portion des crues exceptionnelles. En amont de la ville de la Nouvelle-Orléans, un déversoir réglable détourne une partie des eaux vers le lac Pontchartrain.
Projet d’une modification de la politique agraire : Herbert Hoover (1874~1964) était alors secrétaire au Commerce. Il fut nommé par Coolidge aux opérations de secours locales et chargé d’organiser l’aide bénévole. Cette charge l’a placé sous les projecteurs et l’a fait entrer dans sa campagne électorale.
Il a vu à travers cette épreuve l’occasion d’étudier la mise en place d’une réforme agraire. L’ambition du projet était de changer le système de plantation mis en place depuis la Reconstruction. De vastes étendues de terres de grands planteurs, qui avaient fait faillite à cause de la crue, restaient à l’abandon. Hoover proposait de diviser ces terres en petites exploitations et d’encourager les métayers et les locataires blancs et noirs à accéder à la propriété. Le plan, préparé avec l’aide de Couch Harvey, professeur à Harvey (Arkansas), prévoyait de mettre de côté 2.1 millions de dollars de fonds de secours contre les inondations pour son projet de réinstallation sur de petites fermes. Une société spécifique gérée par des directeurs incluant « la représentation de couleur » était prévue. Lorsqu’en 1928, Hoover fut élu Président, il n’a pas tenu ses promesses. Il confia cette responsabilité à des sociétés privées. Ces expériences de réinstallation furent toutes des échecs.
Les Noirs émigrés furent remplacés par la mécanisation et l’agriculture industrielle. Les métayers blancs, les petits agriculteurs, de nombreuses exploitations familiales dépendirent des grandes propriétés industrielles.
Depuis la Guerre de Sécession, les Afro-Américains étaient traditionnellement favorables au Parti républicain. Leur ressentiment à l’absence de réponse républicaine à la misère des inondations de 1927, les promesses non tenues, provoquèrent un changement politique de leur part, qui les amena à transférer leur préférence au Parti démocrate aux élections du 8 novembre 1932. Entre cette date et son entrée en fonction, le 4 mars 1933, Franklin Delano Roosevelt (1882~1945) prépara un programme économique et social contre la crise (1929), le New Deal, en s’entourant d’économistes. Dès mars 1933, Roosevelt fit voter par le congrès une série de lois qui éloignèrent les États-Unis de leur conception purement libérale de l’économie, et les firent entrer dans l’interventionnisme étatique
Depuis la nuit des temps, la vallée du Mississipi est affligée par ses crues récurrentes, toutes très destructrices.
En 2005, l’ouragan Katrina a ruiné la Nouvelle-Orléans. Ces deux désastres se sont produits à l’apogée de périodes d’euphorie économique, à la veille d’un effondrement économique et financier. Dans les deux cas, le Parti républicain était chargé du Gouvernement fédéral et défendait bec et ongles un libéralisme à tout crin. Grâce aux reportages télévisées, aux témoignages sur internet, le monde entier a pu voir l’importance des dégâts provoqués par les eaux, suivre l’organisation des secours, la lenteur de la réaction du Président G. W. Buch (1946). Il est certain que les communautés Afro-Américaines ont apporté leur soutien au changement de majorité favorisant l’élection le Président B. Obama (1961) en 2008. Ce dernier sinistre a eu aussi pour conséquence la migration de la population vers d’autres États, les bas-quartiers anciens évacués étant habités en majorité par des Afro-Américains pauvres. De nombreuses familles, aussi bien noires que blanches, souvent déjà fortement endettées par ailleurs, n’avaient pas souscrit d’assurance et se sont retrouvées sans abri, démunies et sans travail. Depuis d’autres calamités naturelles se sont abattues sur les États-Unis.
Le nombre d’États frappés, l’étendue des dommages causés par la grande inondation du Mississippi de 1927 en font l’une des plus importantes catastrophes naturelles du XXe siècle, pour les États-Unis d’Amérique.
Sources :
Flood of 1927 - The encyclopedia of Arkansas History & culture (Ce site donne accès à des photographies prises à cette époque.)
http://encyclopediaofarkansas.net/encyclopedia/entry-detail.aspx?entryID=2202
Les inondations du Mississipi en 1927 – H. Baulig – Annales de Géographie – Année 1929 – Volume 38 – Numéro 211 – pages 81 à 84
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_1929_num_38_211_9556
The Great Mississippi Flood of 1927 - The Most Destructive Flood in the History of the United States
http://www.suite101.com/content/the-great-mississippi-flood-of-1927-a198648#ixzz1633pRcmN
Laurent GAUDE (1972) s'est inspiré de l'ouragan Katrina pour écrire son roman paru en 2010 OURAGAN
http://colinecelia.canalblog.com/archives/2011/03/06/20559009.html