John STEINBECK (1902~1968)- À l’est d’Éden - East of Eden (1952)
John STEINBECK (1902~1968) - À l’est d’Éden - East of Eden (1952)
Traduction de l’anglais par J.-C.Bonnardot
À l’est d’Eden raconte sur trois générations, des années 1860 à la fin de la Première Guerre mondiale, l’histoire de deux familles les Hamilton et les Trask, établies dans la vallée de Salinas en Californie, aux États-Unis.
Dans les deux premières parties du roman, nous suivons séparément les deux familles avant que leurs destins se croisent.
Les Hamilton
Arrivés sans le sou d’Irlande du nord, le jeune Samuel Hamilton et sa femme Liza s’installèrent vers 1870, à l’est de King City sur une terre aride et ingrate des collines qui bordent la vallée de la Salinas.
Samuel était un homme cultivé, robuste, énergique, habile de ses mains, inventif, désintéressé, enjoué, ouvert et convivial, alors que son épouse, une petite femme sans attraits, sèche, effacée, excellente ménagère, inhibée par la religion, était dénuée du moindre humour.
Ils eurent quatre fils : Georges, William, Tom Joseph, et cinq filles : Una, Lizzie, Dessie, Olive la mère de l’auteur et narrateur, et Molly.
Les Hamilton ne furent jamais riches car Samuel n’avait aucun sens des affaires. Les fruits de ses inventions ingénieuses profitèrent à d’autres.
Les Trask
Adam Trask avait acheté sa propriété plus tard dans la fertile vallée de Salinas. Adam était né en 1862 dans le Connecticut où Cyrus, son père, exploitait une ferme.
Cyrus s’était enrôlé dans une milice régionale au cours de la guerre civile. Six mois avant la naissance de son fils, victime d’une blessure dès les premières minutes de confrontation avec les rebelles, Cyrus avait été amputé d’une jambe. Durant sa brève carrière militaire, la boisson, le jeu, la fréquentation des maisons closes, les troussages de jupons vaincus, complétaient agréablement les séances d’entraînement pour cet homme robuste, risque-tout au fort tempérament. Quelques temps après son retour, son épouse, ‘‘une femme incolore et refermée’’, repliée dans une mystique expiatoire, mettait fin à ses jours lui laissant l’entretien de la ferme et le bébé sur les bras.
Cyrus s’était rapidement remarié avec la fille de fermiers voisins. Alice avait 17 ans, était laide et travailleuse. Elle fut rapidement engrossée et donna naissance à Charles.
Auprès de cette jeune femme minée par la tuberculose, crédule, effacée, qui l’écoutait en silence, le soldat de deuxième classe échafauda de fabuleux récits de campagne où il jouait un rôle de premier plan. Des lectures spécialisées et le temps aidant, d’affabulateur Cyrus devint mystificateur. Réputé être le meilleur spécialiste en stratégie, il était consulté par les hautes instances militaires de Washington et abusait même le Président.
Les deux frères Trask étaient très différents : Charles, grand, fort, vigoureux, impulsif et teigneux, quoique plus jeune, protégeait Adam qui était intelligent, sensible, pacifique et doux. Cyrus soumit ses fils à une intense préparation militaire de son cru extrêmement précoce qui convint au tempérament bagarreur du cadet, mais dégoûta définitivement l’aîné de toute violence. Histoire d’endurcir Adam, Cyrus lui imposait des exercices d’endurance et de survie et le voua à la carrière militaire, tandis qu’il destinait Charles à reprendre la ferme. Ce dernier, ulcéré de l’attention que son père portait à Adam, dans une pulsion de jalousie meurtrière, avait sauvagement blessé son frère.
Malgré lui, Adam participa donc à la chasse aux Indiens. En dépit de son manque de goût pour la vie militaire, il rempila à la fin de son contrat. Démobilisé après dix ans d’armée, Adam partit sur les routes, clochard vivant de petits larcins, errant au hasard à travers plusieurs États. Arrêté et condamné aux travaux forcés pour vagabondage, sa peine étant prolongée, il réussit à s’échapper et revint vivre à la ferme familiale où, sans nouvelles de lui, son frère l’attendait.
