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19 février 2012

Jorge SEMPRÚN (1923) – Autobiographie de Federico Sánchez (1977-1978)

Jorge SEMPRÚN (1923) – Autobiographie de Federico Sánchez (1977-1978)

Traduit de l’espagnol par Claude et Carmen Durand

   Le Grand Voyage, récit de l’expérience de déporté de Jorge, articulait un enchevêtrement de digressions, sur les faits qui ont marqué son arrestation, de projections vers la libération du camp et le retour vers la France, tout en revenant régulièrement au wagon qui le transportait, avec 119 compagnons, de  Compiègne à Buchenwald.

 

   Jorge SEMPRÚN utilise un procédé littéraire similaire pour l’Autobiographie de Federico Sánchez. À sa table de travail, l’écrivain, converse à bâton rompu avec cette part de lui-même que fut Federico Sánchez, coordinateur de la résistance communiste au régime de Franco, chargé des relations avec les milieux intellectuels, membre du Comité central, puis du Comité exécutif du PCE(1) en exil. La discussion porte sur les faits  qui ont précédé, puis ont amené le vote de l’exclusion du parti communiste de ce dernier et de Francisco Paulin, un ancien important dirigeant du parti, le 19 avril 1964 au Meeting qui se tenait en région parisienne à Stains. 

 *****

     « La Pasionaria a demandé la parole. » Cette phrase est le point d’appui du récit, caractéristique du refus de la chronologie adopté par Jorge SEMPRÚN. C’était à Prague, sous les voûtes du château des rois de Bohème, quelques jours avant le Meeting de Stains. « La Pasionaria a demandé la parole. » commence, l’autobiographie politique de Jorge SEMPRÚN. Simple rapporteur des propos de Federico Sanchez, ce dernier prend de la distance par rapport aux faits et peut se découvrir, sans être atteint dans son intimité, en écrivant sous le couvert d’un pseudonyme, une de ses identités de clandestin. 

*****

     Jeune militant,  il est séduit, comme beaucoup d’intellectuels de sa génération, par la lecture des philosophes et des théoriciens léninistes et marxistes. Cette découverte théorique est suivie de l’expérience de la résistance au nazisme, aussi bien au maquis qu’au camp de Buchenwald. La Seconde Guerre Mondiale achevée, Jorge SEMPRÚN est traducteur à l’UNESCO et adhère au Part Communiste Espagnol (PCE) en exil qui lutte contre le pouvoir franquiste. En 1952, il devient membre permanent du Parti et se rend plusieurs fois clandestinement en Espagne, sous de fausses identités, dont Federico Sánchez, pour coordonner la résistance clandestine  au régime de Franco. On lui adjoindra ensuite la charge des relations avec les milieux intellectuels. Il entre en 1954 au comité central du PCE puis, en 1956, au Comité exécutif (Bureau politique). En 1962, le travail clandestin en Espagne lui est retiré par le Secrétaire général du PCE,  Santiago Carrillo et en 1964, comme nous l’avons vu plus haut, il est exclu, avec Francisco Paulin du PCE. La raison  invoquée est « divergence de point de vue par rapport à la ligne du Parti ». 

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    L’écrivain conduit, sous forme d’une introspection à deux voix, l’examen de conscience assumé de Sánchez (SEMPRÚN utilise aussi des métaphores se référant aux dogmes de l’Église.). Le tutoiement, alterné avec le je de chacun et la mise en scène des récits donnent de la vie au texte et élargissent la portée du débat au delà de la rancœur personnelle de l’éviction par le Parti, plus généralement vers les dérives des Partis communistes. 

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     Jeune militant, il considère le parti « comme un instrument de la lutte révolutionnaire parmi d’autres, dont on pouvait remettre en cause certains aspects et qu’on pouvait toujours infléchir. ». Il prend conscience de la stalinisation du parti qui survivra à la mort de son initiateur, caractérisée par un appareil administratif intouchable, d’autant plus qu’il exerce sa mission au nom des masses prolétariennes. Le Parti  est glorifié. Ses dirigeants, à la fois inaccessibles et omniprésents  sont l’objet d’un culte. SEMPRÚN rapporte trois interventions décisives de Dolorès Ibárruri(2) en 1956, 1959 puis en 1964. Son témoignage sur l’entrevue de la délégation du PCE à Cuba, avec Fidel Castro est éloquent.

 Au sein du Parti sacralisé, les militants doivent l’adhésion absolue et l’approbation sans réserve des résolutions du bureau politique et du comité central. Ces instances se réservant le droit d’accuser, d’exclure, d’exécuter (ou de laisser exécuter) au nom de l’orthodoxie du parti.

