ROMAIN GARY (1914~1980) - Chien blanc (1970)
ROMAIN GARY (1914~1980)
Chien blanc (1970)
Alors que, vers midi, une averse démesurée s’abattait sur Los Angeles et « que des torrents d’eau déferlaient dans les avenues », Sandy revenait à la villa de Beverly Hills occupée par Romain GARY et sa famille. Sandy était « un grand chien jaune, probablement descendant indirect de quelque lointain danois ». L’animal rentrait d’une fugue, piteux et crotté, en compagnie d’« une belle bête qui donnait une impression de force et d’intelligence », un berger allemand sans collier, grisonnant, âgé de six ou sept ans. En attendant que son maître se manifeste, l’hôte se joignit à la petite ménagerie domestique et fut surnommé Batka. C’était un animal paisible, tolérant envers les chats des propriétaires des lieux, de bonne compagnie avec tous, d’un accueil civil envers les visiteurs de passage à la villa.
Hélas, Romain Gary ne tarda pas à constater un changement radical du comportement de Batka dès qu’un Noir se présentait au portail. Le diagnostic de son ami Jack Carruthers, dresseur, propriétaire d’un zoo d’animaux de cinéma, fut formel : ‘‘« Ce chien a été dressé pour attaquer les Noirs ». L’animal est trop vieux pour qu’il soit possible de corriger son dressage’’. Ne pouvant se résoudre à faire piquer Batka, Romain GARY décida de ne pas le rendre à ses propriétaires et de relever le défi. Il accepta de confier cette tâche au meileur dresseur du zoo de Jack, un Noir surnommé Keys qui estimait être en mesure de rééduquer le « white dog ».
Force effusions fêtaient chaque visite du narrateur à Batka, tandis que ce dernier suivait horrifié et inquiet, les horribles procédés employés par Keys sur l’animal afin d’atteindre son but. L’issue du lavage de cerveau de Batka dépassa tout ce que GARY aurait pu imaginer : le Chien Blanc devint un Chien Noir conditionné pour attaquer les Blancs.
Le récit du sort tragique de Batka se situe dans le cadre de la lutte des Noirs américains pour les droits civiques en 1968, année marquée par la multiplication des émeutes raciales qui ont suivi l’assassinat du pasteur Martin Luther King, la guerre du Vietnam et, en France, les évènements de mai et juin.
Pour ce qui concerne le problème noir, l’examen de Romain GARY porte en grande partie sur la peur et le sentiment de culpabilité. L’auteur souligne les incohérences au cœur des différents points de vue. Au racisme blanc, il oppose un racisme noir et raille l’hypocrisie des Blancs célèbres et riches qui, battant leur coulpe frénétiquement, justifient la violence des manifestants, par idéalisme, intérêt ou opportunisme, à l’abri des murs de quelque quartier résidentiel. La malhonnêteté des multiples groupes de soutien à la promotion de la cause noire, qui gravitent autour son épouse Jean Seberg, l’indigne. Certains, pense-t-il, sont infiltrés par le FBI afin de surveiller leurs actions, voire en émanent dans le but de créer la zizanie entre les diverses tendances du mouvement. Les fondateurs de ces groupuscules entretiennent et exploitent la mauvaise conscience et la naïveté des Blancs qui y militent. La présentation caricaturale et réductrice des médias, tout comme les lieux communs bêtement colportés, souvent sans fondement, par tout un chacun, sur le sujet, l’horripilent. Que la perversité humaine conduise des hommes à dépraver les animaux en exploitant les qualités et les spécificités inhérentes à leur race en vue d’en faire les instruments de leurs desseins les plus vils, le révolte.
Au-delà de l’affectivité qui le lie aux animaux, Romain GARY éprouvait envers eux une admiration et un attachement, qui n’avaient rien d’anthropomorphiques. Il ressentait envers Batka une connivence faite de tendresse, mais que son exaspération face au comportement des hommes portait souvent à s’identifier à un chien qui ayant rompu la laisse qui le retenait au monde, dit civilisé, se muait, tous crocs dehors, en fauve furieux et cruel.
Romain GARY était désespéré de se révéler incapable de protéger Jean Seberg, la femme qu’il aimait, de son penchant à expier un double sentiment de culpabilité : celui de la vedette de cinéma, enviée et méprisée à la fois, et de la luthérienne héritière du péché originel.
Le narrateur apportait cependant une note d’optimisme en évoquant une jeunesse noire qui se sentait américaine avant tout. Le désir manifesté dans les lettres de Philip à l’auteur, de faire carrière dans l’armée grâce à la fraternité d’armes qu’il vivait au Vietnam, sa fierté d’être promu officier, en dépit de la mort tragique au combat du jeune homme, le réconfortait. À Paris, il s’inquiétait de l’amour qui liait Madeleine, une Blanche, à Ballard, un jeune Noir incapable de s’adapter à l’exil à Paris que lui imposait sa désertion de l’armée. Que tous deux aient choisi que Ballard se constitue prisonnier afin de pouvoir vivre leur amour aux États-Unis, l’avait rassuré.
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Dans une analyse rationnelle aisément transposable aux problèmes sociaux du monde d’aujourd’hui, associée à une ironie mordante, mêlant autobiographie et fiction, se basant sur son expérience personnelle et les rencontres qu’il a pu faire, Romain GARY explore les différentes facettes de la ségrégation raciale et de ses conséquences. Une mise en scène dynamique des évènements qui alimentent sa réflexion alterne avec les épisodes du destin pathétique de Batka. L’examen des actions et des propos attribués aux protagonistes des divers points de vue provoque chez le narrateur des réactions viscérales qu’il expose avec lucidité, un humour parfois féroce et une sensibilité attachante.