VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT (1932) - Louis-Ferdinand CÉLINE (1894~1961)
Le livre se résume dans son titre Voyage au bout de la nuit.
LA NUIT
La nuit est du côté de la Terre qui n’est pas éclairé par le soleil. C’est ce qu’on ne voit pas, la face cachée des institutions (l’armée, la recherche médicale, le clergé, le commerce, la psychiatrie), des lieux (la banlieue des villes, leurs bas-fonds, les cours intérieures, les coulisses du théâtre, les maisons closes), des personnes (les sentiments profonds, inavouables, refoulés).
La nuit, c’est l’envers du décor, le côté des idéaux politiques et sociaux, l’envers des valeurs morales.
La nuit, c’est ce que vivent ceux qui ont perdu leurs repères, les fous, les aveugles.
La nuit, c’est la mort. C’est aussi l’enfer.
LE VOYAGE
Le voyage est une anti- épopée burlesque et amère, un voyage initiatique vécu par le narrateur, Ferdinand Bardamu,
- Pendant la guerre de 1914-18, dans les coulisses du front, des postes de commandement, à l’arrière dans les hôpitaux avec les convalescents qui ont été blessés dans leur corps, dans leur tête et ont perdu leurs illusions, dans le Paris des permissionnaires, des « planqués », des œuvres caritatives
- En Afrique coloniale et colonisée, dans la brousse
- En Amérique, aux Etats-Unis, à New York, du côté des pauvres, des émigrés, des chercheurs d’emploi, des ouvriers sur les chaînes des usines Ford, à Detroit.
- En banlieue parisienne où médecin des pauvres, Barnamu survit à peine et partage le sort misérable de ses patients à une époque sans protection sociale.
- À Paris, dans un hôtel meublé pour carabins désargentés, les coulisses d’un cabaret, les maisons closes, les hôtels de passes.
- Dans une institution pour aliénés désignée sous l'euphémisme de « maison de santé »
Le roman est une auto fiction dans laquelle se retrouve l’expérience de CÉLINE qui a vécu dans tous les endroits fréquentés par Bardamu, comme soldat, employé de plantation en Afrique coloniale, médecin à la S.D.N. et en banlieue parisienne pauvre, ami et époux d’artistes.
LE NARRATEUR s'exprime en langage parlé populaire aux tournures riches et argotiques. Antihéros, tour à tour, simple « troufion », employé subalterne, esclave galérien, immigré, gigolo entretenu par des artistes qui se prostituent, et enfin modeste médecin fauché et sans prestige, il vit les pires expériences et les révèle sous leur aspect habituellement caché.
Bardamu se présente comme un raté, peureux, prêt à toutes les lâchetés pour se tirer d’embarras. Un être sans ambition, sans idéal, non sans repères moraux car il est conscient de les franchir. Un pleutre incapable de résister à l’attrait de Léon Robinson, son âme damnée, qu’il retrouve à toutes les étapes de son voyage.
Robinson qui ne supporte aucune contrainte, capable de toutes les turpitudes, même tuer. Rendu momentanément aveugle il le précède dans la nuit. Lui ira au bout de la nuit. Il est celui qui suit ses pulsions, celui qui passe à l’acte.
Dans ce roman, le narrateur, homme du peuple, fait parler le peuple, montrant sans mélo, sans populisme, un personnage qui évolue en faux naïf dans un monde malsain, sale, pervers. Un homme qui jette un cri de révolte et de désespoir.
LE STYLE est familier, très imagé, riche des tournures populaires et de l’argot, bien documenté. Le rythme est véhément et d’un lyrisme haletant.
LES PERSONNAGES sont décrits scientifiquement, médicalement. L’homme n’est qu’un être en décomposition comme le monde qu’il a construit et ce qu’il produit.
Certaines scènes nous plongent dans le surréalisme et l’absurde :
- L’engagement à l’armée de Bardamu, suivant les sergents recruteurs, évoque le conte d’ANDERSEN du « Joueur de flûte ».
- L’exercice des miliciens du sergent Alcide chaque matin sur la plage, « en s’imaginant des sacs, des chaussures, voire des baïonnettes et plus fort encore, en ayant l’air de s’en servir…vêtus d’un semblant de culotte kaki. Tout le reste devait être par eux imaginé et l’était. »
- Bardamu, aux portes de l’immigration, transformé en agent « compte-puces » dans les services de la « Quarantaine » à son arrivée aux Etats-Unis obsédés de statistiques.
- La visite du caveau de la mère Henrouille.
- Le voyage au pays des morts alors qu’il raccompagne Tania et traverse un cimetière Montmartre fait penser à la représentation de WALD DISNEY dans le dessin animé Fantasia d’Une Nuit sur le Mont Chauve de MOUSSORGSKI.
Seules lueurs dans ce tableau sordide et déprimant, Alcide qui se sacrifie pour faire élever sa nièce dignement, Moly, Bébert.
Il se penche sur des valeurs comme l’autorité, la justice, la compétence professionnelle, la connaissance, la bravoure, l’héroïsme, pour en dénigrer les travers, les ridiculiser, et montrer la futilité de leurs représentants.
Il met en évidence la fragilité de la frontière entre folie et simulation, entre raison et aliénation, entre vie et mort et souligne leur interpénétration.
C’est un roman très riche et perturbant. À la fin de chaque étape de ce voyage, le lecteur se réveille d’un cauchemar,amer et mal à l’aise, pour replonger aussitôt dans son atmosphère morbide et délétère. CÉLINE le rend complice de Bardamu. Il l’entraîne malgré lui, témoin et acteur impuissant, dans des évènements incontrôlables et malsains.
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