Faïza GUÈNE (1985) – Un homme ça ne pleure pas (2014)
Faïza GUÈNE (1985) – Un homme ça ne pleure pas (2014)
La famille Chennoun, d’origine algérienne vit à Nice, où sont nés les trois enfants d’Abdelkader et de Djamila.
Le père, un ancien cordonnier, adore bricoler et entrepose dans le jardin de la maison un bric-à-brac invraisemblable d’objets - « Ça peut toujours servir ! », précise-t-il -, qui anéantissent le rêve de la mère d’y voir un jour plantés oliviers, citronniers ou orangers. Le Padre ne sait ni lire ni écrire, mais porte des lunettes sur le nez et des stylos Bic accrochés à la poche de sa chemisette. C’est un sage, un père aimant, attaché à la bonne éducation de ses enfants, à leur réussite scolaire et qui veille à leur inculquer des principes - « Un homme ça ne pleure pas. »-.
L’obsession du narrateur, Mourad, le benjamin des enfants du couple, serait de devenir un vieux garçon obèse aux cheveux poivre et sel, nourri à base d’huile de friture par sa mère. Nourrir, gaver sa progéniture de nourriture est en effet l’objectif premier de la mère, une femme au foyer expansive, dévouée aux siens, avisée sur tout qui n’admet aucune contradiction. Son amour exigeant, sa susceptibilité, son art à simuler des malaises, à culpabiliser sa famille, en font une tragédienne hors pair.
Mourad a deux sœurs.
Dès l’adolescence, Dounia, l’aînée, envie la liberté de mœurs dont jouissent ses copines de classe. « Tu crois que tu t’appelle Christine ? ! » lui reproche son père indigné par l’indécence, à ses yeux, de sa tenue vestimentaire. Elle préfèrerait, c’est sûr ! Elle préfèrerait tellement qu’elledésobéit effrontément aux règles familiales. Mourad est partagé entre son admiration pour l’intelligence, la volonté et le courage de sa sœur, qui, tout en travaillant, réussit brillamment ses études pour être avocate, et sa stupéfaction face à ses provocations. Au grand désespoir de ses parents, la rebelle finit par se fâcher avec tout le monde et claquer la porte de la maison. Elle n’y remettra plus les pieds pendant dix ans. Indignés et chagrinés, les Chennoun apprendront par la presse, que leur fille est la présidente-fondatrice des FPC, l’association féministe « Fières et pas connes, et qu’elle se présente aux élections à Nice sur une liste de ... droite.
Docile, Mina, la cadette est entrée sans heurt dans le moule parental. Attirée par la compagnie des personnes âgées, elle travaille dans une maison de retraite, y a fait connaissance d’un aide-soignant, Jalid, qu’elle a épousé à vingt ans. Le couple a trois enfants et habite le même quartier que les Chennoun et Mina passe voir sa mère presque chaque jour.
Mourad est devenu un jeune homme timoré, introverti. Solitaire il se réfugie dans la lecture, est amoureux de littérature et souhaite enseigner les lettres. Bon élève, il vient de réussir au CAPES. Mourad reçoit son affectation en zone prioritaire à Montreuil en Seine-Saint-Denis. Avant son départ, Abdelkader, qui est hospitalisé après un AVC qui l’a laissé hémiplégique et très diminué, lui confie qu’il souhaiterait revoir Dounia avant de mourir.
Miloud, un cousin, vit justement à Paris. Il pourra héberger Mourad temporairement. À Alger, dans sa jeunesse, Miloud avait passé beaucoup de temps assis aux terrasses des cafétérias. Grand amateur de raï et habitué de la boîte de nuit Le Saphir bleu, il est maintenant le gigolo d’une riche bourgeoise avec un nom à particule, qui pourrait être sa mère. Liliane lui offre une vie de nabab dans son magnifique appartement superbement meublé du seizième arrondissement, à la bonne tenue duquel veille l’imperturbable Mario, le majordome italien.
La peur au ventre, Mourad se rend au collège à bord de la Mercédès de son cousin et s’apprête à ajuster ses premiers scuds anti-chahut.
Mourad retrouve Dounia à Paris, où sa sœur fait la promotion du livre qu’elle vient d’écrire « Le Prix de la liberté », dans lequel elle critique violemment les traditions familiales ancestrales dont elle est issue. Il la convainc de l’accompagner au chevet de leur père.
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Constituée de courts chapitres, cette chronique originale est pleine de tonus, d’humour, d’inventivité, de réalisme et d’ironie aussi. La simplicité du style, la précision des descriptions, la vivacité des réparties, le dynamisme de l’écriture, le ton léger et drôle donnent de l’attrait à la lecture du récit.
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Le fond du livre porte sur la difficulté construire sa personnalité tout en conciliant la part de l’héritage familial et son désir d’émancipation.
Quelle émancipation ?
Celle de Miloud, qui pour éviter de se débattre comme une mouche dans une tasse de café noir, préfère être entretenu par une femme âgée en mal d’amour qui lui offre la richesse matérielle ?
Celle de Dounia, qui se targue de sa réussite professionnelle, et surtout d’être un symbole de l’intégration réussie qui lui vaut la notoriété médiatique ?
Une émancipation certes, mais à quel prix ?
Pour Miloud, le risque de plonger dans un océan de médiocrité et vivre de petites combines, dès qu’il cessera de plaire ?
Pour Dounia, le reniement de sa culture, la coupure avec sa famille, une anorexie assortie d’une psychanalyse !
Par la plume de Faïza GUÈNE, Mourad, en fin observateur, prend du recul et tente réconcilier les siens.