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24 août 2014

Émile CHALOPIN – La musette au dos (2013) - L’usine de Langlée 1923- 1936

Émile CHALOPIN – La musette au dos (2013)

L’usine de Langlée 1923- 1936


      « Ici, lui a dit Antoine, ça défile, beaucoup jettent l’éponge dès les premières nuits. L’hiver le nez dans la fournaise et la bise dans le dos, faut avoir du chien dans l’corps pour résister. »

     Le visage ruisselant, les traits marqués par la poussière d’anthracite, Armand Lagneau vient de passer avec son collègue sa deuxième nuit à charger les huit foyers incandescents des grands fourneaux qui génèrent la vapeur destinée à vulcaniser le caoutchouc, à alimenter les autoclaves, les étuves et les presses à mouler des différents ateliers. Comme la nuit précédente, luttant contre le sommeil, Armand Lagneau a guetté avec impatience l’apparition des premières lueurs du jour. Les travaux pénibles ne lui font pas peur, il en a l’habitude : en Sologne, il y a trois ans, il louait encore la force de ses bras, de ferme en ferme pour les travaux saisonniers. Comment parvenir à nourrir une fratrie de dix enfants avec un salaire intermittent et la maigre rétribution de son épouse employée à la cantine de la briqueterie voisine ? Ils ont hésité longtemps, puis ils sont partis à l’aventure en quête d’un avenir meilleur. L’installation dans une masure de bois du Chemin noir de la famille Lagneau partie de Vannes-sur-Cosson marque la fin de ses pérégrinations. Attiré par l’assurance d’un salaire régulier, Armand Lagneau a pris le chemin de l’usine de Langlée.

Jeff et Floc près du vieux colombier de l'Anglée

     En cette année 1926, les candidats à l’embauche sont nombreux à se présenter la musette au dos aux portes de l’usine Hutchinson. La population locale et celle des communes alentour, même éloignées, ne suffisent pas à répondre aux besoins en ouvriers de l’entreprise, d’autant plus que de nombreux jeunes hommes de plusieurs classes d’âges sont morts sur les champs de bataille de la Première Guerre Mondiale.

     Dès la fin des hostilités, l’usine de Langlée a modernisé ses moyens de production, créé de nouveaux ateliers et développé de nouvelles fabrications, contraignant ses dirigeants à faire appel à une main d’œuvre venue d’ailleurs (1). Par vagues successives, le quartier de Vésines sur la commune de Châlette accueille des ouvriers agricoles et des petits fermiers qui fuient avec leur famille la misère de régions pauvres. Il faut aussi faire appel à de la main d’œuvre étrangère : des Chinois, des Ukrainiens et des Russes Blancs(2) chassés par la révolution bolchevique dans les années 1920, des Polonais de Galicie en 1926, puis des tchécoslovaques, des Grecs, des survivants du génocide arménien, ensuite, dans les années 1930, des Italiens et des Espagnols(3). Certains rentreront au pays, partiront chercher meilleur vie ailleurs, d’autres se marieront, feront souche... et constitueront le melting-pot qui, depuis les années 1920, fait la caractéristique de la ville de Châlette et des communes environnantes.

      La plupart des héros du roman d’Émile CHALOPIN habitent dans une rue qui longe l’usine, un bâtiment datant de la première moitié du XVIIIe siècle destiné dès l’origine au logement d’ouvriers de « La Manufacture Royale de l’Anglée(4) », « Le Rang de l’Anglée». Devenue pour tous « Le Vieux Rang(5) », la bâtisse abrite aussi trois commerces. D’une longueur de deux cents mètres, elle est caractéristique de l’époque de sa construction avec son toit à la Mansart abritant des greniers aménagés en petites chambres.

L'usine de Langlée à Châlette-Vésines au début du XXe siècle

     L’attitude équivoque du chef d’équipe de l’atelier des chaussures envers la petite Mariette Lagneau, qui vient d’entrer à l’usine aussitôt fêtés ses treize ans, provoque l’intervention de Maria, une des ouvrières de la chaîne.  Les suites de l’altercation entre la grande rouquine et le chefaillon (sa bedaine et son visage boursoufflé lui valent le sobriquet de «Bouffi »), les rebondissements auxquels elles donnent lieu et leur retentissement dans la petite
communauté du quartier de Vésines servent de fil rouge au récit d’Émile CHALOPIN.

L’atelier des chaussures de l’usine Hutchinson en 1905

     Comme ses oncles et tantes, l’auteur a travaillé à Hutchinson dans les années 1950. Autour de Châlette ou de Montargis, qui n’a pas eu dans sa famille, un ami, une amie, un voisin ou une voisine qui n’ait pointé à Hutchinson ? Entre deux anecdotes cocasses concernant tel ou telle, les anciens de l’Anglée ne manquaient pas d’évoquer, lorsqu’ils se retrouvaient, combien la présence dans les ateliers des chronométreurs du bureau des méthodes les avait incommodés et de commenter le chamboulement de leurs habitudes de travail qui en avait découlé. L’auteur a transposé les personnalités les plus marquantes du quartier de Vésines à l’époque parmi la multitude de personnages du roman. Certains, comme Monsieur Kouch ont réellement existé(6).

     Au fil des pages, le lecteur distingue les interlocuteurs des nombreux dialogues du récit à leur parler régional, solognot, briard, nivernais, gâtinais... qu’Émile CHALOPIN rapporte fidèlement avec leurs expressions savoureuses. L’éditeur les a retranscrits en italique. Le livre est illustré de nombreuses reproductions de photos et de documents sur Langlée à la première moitié du XXe siècle.


      La musette au dos présente sans pathos, ni naïveté, un kaléidoscope des réalités de la vie quotidienne du monde ouvrier d’entre les deux guerres.

2013-12-04 Emile Chalopin et M. Cazeaux, son éditeur

     La musette au dos dÉmile CHALOPIN est édité aux Éditions de l’écluse B. P. 24 – 45230 Châtillon Coligny ; www.editions-de-lecluse.com

*****

 Notes

1) En 1914, Le nombre insuffisant de femmes pour prendre aux postes de travail la relève des hommes qui sont mobilisés, avait déjà contraint Hutchinson à faire appel à de la main d’œuvre étrangère ; viennent d’abord des Belges qui fuient l’occupant allemand puis des Annamites que le gouvernement a fait venir en France et qui seront rapatriés après l’armistice en 1920-1921.