 Souvent sur le terrain, Sánchez tente en vain de faire admettre à la direction du parti la nécessité d’analyser objectivement la situation concrète de la société en Espagne, surtout après l’entrée à l’ONU du pays et l’aide apportée par les États-Unis. Les instances dirigeantes manichéistes restent arc-boutées, depuis 1939, sur leur stratégie subjective et le leitmotiv de recours au « spectre de la grève mythologique », la « Gé Enne Pé (3)».  Finalement, « l’Esprit-de Parti » l’emporte, les « deux intellectuels à tête de linotte », sont exclus en 1964. Federico Sánchez n’existe plus. 

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      lecture, en 1974, du livre de Santiago Carrillo, Demain l’Espagne, dont Jorge SEMPRÚN réfute la version de certains faits, des ajouts ou des retraits suivant les éditions, le décide à écrire La Biographie de Federico Sánchez. S’il fait un retour sur les années de militantisme actif de Jorge SEMPRÚN, ce livre est le moyen d’exposer son point de vue, qu’il n’a pu exprimer dix ans plus tôt, à ses contemporains de la base et surtout aux jeunes générations de militants. C’est aussi un livre de polémique « Il reflète la dynamique d’une vie sociale qui est établie sur des contradictions ». Contradictions qu’il va s’efforcer de mettre en évidence, à partir d’archives, dans une étude sémantique, philologique et lexicale systématique de motions, de rapports, de mots d’ordre, de publications, d’articles de presse, de conversations et de discours de ses dirigeants. Il brosse une galerie de portraits très sévères de ces derniers, visant particulièrement Santiago Carrillo, le secrétaire général du PCE et le vice président Alfonso Guerra, à qui il reproche de soutenir, avec impudence, la thèse de l’indépendance du parti par rapport au PCUS(3). 

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      Libéré du militantisme clandestin, Jorge SEMPRÚN reprend en 1963, le manuscrit du Grand Voyage commencé à Madrid, alors qu’il reste confiné par prudence dans la chambre de l’appartement loué par le parti, parce qu’un de ses contacts, arrêté et probablement torturé par les sbires du franquisme, ne s’est pas manifesté sur leur lieu de rendez-vous. Récompensé par le Prix Fromentor le 1er mai 1964, il sort de l’anonymat. Il se consacre désormais à son autre passion, la  littérature sous diverses formes, en accord avec ses engagements et ses convictions. 

 *****

     La portée de ce livre est plus générale : nulle obédience politique n’est à l’abri du dogmatisme de l’Esprit-de-Parti générateur d’incohérence, de sclérose et de fermeture à toute réflexion de fond. 

     L’Autobiographie de Federico Sánchez écrite en espagnol a été publiée en Espagne, en 1977. Sa traduction en Français par Claude et Carmen Durand est parue en 1978. Le livre a obtenu le Prix Planeta(4).

  Le grand voyage (1963)

La deuxième mort de Ramón Mercader (1969)

Notes :

 1)Dolorès Ibárruri , dite la Pasionaria (1895~1989), fut secrétaire générale du PCE  de 1942 à 1960, puis Présidente de 1960 à sa mort en 1989. Elle fut remplacée au secrétariat général par Santiago Carrillo (1915) jusqu’en 1982.

 2)la Gé Enne Pé : GNP (« Grève Générale Pacifique »)

 3)PCUS : Parti Communiste d’Union Soviétique

 4) Le Prix Planeta : ou Prix Lara est un prix littéraire, créé en 1952, par l’éditeur des éditions Planeta, José Manuel Lara Hernández pour la promotion d’écrivains espagnol. La maison d’édition récompense des romans inédits écrits en castillan. Ce prix est moins solennel que le Prix Cervantès plus récent (1974), mais il est le plus convoité après le Prix Nobel en raison du montant des dotations qu’il apporte au bénéficiaire et aussi à son finaliste. Il est remis le jour de la Ste Thérèse, le 17 octobre.

 



 


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5 février 2012

Jorge SEMPRÚN (1923) - La deuxième mort de Ramón Mercader (1969)

Jorge SEMPRÚN (1923) - La deuxième mort de Ramón Mercader (1969)

     Que de monde, ce matin du 13 avril 1966, autour de la Vue de Delft ! Au Musée royal du Mauritshuis, une meute d’hommes se relaient discrètement de salle en salle. Les tableaux exposés ne les intéressent pas. Les voient-ils seulement ? L’objet de leur attention est un homme au regard sombre, grand, brun, à forte carrure, qui semble se fondre dans l’œuvre de Vermeer puis médite devant cette petite toile de Carel Fabritius représentant un oiseau enchaîné, le Chardonneret, et enfin revient vers la Vue de Delft avant de s’en éloigner, incommodé par l’arrivée d’un couple accompagné d’un garçonnet d’une dizaine d’années.