L’amertume des rancœurs passées ressurgissait fréquemment, impromptue, au cours de moment de complicité fraternelle, rendant la cohabitation difficile entre les deux frères.
Une cérémonie grandiose accompagna l’enterrement de Cyrus à Washington où ce dernier mourut laissant en legs à ses fils une fortune conséquente. D’où provenait l’argent de Cyrus ? Cette question obséda Charles. Jusqu’à la fin de ses jours, il se garda de toucher à sa part du magot.
Adam, toujours indécis, cherchait toujours un sens à sa vie jusqu’à ce qu’il brave l’opposition de Charles en sauvant et soignant Cathy, une jeune femme rescapée d’une tentative d’assassinat, qui avait échoué gravement blessée devant leur porte. Subjugué par la beauté naturelle et l’étrange regard de sa protégée, il décida de l’épouser et d’aller s’installer en Californie dans la vallée de Salinas.
Dans la troisième partie, Samuel, contacté pour un problème de forage, rencontre les Trask.
Euphorique et enthousiaste, porté par son amour pour Cathy, Adam échafaude pour sa famille des projets d’avenir grandioses et emploie sa fortune à mettre en valeur toutes les ressources naturelles de son domaine. Adam chérit aveuglément Cathy. L’objet de son amour et de toutes ses attentions n’est hélas qu’un mirage, une créature imaginaire. La Cathy, celle que tous voient, ne l’aime pas, son amour la dégoûte. Pragmatique, enceinte, celle-ci, dont il ignore le passé sulfureux déjà très lourd, indifférente, passive, boudeuse, attend l’instant propice pour reprendre sa liberté.
Aussitôt après avoir mis au monde des jumeaux, avant de s’enfuir et disparaître, Cathy tire sur Adam qui tente de la retenir, le blessant gravement. Après sa guérison, Adam, anéanti par une agression et une trahison qu’il ne comprend pas, perd tout goût de vivre et d’entreprendre. Le domestique chinois, élève les deux petits garçons, Aaron et Caleb. Lee assume le train de maison de la famille et s’efforce d’aider le maître des lieux à sortir de sa prostration en l’intéressant à la vie de ses fils.
Dans la dernière et quatrième partie, une douzaine d’années se sont écoulées, les Trask habitent maintenant une maison de Salinas. Les faux jumeaux, Aaron et Caleb n’ont pas de ressemblance physique. Comme Adam et Charles, leur tempérament et leurs goûts sont très dissemblables. Lee, qui a renoncé à son projet de monter une librairie à San Francisco, a repris son service et contribue à la cohésion familiale.
COMMENTAIRE
John STEINBECK analyse si besoin le cadre géographique, le contexte historique, économique, social, ou météorologique dans lesquels il situe chaque nouvelle phase du roman. Le propos du roman s’étend sur une soixantaine d’années, dans la vallée fertile de la Salinas entre les terres arides des collines du comté de Monterey, en Californie du nord. Aventuriers et opportunistes en quête de fortune y tentent leur chance. La Californie : une terre conquise ; un rêve de paradis pas toujours accueillant pour la dernière vague d’immigrants ou la confrontation des fermiers aux aléas pluviométriques saisonniers ou climatiques ; un État sorti de l’isolement avec le développement du chemin de fer, du téléphone et l’arrivée de l’automobile ; un État qui sut garder ses distances pendant la Guerre de Sécession, mais contribua à la Première Guerre mondiale.
Il précise l’état psychologique des personnages au fur et à mesure du déroulement de l’intrigue.
La communication entre les êtres humains est au centre du roman. Ce sont des personnes incapables d’exprimer leurs sentiments et leurs désirs, inaptes à l’écoute et à la compréhension de l’autre. Leurs actions sont souvent le fruit de leurs pulsions conflictuelles d’amour et de haine. Ces êtres imprégnés de manichéisme, s’interrogent sur leur hérédité et leur prédestination au bien ou au mal.