2) Ces hommes, dont certains étaient officiers, étaient arrivés à Châlette grâce à l’intercession de Madame Lansoy. Ils avaient appartenu aux débris de l’armée russe du général Wrangel acculés dans la presqu’île de Crimée par les Rouges, récemment évacués en Turquie avec le soutient de la Triple entente (France, Royaume-Uni, Russie impériale).  Mme Lansoy, épouse de Mr Lansoy directeur de l’usine de Langlée depuis 1907, était fille du consul de France à Saint-Petersbourg où elle s’était liée d’amitié avec Nathalie de Miller mariée au chef d’État major du général de l’armée russe Wrangel.

3) En 1939, arrivèrent aussi les premiers Nord-Africains. Jusqu’à aujourd’hui, chaque drame de la scène internationale, qu’il soit politique, humanitaire ou économique génère la venue à Châlette de ressortissants du pays concerné.

4) La « Manufacture Royale de l’Anglée » 

5) Le « Vieux Rang » : Le « Vieux Rang » a été démoli en 1960 en raison de son insalubrité. La disposition des logements de cette vieille bâtisse rendait impossibles leur réhabilitation et l’installation du confort sanitaire compatible avec le mode de vie actuel.

6) Monsieur Kouch : de son vrai nom Ivan Krouchteck (01/07/189? ~Chateaurenard (Loiret) oct. 1961) était appelé avec déférence  par tous Monsieur Kouch.  Il avait été soldat du tsar. C’était un excellent cavalier. Tout ce que les personnes qui l’on bien connu savaient sur son passé est qu’il avait lutté contre les troupes bolcheviques dans l’armée du général Wrangel après 1919. Évacué de Crimée suite à la défaite des tsaristes, il était arrivé dans le Montargois à la même période que les autres Russes Blancs, dans les années 1921-22. Monsieur Kouch avait trouvé un emploi dans l’entreprise de battage tenue par le grand-père paternel de Daniel Plaisance à Château-Renard (Châteaurenard à l’époque) entre 1922 et 1930. Après le décès du chef d’entreprise, Mme Plaisance  lui confia la tâche de diriger le personnel. Au fil des années, il fit partie intégrante de la famille. Monsieur Kouch était bien connu à Vésines où il retrouvait ses compatriotes et se ravitaillait auprès d’un commerçant russe.

Dans son livre de chroniques « Empreintes », Daniel PLAISANCE (Éditions de l’Écluse) lui a un rendu hommage  émouvant dans le chapitre  « Deux émigrés russes en Gâtinais » (page 187à 200).

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5 août 2014

Sorj CHALANDON (1952) – Le quatrième mur(2013)

Sorj CHALANDON (1952) – Le quatrième mur(2013)

     À Paris au début des années 1970, la guerre civile au Liban donne lieu à de nombreuses manifestations estudiantines au cours desquelles de violentes échauffourées opposent les commandos de l’extrême droite de la faculté d’Assas à ceux de l’extrême gauche pro-palestinienne de la Sorbonne dans laquelle le narrateur, Georges, milite activement. Éternel étudiant en histoire, metteur en scène intermittent à l’occasion, le jeune homme se lie d’amitié avec un metteur en scène grec, juif, en exil, Samuel Akounis. Ce dernier, bien que né à Salonique en 1940, a été miraculeusement épargné par la Shoah durant laquelle toute sa famille  a péri en déportation. Arrêté, torturé, il a connu les geôles de la Dictature des Colonels avant de fuir son pays. Samuel confronte la réalité de son expérience aux assimilations outrancières absurdes de ses amis gauchistes germanopratins et s’insurge contre la démesure simpliste de leurs slogans. Il invite son ami à défendre ses convictions avec davantage de discernement.

montage explosion

     Une dizaine d’année plus tard, tout en ayant gardé ses opinions, Georges a pris du recul avec l’activisme. Il vit avec Aurore qu’il a rencontrée à l’époque de la fac. Louise, leur petite fille, n’a que quelques mois lorsqu’une lettre de Samuel bouleverse la quiétude du foyer. Avant de mourir, Sam, atteint d’un cancer en phase terminale, souhaite confier à son ami le soin de mener à bien un projet qu’il a ébauché et qui lui tient à cœur : faire taire les armes, en pleine guerre civile à Beyrouth, le temps d’une représentation théâtrale sur la ligne verte qui sépare les belligérants. Le Grec a déjà pris des contacts sur place afin de monter l’Antigone de Jean Anouilh avec des acteurs amateurs issus de chaque communauté. Georges s’engage à accomplir les dernières volontés de son ami.

Cèdre libanais 2

 
      Georges s’envole naïvement vers la capitale libanaise avec sa belle idée de trêve et, dès son arrivée à Beyrouth, s’immerge au sein d’un conflit dont la complexité échappe au rationalisme occidental. Perdu dans les divisions et les haines entre communautés, clans et factions, il entreprend la composition de sa troupe, dans un contexte d’alliances opportunistes qui fluctueront au cours des deux années de préparation du spectacle.

Cèdre libanais 2

     Sam a prévu Imane, une palestinienne sunnite pour le rôle d’Antigone, un Druze du Chouf pour celui d’Hémon son fiancé. Charbel, un maronite de Gemmayzé serait Créon, roi de Thèbes et père d’Hémon. Trois Chiites devaient être les Gardes, de même que la Reine Eurydice, tandis qu’une Chaldéenne aurait été la Nourrice et qu’une catholique arménienne jouerait Ismène. Georges comptait coiffer la Kippa de Samuel pour interpréter le Chœur.

 Cèdre libanais 2

      Sous la menace des tirs de snippers, de chars ou de rockets, à la merci de l’explosion d’une voiture piégée sur son passage, Georges doit franchir les barrages et les no man’s lands, de camps en camp, pour rencontrer ses acteurs. Il lui faut négocier leur participation avec les chefs de clans et de milices. Tous s’interrogent sur ses motivations et sa position dans la guerre, mais chacun des protagonistes trouve dans le texte d’Anouilh une interprétation compatible avec son combat : pour les Palestiniens, Imane-Antigone  sera la porte-parole de leur résistance obstinée tandis que le chef phalangiste chrétien retient en Charbel-Créon le garant de l’ordre qui écrasera l’intransigeante révoltée. Les répétitions peuvent enfin commencer !

Cèdre libanais 2

     Hélas, le superbe rêve de paix  n’est qu’une chimère. Il est anéanti par l’horrible réalité.  En septembre 1982, Beyrouth est bombardée. La représentation n’aura pas lieu. À l’Ouest de la ville, protégés par les chars israéliens, des miliciens phalangistes chrétiens à la recherche de combattants palestiniens s’attaquent à la population des camps de réfugiés de Sabra et de Chatila, massacrant sauvagement vieillards, femmes et enfants. Le quatrième mur entre les acteurs et le public, ce mur virtuel entre l’imaginaire et la réalité, s’est effondré.