Vue de Delft de Vermeer au MaurihuisLe Chardonneret Carel Fabritius

 

     Depuis Madrid, les hommes de la CIA sont sur la trace d’un Espagnol, directeur adjoint d’une société de commerce avec les pays du bloc de l’Est, en voyage d’affaires à Amsterdam. Ramón Mercader cache son identité réelle et son activité d’agent secret au service de l’URSS, sous couvert de la signature de deux contrats avec une société d’importation hollandaise et une mission commerciale de l’Allemagne de l’Est.

     Une équipe de spécialistes du renseignement de la RDA se trouve aussi à Amsterdam, depuis une semaine, sur la piste d’un des agents américains, un certain George Kanin de retour d’une mission qui a mal tourné à Dresde.

     Un enchaînement de phénomènes indépendants les uns des autres se met en place. Dès qu’il prend conscience qu’une trahison est l’origine du piège qu’il sent se refermer sur lui, Mercader tente d’échapper quelques heures à la filature dont il est l’objet, afin d’alerter l’agent de contact du service à Zurich.

   Le lendemain, Ramón Mercader sera retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel d’Amsterdam. Son décès, qualifié de suicide, conclura l’opération Humpty-Dumpty américaine(1), tandis que les services du contre-espionnage soviétiques tenteront de le faire passer pour traître au moyen d’un dossier truqué. Le mécanisme de la trahison se démontera petit à petit. La vérité mise à jour, toutes ses conséquences possibles resteront ouvertes ...

220px-HumptyDumpty

     À travers l’histoire de ses personnages et sa propre histoire, l’auteur revient sur l’histoire du mouvement communiste de la guerre d’Espagne, à la mort de Staline et les années qui ont suivi le XXe Congrès(2). Ni reportage, ni réquisitoire, son livre est une longue méditation sur le destin d’une révolution qui a nourri tant d’espoirs, mais qui a déçu  ses adeptes et ses soutiens les plus convaincus. 

 *****

     Nous sommes en présence d’un livre qui sollicite l’attention soutenue de ses lecteurs. Sa lecture ne s’improvise pas. Il faut prendre le temps de le lire et ne pas hésiter à le relire. On appréciera la richesse du texte et la qualité de la langue, d’autant plus remarquable qu’elle n’est pas la langue maternelle de l’auteur.

     La chronologie du récit est bouleversée par des projections dans le futur, des retours récurrents sur le passé, entrecoupés d’extrapolations inabouties, de rapprochements de faits sans rapport entre-eux.

Des chapitres, s’interrompent sur une phrase inachevée, terminée au début du chapitre suivant ou laissée en suspens. Il arrive qu’un espace blanc, suivi d’un retour à la ligne s’insèrent dans une phrase.

     Les objets sont porteurs de sens. Ils sont des témoins, des partenaires de tranches d’existence humaine. Leurs longues descriptions sont sans rapport avec le fil de l’histoire, coupées de parenthèses, dans lesquelles se glissent les réflexions personnelles de celui qui s’y intéresse ou de l’auteur. Les objets attisent la réminiscence d’expériences antérieures, les plus douloureuses ayant été volontairement occultées pour pouvoir y survivre.

     L’auteur fait des retours sur des faits anodins en apparence pour les situer dans leur contexte psychologique et objectif.

     Le même évènement peut être repris selon différents points de vue.

La narration peut être faite par SEMPRÚN lui-même ou différents personnages, coupée sans transition, dans le même paragraphe, voire la même longue phrase, d’une remarque personnelle, d’une évocation autobiographique, d’une confidence de l’auteur, d’un rappel historique ou littéraire.

     Les personnages n’ont pas d’image globale. Parfois, un élément seulement de leur physique est précisé. Dans ce roman, le lecteur connaît leur nom, mais ce sera à lui de le rapprocher de leurs autres identités éventuelles.

     Le nom du héros, Ramón Mercader, sert de charnière entre la fiction que nous suivons et l’histoire qui se rattache à la grande Histoire de son homonyme connu pour avoir assassinné Léon Trotski (1879~1940)(3). Meurtre, sur lequel SEMPRÚN reviendra plusieurs fois, dont il confie l’exposé de la reconstitution à un de ses personnages, un cinéastre américain, logé dans le même hôtel que l’Espagnol, qui projette de la mettre en scène.

   Des scènes sans rapport avec le propos du roman sont aussi minutieusement et longuement traitées que si elles faisaient l’objet même de la narration.

