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25 novembre 2013

ROMAIN GARY (1914~1980) - Chien blanc (1970)

ROMAIN GARY (1914~1980)

Chien blanc (1970)

     Alors que, vers midi, une averse démesurée s’abattait sur Los Angeles et « que des torrents d’eau déferlaient dans les avenues », Sandy revenait à la villa de Beverly Hills occupée par Romain GARY et sa famille. Sandy était « un grand chien jaune, probablement descendant indirect de quelque lointain danois ». L’animal rentrait d’une fugue, piteux et crotté, en compagnie d’« une belle bête qui donnait une impression de force et d’intelligence », un berger allemand sans collier, grisonnant, âgé de six ou sept ans. En attendant que son maître se manifeste, l’hôte se joignit à la petite ménagerie domestique et fut surnommé Batka. C’était un animal paisible, tolérant envers les chats des propriétaires des lieux, de bonne compagnie avec tous, d’un accueil civil envers les visiteurs de passage à la villa.

     Hélas, Romain Gary ne tarda pas à constater un changement radical du comportement de Batka dès qu’un Noir se présentait au portail. Le diagnostic de son ami Jack Carruthers, dresseur, propriétaire d’un zoo d’animaux de cinéma, fut formel : ‘‘« Ce chien a été dressé pour attaquer les Noirs ». L’animal est trop vieux pour qu’il soit possible de corriger son dressage’’. Ne pouvant se résoudre à faire piquer Batka, Romain GARY décida de ne pas le rendre à ses propriétaires et de relever le défi. Il accepta de confier cette tâche au meileur dresseur du zoo de Jack, un Noir surnommé Keys qui estimait être en mesure de rééduquer le « white dog ».

 

Chiens dressés pour la répression des émeutes raciales en 1968 - 2


Chiens dressés pour la répression des émeutes raciales en 1968 - 3

     Force effusions fêtaient chaque visite du narrateur à Batka, tandis que ce dernier suivait horrifié et inquiet, les horribles procédés employés par Keys sur l’animal afin d’atteindre son but. L’issue du lavage de cerveau de Batka dépassa tout ce que GARY aurait pu imaginer : le Chien Blanc devint un  Chien Noir  conditionné pour attaquer les Blancs.

     Le récit du sort tragique de Batka se situe dans le cadre de la lutte des Noirs américains pour les droits civiques en 1968, année marquée par la multiplication des émeutes raciales qui ont suivi l’assassinat du pasteur Martin Luther King, la guerre du Vietnam et, en France, les évènements de mai et juin.

     Pour ce qui concerne le problème noir, l’examen de Romain GARY porte en grande partie sur la peur et le sentiment de culpabilité. L’auteur souligne les incohérences au cœur des différents points de vue. Au racisme blanc, il oppose un racisme noir et raille l’hypocrisie des Blancs célèbres et riches qui, battant leur coulpe frénétiquement, justifient la violence des manifestants, par idéalisme, intérêt ou opportunisme, à l’abri des murs de quelque quartier résidentiel. La malhonnêteté des multiples groupes de soutien à la promotion de la cause noire, qui  gravitent autour son épouse Jean Seberg, l’indigne. Certains, pense-t-il, sont infiltrés par le FBI afin de surveiller leurs actions, voire en émanent dans le but de créer la zizanie entre les diverses tendances du mouvement. Les fondateurs de ces groupuscules entretiennent et exploitent la mauvaise conscience et la naïveté des Blancs qui y militent. La présentation caricaturale et réductrice des médias, tout comme les lieux communs bêtement colportés, souvent sans fondement, par tout un chacun, sur le sujet, l’horripilent. Que la perversité humaine conduise des hommes à dépraver les animaux en exploitant les qualités et les spécificités inhérentes  à leur race  en vue d’en faire les instruments de leurs desseins les plus vils, le révolte.

     Au-delà de l’affectivité qui le lie aux animaux, Romain GARY éprouvait envers eux une admiration et un attachement, qui n’avaient rien d’anthropomorphiques. Il ressentait envers Batka une connivence faite de tendresse, mais que son exaspération face au comportement des hommes portait souvent à s’identifier à un chien qui ayant rompu la laisse qui le retenait au monde, dit civilisé, se muait, tous crocs dehors, en fauve furieux et cruel.

     Romain GARY était désespéré de se révéler incapable de protéger Jean Seberg, la femme qu’il aimait, de son penchant à expier un double sentiment de culpabilité : celui de la vedette de cinéma, enviée et méprisée à la fois, et de la luthérienne héritière du péché originel.

     Le narrateur apportait cependant une note d’optimisme en évoquant une jeunesse noire qui se sentait américaine avant tout. Le désir manifesté dans les lettres de Philip à l’auteur, de faire carrière dans l’armée grâce à la fraternité d’armes qu’il vivait au Vietnam, sa fierté d’être promu officier, en dépit de la mort tragique au combat du jeune homme, le réconfortait. À Paris, il s’inquiétait de l’amour qui liait Madeleine, une Blanche, à Ballard, un jeune Noir incapable de s’adapter à l’exil à Paris que lui imposait sa désertion de l’armée. Que tous deux aient choisi que Ballard se constitue prisonnier afin de pouvoir vivre leur amour aux États-Unis, l’avait rassuré.