Cèdre libanais 2

     Avec un recul d’une trentaine d’années, Sorj CHALANDON a choisi le roman pour exprimer son témoignage sur la réalité vécue au quotidien par les Libanais au cours des années 1975 à 1990. Plus librement que par un reportage, nécessairement formaté et réducteur, il en décrit l’insécurité omniprésente, l’horreur des attentats, des bombardements, des fusillades, la crainte des enlèvements, la complexité politique, l’ambiguïté des enjeux, la perversion des valeurs, les conséquences psychologiques, morales et familiales sur les êtres qui y participent ou en sont victimes.

     Le parallèle du propos avec la multitude des approches possibles de l'Antigone de Jean ANOUILH jouée à Paris, avec l'aval de l'occupant allemand, au théâtre de l'Atelier, le 4 février 1944, séduit. Mais peut-on se permettre d'exposer des innocents au centre d'un champ de bataille, au nom de l'art et d'un idéal de paix ?

     Comme beaucoup de ceux qui rendent compte des déchaînements virulents des conflits armés, de retour à Paris, Georges ne se retrouve plus auprès des siens. Incapable de se replacer dans le quotidien étriqué, les préoccupations futiles, les chagrins dérisoires et les petits bonheurs, il fuit toute explication,  abandonne Aurore et Louise. Georges repart s'immerger dans l'insécurité permanente et l'excitation que la violence et le chaos lui ont procurées .

 Explosion cèdre

8 juin 2014

LAURAIN Antoine – Le chapeau de Mitterrand (2012)

Antoine LAURAIN - Le chapeau de Mitterrand

     Et si la personnalité et le destin d’un individu dépendaient d’un accessoire vestimentaire ? - un couvre-chef, par exemple - pas n’importe lequel  - celui du plus haut personnage de l’État – le chapeau du Président de la République française - le chapeau de Mitterrand ?

     En fin d’après-midi, tandis qu’un comptable de la Sogetec, contrôle les dernières notes de frais des chargés de mission, une idée s’impose à lui : fuir la soirée solitaire qui l’attend dans l’appartement silencieux ; profiter de l’absence de sa femme et de son fils pour s’offrir un dîner de célibataire dans une belle brasserie parisienne. Après avoir commandé au maître d’hôtel un Plateau Royal de fruits de mer accompagné d’une bouteille de pouilly-fuissé, Daniel Mercier, absorbé dans la préparation de la première huître qu’il vient de prélever dans le plat, s’apprête à se délecter lorsque FrançoLe chapeau du présidentis Mitterrand, en personne, vient occuper la tablevoisine. Le Président a pris place en compagnie de deux autres convives, un gros trapu à lunettes et cheveux frisés et le Ministre le l’Intérieur Roland Dumas. Émoustillé par la proximité de son illustre voisin, Daniel étire la durée de sa dégustation, tente d’intercepter des bribes de propos provenant du trio. Il s’entend déjà évoquer l’aventure : « J’ai dîné aux côtés de François Mitterrand dans une brasserie en novembre 1986, il était à côté de moi, je l’ai vu comme je te vois. ». Deux heures plus tard, les trois hommes ayant quitté l’établissement, de cette soirée mémorable, il ne reste, oublié sur la banquette, que le chapeau du Président. Daniel Mercier s’en empare discrètement et, coiffé du prestigieux couvre-chef, il sort de la brasserie.

ronde de chapeaux 3

Il passe, il passe, le chapeau, le chapeau du Président.

Il passe, il passe, le chapeau, le chapeau de Mitterrand.

Il pass’ sur la têt’ de Daniel,

Il pass’ra sur celle de Fanny,

Il passe, il passe, le chapeau, le chapeau du Président.

Il passe, il passe, le chapeau, le chapeau de Mitterrand.

Il pass’ sur la têt’  de Pierre,

Il pass’ra sur  celle de Bernard,

Il passe, il passe, le chapeau, le chapeau du Président.

Il passe, il passe, le chapeau, le chapeau de Mitterrand.

Qui l’a ?

     Cette parodie de la célèbre comptine « Il court, il court, le furet ... » résume les pérégrinations du feutre du chef de l’État dans ce conte où, couverts du précieux trophée, les détenteurs successifs, soudainement dotés d’une confiance en soi et d’une détermination insoupçonnées, verront son destin changer de cap.

     Daniel Mercier, modeste employé sans envergure d’une société en pleine restructuration, émettra des propositions si géniales qu’il sera promu directeur de succursale en quelques jours.

Le chapeau dans le train

     Fanny Marquant (le chapeau n’est pas sexiste) manifestera enfin sa volonté de cesser leur relation clandestine à son amant veule, incapable de tenir la promesse, qu’il lui a faite, d’avouer à son épouse qu’il a une liaison et qu’il souhaite mettre fin à leur vie conjugale.

     Pierre Aslan, atteint d’une grave dépression depuis qu’il a perdu son don olfactif, retrouvera ses facultés, sauvera son honneur de célèbre créateur génial de parfums et reprendra goût à la vie.

 

Le chapeau sur le banc public

Soudain décillé, l’aristocrate Bernard jettera aux orties les principes immuables surannés, les préjugés pédants de sa classe sociale pour s’informer autrement, sortir de l’entre-soi  et s’épanouir dans la découverte des modes d’expressions contemporaines.

Quel mystérieux génie se dissimule derrière le chapeau magique ?

 

ribambelle     Cette histoire, dont le thème principal est l’image de soi et le regard de l’autre sur soi, revisite avec quelque nostalgie l’époque des années 1980 : ses techniques  obsolètes aujourd’hui ; les tubes à la mode ; les émissions télévisées et radiophoniques en vogue à l’époque ; les célébrités d’alors ; les scandales médiatiques ; les grand chantiers de prestiges ; la création de nouvelles formes de festivals ; les soirées et les journées festives à thèmes, accessibles gratuitement à tous ; les réunions mondaines ; la diffusion de créations artistiques connues jusqu’alors par un cercle restreint d’initiés ; la promotion de modes d’expression populaires au rang de discipline artistique ; la mise en valeur de l’art l’industriel...

 

ribambelle     Excepté la Normande, Fanny Marquant, de condition plus modeste que les autres protagonistes de l’histoire, avant que la magie du chapeau n’agisse, les héros du roman appartiennent à la frange la plus aisée de la société. Ils évoluent dans les quartiers bobos branchés ou aristocratiques  de la capitale.