     L’auteur associe le lecteur à son écriture en se prétendant dépassé par l’irruption de faits fortuits. Il développe alors des scènes telles qu’il les avait imaginées, avant d’en donner la version consécutive au bouleversement du cours des évènements.

 *****

    L’époque de Guerre froide entre 1945 et 1991 a été prolifique en romans d’espionnage, souvent écrits par d’anciens agents des services secrets, sur les luttes sournoises entre les pays des deux blocs rivaux. Par le sentiment d’angoisse qu’il génère, le récit fertile en péripéties de Jorge SEMPRÚN ne déroge pas à ce genre littéraire. Cependant, ce n’est pas un thriller au sens commun du terme. Nous avons vu plus haut qu’il est marqué par le courant du nouveau roman qui a révolutionné les normes romanesques traditionnelles dans les années 1950-1970.

     Le livre est paru en 1969. L’Espagne vivait encore sous le régime franquiste (1939 à 1975)(4). À la suite du XXe congrès (1956), le parti communiste français avait renforcé son orthodoxie à l’égard de Moscou. En rappelant publiquement les turpitudes de l’époque stalinienne et les dérives du totalitarisme soviétique, il fallait bien du courage, aux intellectuels comme Jorge Semprun, pour faire face à la vindicte qui s’élevait de la place du Colonel Fabien(5), encore à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix.

     Le Prix Femina en 1969  a  été attribué à Jorge SEMPRÚN pour La deuxième mort de Ramon Mercader.

Notes :

1 Humpty Dumpty sat on a wall.
Humpty Dumpty had a great fall.

All the king's horses and all the king's men
couldn't put Humpty together again.

 

Humpty Dumpty sur un muret perché.
Humpty Dumpty par terre s'est écrasé.

Ni les sujets du Roi, ni ses chevaux
Ne purent jamais recoller les morceaux.

 

Lien vers la source Texte et illustration:

Pour écouter la comptine cliquez ici

 Pour regarder  et écouter un petite  vidéo illustrant cette comptine 

Vidéo de Humpty Dumpty

cliquez ici

2 - Nikita Sergueïevitch Khouchtchev (1894~1971), devint membre du Præsidium et secrétaire du Comité central d’URSS en 1952. Il succéda à Staline (1953), au poste de premier secrétaire du Parti communiste d’URSS et mena une politique de « déstalinisation ». En février 1956, les crimes de Staline furent dénoncés au XXe Congrès du PCUS (‘’rapport secret’’).

 3 - Léon Trotski : Après le mort de Lénine, Lev Davidovitch Bronstein, dit Lev Davidovitch Trotski, en français Léon, s’opposa de plus en plus nettement à Staline, dont il dénonça particulièrement la politique d’édification du socialisme dans un seul pays ; il fut bientôt rejoint par Zinoviev (1883~1938) et Kamenev (1883~1936), en 1925. Démis de ses fonctions (1925), exclu du parti (1927), déporté dans le Kazakhstan, puis expulsé d’URSS (1929), il vécu à Constantinople, en France, en Norvège, enfin au Mexique, ne cessant de lutter contre la politique de Staline (1879~1953) et fondant la IVe internationale. Il fut assassiné sur ordre de Staline, par un agent du service secret du Guépéou, Ramón Mercader (1913~1978), (alias Jacques Mornard, alias Jackson) en mai 1940 avec un pic à glace dans sa maison de Coyoacán un quartier de Mexico. Sources : Le Petit Robert des noms propres

 4 - Après 1960, l’Espagne bénéficia d’un renouveau économique tout en restant soumise aux influences des éléments traditionnels : l’Église, l’armée, la Phalange. La Constitution de 1966 avait élargi le nombre des électeurs et établi le principe de la succession de Franco. Cependant, l’évolution du régime était très lente. Les mouvements d’opposition (ouvriers, étudiants, intellectuels), qui  étaient très forts à Madrid, au Pays basque et en Catalogne, entraînèrent la proclamation de « l’état d’exception » de janvier à mars 1969. Sources : Le Petit Robert des noms propres

 5 - Place du colonel Fabien : Elle est surtout connue en raison de la présence du siège du Parti communiste français, conçu par l'architecte brésilien Oscar Niemeyer. Avec l'arrivée au pouvoir de la dictature militaire au Brésil, Niemeyer part en France où il fut le concepteur de plusieurs édifices, tels que le siège du Parti communiste français, place du Colonel Fabien à Paris (1965-1980), le siège du journal L'Humanité à Saint-Denis (1989), ou encore la Bourse du travail à Bobigny. Sources :

http://www.editoweb.eu/nicolas_maury/Place-du-Colonel-Fabien_a489.html

Jorge SEMPRÚN (1923) - Le grand voyage (1963)

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