 

Fraternité d'armes durant la guerre du Vietnam

 http://whosure.diandian.com/post/2012-01-08/14111624

     Dans une analyse rationnelle aisément transposable aux problèmes sociaux du monde d’aujourd’hui, associée à une ironie mordante, mêlant autobiographie et fiction, se basant sur son expérience personnelle et les rencontres qu’il a pu faire, Romain GARY explore les différentes facettes de la ségrégation raciale et de ses conséquences. Une mise en scène dynamique des évènements qui alimentent sa réflexion alterne avec les épisodes du destin pathétique de Batka. L’examen des actions et des propos attribués aux protagonistes des divers points de vue provoque chez le narrateur des réactions viscérales qu’il expose avec lucidité, un humour parfois féroce et une sensibilité attachante.

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9 novembre 2013

Patrick MODIANO (1945) – L’Horizon (2011)

Patrick MODIANO (1945) – L’Horizon (2011)

Depuis quelques temps, Jean Bosmans, la soixantaine, écrivain, auteur d’une vingtaine de livres, note sur un carnet de moleskine noire, des noms, des lieux, des numéros de téléphone, des épisodes sans suite. L’homme tente d’assembler ces bribes de l’époque de sa jeunesse et de combler les vides laissés dans cette liste d’éléments diffus. Progressivement, le brouillard se dissipe, des personnages se dessinent, des scènes se précisent.

*****

Ce soir là, place de l’Opéra, des manifestants, reflués dans les escaliers du métro par la charge des CRS, les avaient bousculés, plaqués contre le mur. Hasard qui fut le début d’une histoire d’amour. Ils n’avaient pas vingt ans au début des années soixante. Elle était née à Berlin et s’appelait Margaret Le Coz. À cette époque, il tenait permanence dans la librairie sans client des Éditions du Sablier, qui avaient cessé leur activité de production d’ouvrages traitant d’ésotérisme et d’occultisme. Le soir, il allait attendre Margaret à la sortie des bureaux d’une officine aux activités administratives mal définies de … sous-traitance, de ... contentieux, en lien avec la préfecture de police. Tous deux étaient incommodés par la curiosité et les invitations pressantes de ses inquiétants  collègues.

Les jeunes gens se tenaient constamment sur le qui-vive. Chacun d’eux se sentait menacé. Pistée et harcelée par Boyaval, un homme inquiétant, agressif, violent, Margaret s’abritait alors à Auteuil, après s’être sauvée d’Annecy, de Lausanne puis du centre de Paris. Quant à Bosmans, il s’interdisait certaines rues de Paris, craignant de voir apparaître la femme à l’allure martiale, les cheveux rouges, le regard dur, sa mère, s’il en croit l’état civil, à qui il ne savait refuser l’argent qu’elle lui demandait sur un ton autoritaire et agressif, tandis que se tenait à l’écart, l’homme brun habillé de noir, à l’air d’un prêtre défroqué et à la cambrure d’un toréro.

*****

Modiano accorde son style au propos du roman, la nébulosité des souvenirs, le flou de la mémoire.

La précision des adresses, l’exactitude des noms des rues, des hôtels, des stations de métro, l’énumération fidèle des enseignes des boutiques, contrastent avec les descriptions vagues des lieux habités ou fréquentés par Bosmans et Margaret, locaux temporaires, sinon à signaler les issues débouchant sur deux rues. La mémoire ne retient pas le transitoire !

Modiano bouscule le cours d’évènements qui s’étalent sur une quarantaine d’années. Une année est définie, 1945, année de naissance des jeunes gens, mais les époques sont confuses. Le narrateur hésite entre deux saisons, entre deux moments de la journée, le temps est incertain, souvent brumeux. La mémoire n’a que faire de la chronologie !

À la rigueur qu’il accorde à leurs patronymes, l’auteur oppose les portraits très succinct  des personnages : un visage grêlé, une queue de cheval et des ballerines de danseuse, un regard froid et des cheveux courts, pas de détail physique sur les deux personnages principaux.  Bosmans attribue ses propres doutes  aux enfants : Ces enfants ! Étaient-ils les enfants de ceux qui s’en disaient les parents ? La mémoire n’a que faire de l’apparence !

Curieusement, certains rêves angoissants se sont incrustés dans sa mémoire.

La place que le narrateur donne au rôle de Boyaval, masque les causes plus profondes de l’anxiété de Margaret. Bosmans perçoit bien que le problème est ailleurs. Il en a retenu les indices : le mutisme de Margaret sur la raison de sa naissance à Berlin en 1945, de vagues allusions sur son passé : … trains de nuits, … pension, … maison de correction, … rupture familiale, … « Ils savent des choses sur moi que je ne t’ai pas dites et qui sont dans leurs dossiers. », au point de jeter précipitamment la jeune femme dans un train en partance pour Berlin.

*****

 

Horizon

 

Sous le charme de l’écriture fluide de Patrick Modiano, égaré par la construction du roman, le lecteur, envoûté, avance sans visibilité, sur un sol mouvant dans un récit qui suscite une multitude d’interrogations auxquelles il ne trouve aucune réponse, mais auxquelles il lui est loisible d’imaginer quantité d’interprétations. La fin reste ouverte. Oui, mais sur quel horizon ?

Tout le plaisir de la lecture est là.

 

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