 

ribambelle     Loin de faire l’éloge de l’époque et de la société mitterrandienne, la formule du conte adoptée par Antoine LAURAIN lui permet d’en faire une description manichéiste et, de  même, caricaturer, en quelques traits particulièrement cruels, le monde aristocratique imbu de références intangibles dépassées, qui dénigre  systématiquement toute nouveauté. Tout en valorisant les aspects positifs du mitterrandisme, il en montre avec humour les travers et les incohérences. Il souligne la différence de statut social et de mode d’existence consécutifs de la place primordiale occupée par l’argent. La difficulté de gagner de quoi vivre décemment ne semble pas être le problème majeur des acteurs du récit.ribambelle     Le ton est léger, ironique, le style agréable et fluide. Cette histoire courte, sans prétention littéraire, lue en quelques heures est une aimable distraction qu’il ne faut pas bouder en ces temps de crise.  ribambelleQue faire du livre après sa lecture ? Le faire dormir sur un rayon de la bibliothèque ? Le prêter ? Le donner ? Le conseiller sûrement. Ou plutôt, régaler de sa magie qui le recueillera, en l’oubliant volontairement ... sur la banquette d’une brasserie, ... dans le filet à bagage d’un train, ... sur un banc public...

Le livre sur le banc

 

 

19 mai 2014

Faïza GUÈNE (1985) – Un homme ça ne pleure pas (2014)

Faïza GUÈNE (1985) – Un homme ça ne pleure pas (2014)

     La famille Chennoun, d’origine algérienne vit à Nice, où sont nés les trois enfants d’Abdelkader et de Djamila.

     Le père, un ancien cordonnier, adore bricoler et entrepose dans le jardin de la maison un bric-à-brac invraisemblable d’objets - « Ça peut toujours servir ! », précise-t-il -, qui anéantissent le rêve de la mère d’y voir un jour plantés oliviers, citronniers ou orangers. Le Padre ne sait ni lire ni écrire, mais porte des lunettes sur le nez et des stylos Bic accrochés à la poche de sa chemisette. C’est un sage, un père aimant, attaché à la bonne éducation de ses enfants, à leur réussite scolaire et qui veille à leur inculquer des principes - « Un homme ça ne pleure pas. »-.

     L’obsession du narrateur, Mourad, le benjamin des enfants du couple, serait de devenir un vieux garçon obèse aux cheveux poivre et sel, nourri à base d’huile de friture par sa mère. Nourrir, gaver sa progéniture de nourriture est en effet l’objectif premier de la mère, une femme au foyer expansive, dévouée aux siens, avisée sur tout qui n’admet aucune contradiction. Son amour exigeant, sa susceptibilité, son art à simuler des malaises, à culpabiliser sa famille, en font une tragédienne hors pair.

     Mourad a deux sœurs.    

    SpiraleDès l’adolescence, Dounia, l’aînée, envie la liberté de mœurs dont jouissent ses copines de classe. « Tu crois que tu t’appelle Christine ? ! » lui reproche son père indigné par l’indécence, à ses yeux, de sa tenue vestimentaire. Elle préfèrerait, c’est sûr ! Elle préfèrerait tellement qu’elledésobéit effrontément aux règles familiales. Mourad est partagé entre son admiration pour l’intelligence, la volonté et le courage de sa sœur, qui, tout en travaillant, réussit brillamment ses études pour être avocate, et sa stupéfaction face à ses provocations. Au grand désespoir de ses parents, la rebelle finit par se fâcher avec tout le monde et claquer la porte de la maison. Elle n’y remettra plus les pieds pendant dix ans. Indignés et chagrinés, les Chennoun apprendront par la presse, que leur fille est la présidente-fondatrice des FPC, l’association féministe « Fières et pas connes, et qu’elle se présente aux élections à Nice sur une liste de ... droite.

     Docile, Mina, la cadette est entrée sans heurt dans le moule parental. Attirée par la compagnie des personnes âgées, elle travaille dans une maison de retraite, y a fait connaissance d’un aide-soignant, Jalid, qu’elle a épousé à vingt ans. Le couple a trois enfants et habite le même quartier que les Chennoun et Mina passe voir sa mère presque chaque jour.

     Mourad est devenu un jeune homme timoré, introverti. Solitaire il se réfugie dans la lecture, est amoureux de littérature et souhaite enseigner les lettres. Bon élève, il vient de réussir au CAPES. Mourad reçoit son affectation en zone prioritaire à Montreuil en Seine-Saint-Denis. Avant son départ, Abdelkader, qui est hospitalisé après un AVC qui l’a laissé hémiplégique et très diminué, lui confie qu’il souhaiterait revoir Dounia avant de mourir.

     Miloud, un cousin, vit justement à Paris. Il pourra héberger Mourad temporairement. À Alger, dans sa jeunesse, Miloud avait passé beaucoup de temps assis aux terrasses des cafétérias. Grand amateur de raï et habitué de la boîte de nuit Le Saphir bleu, il est maintenant le gigolo d’une riche bourgeoise avec un nom à particule, qui pourrait être sa mère. Liliane lui offre une vie de nabab dans son magnifique appartement superbement meublé du seizième arrondissement, à la bonne tenue duquel veille l’imperturbable Mario, le majordome italien.

     La peur au ventre, Mourad se rend au collège à bord de la Mercédès de son cousin et s’apprête à ajuster ses premiers scuds anti-chahut.

     Mourad retrouve Dounia à Paris, où sa sœur fait la promotion du livre qu’elle vient d’écrire « Le Prix de la liberté », dans lequel elle critique violemment les traditions familiales ancestrales dont elle est issue. Il la convainc de l’accompagner au chevet de leur père.

*****

     Constituée de courts chapitres, cette chronique originale est pleine de tonus, d’humour, d’inventivité, de réalisme et d’ironie aussi. La simplicité du style, la précision des descriptions, la vivacité des réparties, le dynamisme de l’écriture, le ton léger et drôle donnent de l’attrait à la lecture du récit.

*****

     Le fond du livre porte sur la difficulté construire sa personnalité tout en conciliant la part de l’héritage familial et son désir d’émancipation.

Quelle émancipation ?

Celle de Miloud, qui pour éviter de se débattre comme une mouche dans une tasse de café noir, préfère être entretenu par une femme âgée en mal d’amour qui lui offre la richesse matérielle ?

Celle de Dounia, qui se targue de sa réussite professionnelle, et surtout d’être un symbole de l’intégration réussie qui lui vaut la notoriété médiatique ?

Une émancipation certes, mais à quel prix ?

Pour Miloud, le risque de plonger dans un océan de médiocrité et vivre de petites combines, dès qu’il cessera de plaire ?

Pour Dounia, le reniement de sa culture, la coupure avec sa famille, une anorexie assortie d’une psychanalyse !