Les références bibliques fourmillent dans le roman : la citation de versets bibliques ; le choix des prénoms des protagonistes ; l’exploitation du thème de Caïn et Abel illustré par la jalousie entre les demi-frères Adam et Charles, puis la rivalité entre les jumeaux d’Adam prénommés Aaron et Caleb. Le titre East of Eden est tiré d’une citation de la Bible, c’est à l’est de l’Eden que Caïn court se réfugier après avoir tué son frère Abel.
John STEINBECK se sert des échanges entre deux personnages particulièrement attachants : Samuel immigré irlandais et Lee sino-américain de la deuxième génération, qui se démarquent des précédents par leur originalité, leur écoute des autres, leur abnégation, leur capacité d’adaptation, leur curiosité du monde, leur soif de culture, leur sagesse. La place de l’individu dans la société occupe une grande part de leurs discussions. Se limitant aux apparences, les groupes sociaux attendent d’autrui des actes fondés sur des préjugés intangibles. Adam et Charles puis d’Aaron et Caleb, sont ravagés par l’anxiété de se faire accepter tels qu’ils sont et de s’assurer une part d’amour paternel. Ils sont victimes de déductions dualistes arbitraires basées sur leurs goûts, leurs capacités et leur apparence physiques. STEINBECK démonte les aprioris d’innocence et de pureté prêtés à Cathy/Kate, fondés sur sa beauté : sous un visage d’ange, se dissimule un être pervers diabolique.
Il apporte aussi des points de vue personnels dans l’exposé du récit sur les capacités d’invention et de création de l’individu par rapport au groupe. Il précise sa vision de la part prise par l’un et l’autre dans les processus d’invention et de création.
À l’est d’Eden mêle fiction et réalité. John est le fils d’Olive Hamilton. Samuel est son grand-père maternel, un personnage hors normes, haut en couleur, entré dans la légende familiale. Auteur/narrateur, STEINBECK se fait acteur dans le roman, en y introduisant une part d’autobiographie : son apparition enfant avec Mary la plus jeune de ses sœurs, tous deux témoins, lui rapporteur de certaines scènes.
À l’heure de la mondialisation de l’économie et des moyens de communication, de l’information instantanée, du brassage des cultures et des groupes sociaux, des flux professionnels, touristiques ou migratoires, l’individu est amené à s’interroger sur son identité et sa place dans une société de plus en plus mouvante. Les problèmes de la connaissance de soi, de la reconnaissance et de l’acceptation de l’autre, d’écoute et de tolérance, déjà rapportés par la tradition biblique et repris au milieu du XXe siècle par John STEINBECK, ont un caractère intemporel et universel.
À l’est d’Eden estécrit dans un style fluide, simple et précis. Sa lecture est agréable et captivante.
John STEINBECK a reçu Le prix Pulitzer en 1942 et le Prix Nobel de Littérature pour l’ensemble de son œuvre en 1962.
Le réalisateur américain Elia Kazan s’est inspiré de la quatrième partie du roman de John STEINBECK pour son film en couleur et en Cinémascope qui porte le même titre que le roman, sorti en 1955. L’acteur James Dean interprétait le personnage de Cal (Caled) Trask.
Le film a été récompensé par le Golden Globe du meilleur film dramatique en 1956. Les Oscars ont attribué les titres de Meilleur réalisateur à Elia Kazan et de Meilleur second rôle masculin (à titre posthume) à James Dean.
John STEINBECK (1902~1968) - Lune noire (1994) – The Moon is Down (1942)
John STEINBECK (1902~1968) – La Perle ; The Pearl (1945)
Source des images
http://fr.wikipedia.org/wiki/John_Steinbeck
http://www.allocine.fr/film/fichefilm-1944/photos/detail/?cmediafile=18429305