     Par la plume de Faïza GUÈNE, Mourad, en fin observateur, prend du recul et tente réconcilier les siens.

4 mai 2014

Lucile BORDES (1971) – Je suis la marquise de Carabas (2012)

 

Le Théâtre de Pitou

     « Il a fallu que je questionne – pourquoi t’as un piano, c’est quoi tous ces vieux disques avec leurs partitions, t’es devenu maître parce que tu t’appelles Lemaître ? – pour que le sceau, le sceau transparent de l’exil, se craquelle un peu. » (p 134)

      Ce piano, il n’en jouait jamais, sauf  pour faire plaisir à la petite Lucile, tout en lui donnant ses premières leçons, alors qu’elle avait douze ans, il évoquait invariablement combien Clémentine, sa mère, « en jouait comme il faut ». Les disques, Emile et Alice Lemaître n’en écoutaient jamais. Quant aux partitions des films muets, lorsque la petite curieuse les avait découvertes après avoir tourné la petite clé dorée dans la serrure du buffet, il l’avait grondée. Tout en refermant les battants, il avait dit qu’elles étaient à sa mère, pour accompagner les films du Palace, le cinéma qu’ils avaient à Rive-de-Gier. Indices dérisoires en regard des souvenirs qu’Emile Lemaître, pressé de questions, évoquera plus tard, au soir de sa vie, à sa petite fille. Celle-ci découvre que ses ancêtres appartenaient à une célèbre troupe de marionnettistes ambulants qui se produisit durant une centaine d’années.

 

La théâtre de marionnettes 2

     La saga des Pitou commence en 1850 à Bellême dans l’Orne où la roulotte de M. Chok  vient de s’installer sur la place. Sa nièce Joséphine ayant besoin d’acheter des épingles, le forain l’accompagne à l’épicerie de M. Blandin où ils sont servis par Auguste Pitou, le jeune commis volubile de l’épicier. Séduit par le bagout du garçon, M. Chok l’invite à la représentation théâtrale du lendemain. Sous le charme du jeu des marionnettes, ensorcelé par les mots qu’elles semblent déclamer, émerveillé par les décors, saisi par le désir d’apprendre à réaliser cette magie-là, Auguste n’a de cesse d’abandonner le village, M. Blandin et son épicerie, de dire adieu à ses parents pour accompagner les forains sur les routes.

     Plus tard, Auguste et Joséphine se marièrent. Leurs enfants, puis leurs petits-enfants, grandirent dans les roulottes parmi les décors, les pantins de bois, le bric à brac qui servait aux effets et aux bruitages. Ceux-ci s’impliquèrent pleinement dans le fonctionnement artistique et matériel de l’entreprise familiale. La petite troupe, transporta son théâtre à travers la France, s’étoffa au cours des générations de Pitou, connut la renommée, la réussite, prit successivement le nom de « Théâtre des Fantoccini & Pitou », « Théâtre de Pitou », « Grand Théâtre de Pitou ». Touchée, comme son public, par les deux conflits mondiaux, les aléas politiques, économiques et sociaux que rencontrait le pays, elle souffrit des défaites, des récessions et des crises, se réjouit des victoires, du retour de la paix et des périodes de prospérité.

Crasmagne en scène 2

     Lucile BORDE restitue l’ambiance des tournées, l’originalité et la variété du répertoire, la fabrication des marionnettes, la confection des somptueux costumes, la réalisation des décors, la mise au point des trucages et des bruitages, l’accompagnement musical, la répartition des tâches, les répétitions, le montage du théâtre. Elle souligne l’adresse, la faconde et le comique d’Auguste, l’imagination, la créativité et l’ingéniosité d’Émile, les doigts de fée d’Eugénie, la virtuosité de Clémentine. Elle met en scène l’étrange complicité qui liait Émile à Crasmagne, le pantin vedette de la troupe. Et puis, viendra le moment où il faudra se rendre à l’évidence : les fantoches sont supplantés par le cinéma. L’oCrasmagne portrait 2ncle Paul incite la troupe à se consacrer à la nouvelle marotte du public. Les Pitou entreposent leurs bagages à Rive de Gier, où ils ouvrent une salle de cinéma, Le Palace.

     La construction du récit s’effectue avec des aller-et-retour entre l’évocation d’un siècle de vie d’une famille de saltimbanques par et pour les marionnettes  et les années 1995-1998.

     Porte-parole de son grand-père, l’auteur alterne, non sans humour, le récit sobre et passionnant de la chronique de ses ancêtres, avec des chapitres tendres et émouvants où la narratrice s’adresse au vieillard à l’agonie et s’interroge toujours sur les raisons du silence des générations suivantes.

      Je suis la marquise de Carabas est le premier roman de Lucile BORDES.

La dynastie des Pitou - Dates principales

Les PITOU

Documentation et sources des images qui ont servi aux montages:

http://www.artsdelamarionnette.eu/app/photopro.sk/marionnettes/detail?docref=Grand+th%C3%A9%C3%A2tre+Pitou#sessionhistory-BnvlB3cv

http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_98=REPR&VALUE_98=%20Crasmagne&DOM=All&REL_SPECIFIC=3

 

 

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17 avril 2014

LAURENT GRAFF (1968) - Grand absent (2013)

LAURENT GRAFF (1968) - Grand absent (2013)

D’une légère pichenette, Laurent GRAFF propulse les lecteurs dans un monde dénué de sens, envahi de procédures vouées à satisfaire le culte du gigantisme, de la productivité, de la rentabilité, de la performance.

Queue 1

Le récit se décline en quatorze chapitres sans dialogue, autant de petits textes au style sobre, descriptif,  relatant des situations où  l’individu évolue dans des lieux où tout pittoresque a été volontairement exclu. Entre les barrières de trajets balisés de panneaux, dont il a intérêt à connaître le code de couleurs spécifiques, il suit les injonctions d’une batterie de pictogrammes. Docile, intégré dans une file, il patiente statique ou progresse au rythme lent, sporadique, du dos qui le précède.

 

Le robot du parking

 Les êtres dépeints par Laurent GRAFF ont perdu toute individualité, toute originalité, ont abandonné leur liberté d’inventer, de penser, d’imaginer. Crédules, ils sont le gibier idéal d’escrocs de tout poil. Leur confiance aveugle dans les techniques nouvelles stérilise leurs capacités d’aimer et de créer. Incapables d’exister par eux-mêmes, ils sont assujettis aux modes, à l’uniformisation de comportements jusque dans leur sexualité. Fondus dans la foule, vidés de toute volonté, de capacité de jugement, ils subissent sans rechigner la domination généralisée de la technologie, de la domotique, éléments d’un tout complètement asservi aux dictats de procédures d’utilisation, de méthodes de régulation et d’optimisation qu’« On » a mis en œuvre, dont « On » a prévu tous les cas de figure, pour lesquelles « On » a voté parmi les solutions envisagées par « On ». Qui se révolte ou s’égare est aussitôt pris en charge, au mieux reconduit à sa place.

Queue 2

Quel soulagement lorsqu’on arrive à la 126ème page du livre, tant la lecture de cet ouvrage est déroutante et met mal à l’aise ! Cependant, quelques traits d’humour font sourire, encore s’agit-il de sourires très jaunes. Le grand absent, c’est l’Homme. Le propos ne laisse pas indifférent, il effraie, même. On se sent si proche d’une telle société !  Souhaitons que les récalcitrants, heureusement encore nombreux, puissent le rester encore longtemps et qu’un sursaut de bon sens ouvre enfin  les yeux des suiveurs dociles ! Laurent GRAFF, quant à lui, fait preuve d’originalité : avec ce livre atypique, il réussit la gageure de rendre vraisemblable ce qui nous paraît absurde .

Hélas, pas tant que ça, cependant !

A méditer !

 

La Longue marche - Photo Jason Lee/Reuters parue dans le Figaro Magazine des 6 et 7 juin 2014.

Scan d'une photo de Jason LEE/REUTERS, parue dans le FIGARO MAGAZINE des 6 et 7 juin 2014 avec la légende suivante:

"LA LONGUE MARCHE. 

Ces Chinois ne font pas la queue pour visiter ubne exposition mais pour rendre le métro!

Emprisonnés dans un dédale de barrières metalliques fabriquées pour les JO de 2008, ils attendent de pouvoir franchir les contrôles de sécurité instaurés depuis quinze jours à l'entrée de neuf stations, dans le cadre d'un plan de lutte contre les attentats commis ces derniers mois par les séparatistes musulmans ouïgours. Les usagers du métro pékinois, déjà le plus saturé du monde prennent visiblement leur mal en patience. Certains d'entre euxont néanmoins critiqué la mesure sur les réseaux sociaux, en soulignant que "dans ces cages", ils se sentaient "plus vulnérables en cas d'attentat ou de panique"."

27 mars 2014

Guy de MAUPASSANT 1850~1888) - BEL-AMI (1885)

 

buste homme

Guy de MAUPASSANT 1850~1888) - BEL-AMI (1885)

 

     Après quelques études, George Duroy, fils d’aubergistes normands à Canteleu au nord-ouest de Rouen, s’est engagé dans l’armée d’Afrique. Il en sort pour s’asseoir dans le bureau morne d’une compagnie de chemin de fer pour un tout petit salaire et vivre dans un appartement pitoyable. Le jeune homme, venu tenter sa chance à Paris, erre sur les boulevards quand il rencontre fortuitement un ancien camarade de régiment qui lui entrouvre les portes du journal "La vie française", dans lequel il est rédacteur politique.

     Duroy est ambitieux. Son ascension se fera par les femmes de 17 à 77 ans. La petite fille d’une de ses maîtresses le surnommera Bel-ami. La femme est objet de plaisir. La femme est un moyen d’accéder à un statut social par sa fortune et la conclusion d’un mariage, soit en mettant ses capacités intellectuelles et ses relations au service de l’homme.

     MAUPASSANT met ici son talent pour la nouvelle au service fait d’une peinture réaliste des mœurs de la IIIe République à la fin du XIXe siècle, sous la forme d’une succession de tableaux suggestifs, denses, condensés, expressifs. Ces tableaux s’articulent,  autour d’une ligne directrice : l’ascension sociale de Georges Duroy favorisée par les relations féminines. Par les femmes, sa carrière de journalistique progresse, il fait un riche mariage et accède à la fortune, obtient le titre de Baron du Cantel, est décoré. Tout cela le mènera jusqu’à…la députation ? … ou la chute ? … sait-on ?

Tenue de l'homme du monde en 1880

*****

MAUPASSANT décrit l’ambiance qui règne dans les salles de rédaction où se font et se défont des ministères, les salons mondains où naissent les intrigues et les liaisons, dénonçant par là la collusion entre la presse, la finance et la politique. Il peint la société des bourgeois parvenus à laquelle s’accrochent des ambitieux sans scrupules et parfois des représentants de la noblesse pauvre en quête de l’opportunité de redorer leurs blasons.

      MAUPASSANT ne se contente pas de peindre des portraits, des tableaux, il imprègne son récit de l’atmosphère, des odeurs et des bruits périphériques. Il nous incite à partager son amour de la nature.

     Dans les moments importants de son cheminement, au–delà des apparences, les miroirs ou l’eau reflètent l’image de Duroy. L’image de Bel-Ami se retrouve aussi dans la représentation du christ du tableau.

De même, tout au long du roman la mort ou son image est présente.

       Bel-Ami, commencé durant l’été de 1884, est paru en feuilleton du 6 avril au 30 mai 1885 et en volume le 22 mai. Le livre a acquis d’emblée la faveur du public. Son contenu  agite le monde du journalisme, de la politique et des affaires : certains se reconnaissent sous la caricature. MAUPASSANT trouve en effet son inspiration dans un milieu qu’il connaît de l’intérieur.

 

      Il s’appuie sur des affaires et des scandales récents, situe l’intrigue dans des lieux qu’il a fréquentés. L’affaire de la dette du Maroc est la transposition de celle de Tunisie (1881).

A propos de la dette de Tunisie, voir : L’AFFAIRE TUNISIENNE – L’AFFAIRE DE L’ENFIDA (1881-1882)

 

9 mars 2014

Louise ERDRICH - Dans le silence du vent (2013)

Louise ERDRICH - Dans le silence du vent  (2013)

Traduit de l’américain par Isabelle Reinharez(1)


Antone Bazil Coutts, un Amérindien ojibwa né en territoire indien au nord du Dakota, revit les évènements qui ont bouleversé son existence en 1988, alors qu’il avait treize ans. Fils unique d’un juge aux affaires indiennes et de Géraldine, chargée de la conservation de la généalogie des familles de la réserve, il porte le même nom que son père, mais il préfère se faire appeler Joe.

Territoires indiens aujourd'hui

À quelques jours des vacances d’été, tout l'après-midi de ce dimanche de juin 1988, Joe s'est acharné à extirper les arbustes qui s'étaient attaqués aux fondations de leur maison. Son père avait rapidement renoncé à continuer, il était entré à l'intérieur pour téléphoner à son épouse partie à son bureau chercher un dossier, puis n'était pas ressorti. Jeo avait pensé qu'il avait dû s'allonger pour faire la sieste. À son réveil, Geraldine n’est toujours pas revenue. L’heure de dîner approchant, Antone Bazil Coutts propose de passer emprunter la voiture de sa sœur Clemence et de partir la « trouver » aux bureaux de l’administration tribale. Arrivés là, le parc de stationnement est vide et les fenêtres des bureaux sont obscures. Peut-être, est-elle allée faire un achat de dernière minute, oubliant que la supérette est fermée le dimanche ?  Quand ils la croisent, elle passe à côté d'eux à toute allure, roulant au-delà de la vitesse autorisée, manifestement pressée de rentrer. Quand, en remontant l'allée à pied, après avoir reconduit le véhicule emprunté, ils voient qu'elle est toujours dans l’automobile, assise au volant, face à la porte du garage, ils comprennent que quelque chose d’anormal est arrivé. Geraldine est parvenue à s’enfuir après avoir été violemment attaquée, battue, violée et aspergée avec de l’essence que son agresseur a tentée d’incendier.


Désormais, plus rien ne sera comme avant ! Geraldine s’enferme jours et nuits dans sa chambre, reste prostrée dans le noir, se laisse dépérir, refuse toute visite et prétend ne se rappeler de rien. Joe et son père désespèrent de la voir reprendre goût à la vie. Le crime a eu lieu près de la Maison Ronde où s’imbriquent des territoires dépendants de différentes juridictions. Si la tragédie s’est déroulée hors de la réserve, les lois sont telles qu’elle restera très probablement impunie si le coupable est un Blanc. Le mutisme de la victime, le manque d’indices, ajoutés au peu de zèle des enquêteurs, entravent l’aboutissement des recherches. Persuadé qu’elle sait qui est le coupable, aidé de Joe, le juge sélectionne parmi les dossiers qu’il a traités, d’anciennes affaires dont l’issue pourrait expliquer un acte de vengeance de la part d’une personne mécontente de son jugement. L’image paternelle s’effrite lorsque Joe découvre que les dossiers relevant de la juridiction de la réserve ne portent en réalité que sur de petits délits. Son père n’est plus qu’un vieil homme désemparé au cœur malade, aux pouvoirs juridiques infimes. Obsédé par la présence à l’étage de sa mère confinée dans sa chambre, obnubilé par son visage tuméfié, ses joues marquées, ses lèvres fendues, inquiet des plateaux des repas retrouvés intacts et de l’amaigrissement morbide de Geraldine, Joe fuit chaque jour un foyer désorganisé exhalant l’inquiétude, l’insécurité et la peur. Après avoir mené sa propre enquête, le garçon décide de faire justice lui-même avec la complicité discrète de son meilleur ami Cappy et la protection tacite de toute la communauté.

escapade à vélo


Dans ce récit à la première personne, Louise ERDRICH apporte de la fraîcheur au roman en se glissant avec talent dans la peau de l’adolescent. Joe a l’âge où l’on sort de l’innocence et de l’insouciance de l’enfance, où, tout en défiant pour soi les conventions sociales, on juge sans concession le monde des adultes. Quand ils ne collectent pas le bois pour alimenter le feu de la cabane de sudation, Joe et Cappy retrouvent leurs copains, Zark et Andy. Ensemble, incarnés dans leurs héros de séries télévisées, ils sillonnent la campagne à vélo. La bande ratisse les abords de la maison ronde, jusqu’au lac et les limites du terrain de golf, à la quête du moindre objet perdu ou oublié par l’agresseur de Geraldine.

Cérémonie de purification

Dans un univers de légendes, de magie, de traditions ancestrales, d’épopées de la tribu racontées en rêves par le grand-père Mooshum, d’histoires familiales, de haines ataviques, de la catéchèse du nouveau curé de la paroisse catholique, tout en tournant autour du camp des jeunes de la mission venue prêcher en terre indienne, les jeunes retapent des guimbardes, rendent des services, pratiques de petits boulots, rêvent d’achats de produits de marque, satisfont leur appétit insatiable, prennent leurs premières cuites, tentent de consoler Cappy de son premier chagrin d’amour, tandis que Joe s’émoustille en reluquant les seins de sa tante Sonja.

S’appuyant sur des faits réels, Louise ERDRICH dénonce, dans ce récit traité sous forme de fiction, l’injustice concernant le règlement des affaires de viol sur les femmes amérindiennes par les tribunaux, en raison de l’enchevêtrement des lois, qui entrave les poursuites judiciaires. Elle rappelle, dans sa postface, l’impunité dont bénéficient 86% des auteurs non-Indiens de viols et de violences sexuelles sur des femmes amérindiennes.

          Louise ERDRIC a reçu le National Book Award en 2012 pour son roman DANS LE SILENCE DU VENT, qui fut aussi élu meilleur livre de l’année par les libraires américains.

Isabelle Reinharez

Traductrice littéraire de l’anglais ou de l’américain, Isabelle Reinharez vit en Poitou-Charentes où elle est responsable bénévole de la bibliothèque municipale de Saint-Sauvant (Vienne). Elle a travaillé sur des œuvres de G.K. Chesterton, Louise Erdrich, Robert Olen Butler, Anne Enright, Tim Parks ou Ron Rash. Elle collabore principalement avec les éditions Rivages Noir, Albin Michel et Actes Sud, où elle a dirigé de 1990 à 2000 la collection de littérature anglaise et américaine.

Origine des illustrations et commentaire:

Histoire des Indiens d’Amérique du Nord Arlene Hirschfelder ; Préface de Beverly M. Whright-   Éditions LAROUSSE

Les territoires indiens aujourd’hui pages 172 et 173 :
La population amérindienne est passée, États-Unis et Canada confondus, d'un peu moins de 500 000 individus en 1930 à plus de 3 000 000 en 2000. En 2001, on comptait quelque trois cents réserves indiennes aux États-Unis et environ deux mille cinq cents au Canada. Mais près de 75 p. 100 des Indiens des États-Unis et 42 p. 100 des Indiens du Canada vivent en dehors, à la recherche d'un emploi et de meilleures conditions de vie.

Cérémonie de purification  pages 24 et 25

 Sur cette photo, des Dakotas se préparent pour la cérémonie de purification qui constitue à la fois un rite religieux et une thérapeutique. La cérémonie a lieu sous une tente de branchages recourbés recouverte de peaux. Il s'agit de se purifier dans un bain de vapeur produite en versant de l'eau sur des pierres surchauffées.

Escapade à vélo est une image extraite du film de démonstration du logiciel de montage vidéo Pinnacle 16 « OurNatuteAventure »

19 février 2014

François-Régis BASTIDE (1926~1996) - L’homme au désir d’amour lointain (1994)

François-Régis BASTIDE (1926~1996) - L’homme au désir d’amour lointain (1994)

     Au retour d’une délégation diplomatique à Copenhague, le héros du roman est nommé ambassadeur dans un état imaginaire riverain de l’Adriatique, situé aux confins de l’Italie et de la Slovénie, dont la capitale est Mittelbourg. la Villanovie. Le royaume de Villanovie est petit, mais riche en raison de ses ressources minières d’argent et de Bauxite d’aluminium.  Ce royaume d’opérette pourrait être un petit paradis avec son héritage étrusque, ses jardins magnifiques, ses tamaris, ses micocouliers et ses arbres rares. Le villanovien est une langue pratiquement inaccessible tant elle est complexe. C’est un mélange de bas-slavon, et de chtokavien pire que le hongrois, ce qui est peu dire ! Regina Ilma, la jeune reine, apparentée à toutes les cours d’Europe, est réputée dans les chancelleries pour n’accepter que les lettres de créances présentées par des diplomates célibataires ou veufs.

VILLANOVIE

     Outre ses réceptions, ses relations avec les autres diplomates accrédités, ses contacts en vue d’écouler nos produits agricoles et industriels, Son Excellence, se voit chargée de recevoir la délégation française et de représenter la France à la conférence internationale de la SCE. Cet aspect du roman entraine le lecteur dans les arcanes des couloirs d’une rencontre où tout renseignement glané peut être précieux, où tous les pièges sont tendus, où tout faux-pas peut avoir des conséquences désastreuses. Elle ne s’en sort pas si mal faisant face à tous les défis, évite même la catastrophe à l’instant le plus critique.

     Sur les traces des amours de Valery LARBAUD / Barnabooth, de RILKE  et de STANDAHL, accompagné des mélodies de Mozart, Brahms, Ravel, notre ambassadeur se laisse prendre aux charmes de Sa Majesté Regina Ilma. M. Pingouin et Mrs. Wilson font de folles escapades secrètes, tendres, futiles et cocasses.

      Jusqu’où ces amours de midinette de l’ambassadeur le mèneront-elles ? Qui est ce mystérieux Arthur L. ? Quel rôle joue-t-il ? François-Régis Bastide allie avec brio vraisemblance, fantaisie et imagination délirante et soutient le suspens tout au long du récit. Le style de l’écriture est un régal !  

Note : CSCE/OSCE : Conference on Security and Co-operation in Europa/ Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe ocessus d’Helsinski    

19 janvier 2014

AGUS Milena (1958) – Quand le requin dort (2010)

AGUS Milena (1958) – Quand le requin dort (2010)

«Et moi j’écris des histoires, parce que le monde ne me plaît pas, je me transporte dans le mien et je suis bien.

 Dans ce monde-ci, il y a plein de choses qui ne me plaisent pas. Je dirais même que je le trouve moche, et je préfère décidément le mien. »

Celle qui écrit ces lignes est une adolescente sarde. Ses histoires sont celles de sa famille où chacun navigue entre fantasmes et réalité, égoïsme et générosité, rire et désespoir, rêve d’avenir meilleur et certitude de ne jamais pouvoir sortir de la poisse dans laquelle tous s’enlisent.

***

Le père, bel homme, charmeur, drôle, beau parleur, est absent la plupart du temps. La mission de cet époux aimant, et père attentionné, est ailleurs,  en Amérique du Sud, à soulager les misères du tiers-monde. Il est mécanicien lorsqu’il est présent. Tout en réparant leur véhicule, il séduit ses clientes avec ses exposés sur sa notion de Dieu. Pour financer ses bonnes œuvres, il vend en douce à ses maîtresses, les aquarelles de sa femme chérie.

La mère, gauche, complexée, mal fagotée, fragile, dépressive, superstitieuse, anorexique et suicidaire est en mal d’amour absolu et d’un monde parfait. Elle ne semble heureuse que sur la terrasse-dépotoir de l’immeuble  qu’elle a valorisé en jardin suspendu ou, lorsqu’elle saisit et reproduit sur ses œuvres picturales, les nuances d’un paysage.

Le frère est brimé dans son école par ses congénères. Introverti et taciturne, il se réfugie dans sa chambre où, il se console en travaillant inlassablement au piano des partitions musicales, en interprétant les œuvres de Beethoven et autres « grands déjantés ».

La tante est une grande et très belle femme qui enseigne d’histoire à l’université. Séduisante et aguicheuse, en dépit de son désir d’union durable, ses amours sont sans lendemain et ses fiancés attitrés sont intermittents.

La grand-mère  se désole de  voir sa famille engluée dans son mal-être. Elle prodigue des remarques et des conseils, dont tous considèrent les références morales, religieuses et sociales, d’un autre âge. La vieille femme compense son impuissance en leur confectionnant des pâtisseries et de délicieux petits plats roboratifs et réconfortants. 

La narratrice observe  son entourage et tente de répondre aux questions qui l’obsèdent : l’existence de Dieu, l’utilité de la superstition, l’amour, le sexe, l’amitié. Ses récits des faits bruts ingénus et crus, rapportent l’ambiance familiale. Et dans sa vie, il y a …

« Lui » …, un homme marié et père de famille.« Lui », qui lui impose une relation sadomasochiste que, malgré sa candeur et la liberté de parole qui règne dans la famille, elle sent inavouable.

illustration quand le requin dort

***

Le père a rebaptisé la famille Sevilla-Mendoza. Hormis le docteur Salevsky,  Mauro de Cortes, Maria Asunción, les personnages et la famille n’ont pas d’identité propre. Les membres de la famille sont cités en fonction de la place qu’ils y occupent et les autres personnes sont affublées d’un surnom : le vétérinaire, l’Autrichien. Le manipulateur secret, c’est « Lui ».

Un père absent, un frère inexistant, finalement, la narratrice vit dans une famille sans homme, où pourtant la gente masculine occupe la place centrale dans l’esprit de dames complices et fatalistes, imprégnées d’un machisme archaïque.

Un rayon d’espoir glisse timidement sur les derniers chapitres, sans être vraiment crédible.

***

Quand le requin dort serait en réalité le premier roman de Milena AGUS. Mal de pierre, Battements d’ailes, déjà parus en français respectivement en 2007 et 2008 reprenaient certains des thèmes abordés dans Quand le requin dort, en les traitant de manière plus accomplie et plus convaincante.

Milena AGUS (1958) - Battement d’ailes (2008)

Milena AGUS – Mal de pierre (2007) - Mal di pietre (2006)

 

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